Que restera-t-il du Sommet ?

La conférence de Bamako a innové en mettant la jeunesse au cur de ses travaux. Elle n’a pas pour autant échappé à la tradition des retrouvailles : même liturgie, mêmes incantations pour des lendemains meilleurs.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Des larrons en foire, des amis contents de se retrouver : le 3 décembre au matin, Amadou Toumani Touré, Omar Bongo Ondimba et Jacques Chirac rejoignent à pied le Palais des congrès de Bamako où doit s’ouvrir le XXIIIe Sommet Afrique-France, depuis l’esplanade où les représentants des cinquante-trois pays africains et de l’Hexagone venaient de poser pour la traditionnelle photo de famille. Côte à côte, les trois chefs d’État semblent s’étrangler tant ils rient. L’objet de la bonne humeur vient-il d’une blague du président gabonais, d’un mot d’esprit du chef de l’État français ? Les compères, en tout cas, donnent le ton d’une rencontre qui se veut informelle et décontractée. Une conférence qui se résume, surtout, à une grande réunion de famille, où les dirigeants des pays de l’ancien pré carré continuent de se précipiter, là où les autres, invités depuis la fin des années 1970, n’envoient souvent qu’un ministre des Affaires étrangères, voire un conseiller d’ambassade.
Le sommet de Bamako n’a pas dérogé à la règle, même si les deux anglophones, leaders du continent, le Sud-Africain Thabo Mbeki et le Nigérian Olusegun Obasanjo, ont honoré le sommet de leur présence. Avec seulement 25 chefs d’État assistant aux travaux (il faut remonter à 1994 pour retrouver une si faible participation), Bamako restera dans les annales comme un « petit » sommet. C’était pourtant la première fois que tous les pays étaient invités, y compris la Somalie, qui dispose aujourd’hui d’un gouvernement.
L’actualité troublée d’un certain nombre de pays africains a refroidi les velléités de déplacement de leurs dirigeants. Ainsi de Mélès Zenawi ou de Joseph Kabila, pourtant tous deux annoncés. L’Algérien Abdelaziz Bouteflika a été retenu à Paris pour raisons de santé. D’autres n’ont fait qu’une apparition éclair pour faire plaisir à Jacques Chirac, à l’image d’Idriss Déby ou d’Omar Bongo Ondimba, le doyen des chefs d’État, à qui l’on a proposé de s’exprimer lors de la cérémonie d’ouverture. Le président gabonais a d’ailleurs bien fait de se déplacer, puisque Jacques Chirac a publiquement félicité « sa brillante réélection ». Autre absent, à la grande déception de ses compatriotes maliens, Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine, n’est pas venu à Bamako ; il en avait prévenu depuis longtemps les autorités. On le dit soucieux de ne gêner en rien son successeur à la tête de l’État.
Restait, à la veille de l’ouverture, à savoir si Laurent Gbagbo ferait le déplacement. Véritable film à suspense, la venue du président ivoirien a fait vivre Bamako au rythme des rumeurs jusqu’au matin du 4 décembre. Sceptiques quant à sa présence (« Sans Premier ministre, comment peut-il se présenter devant tous ceux qui le pressent de nommer quelqu’un ? »), les Français ont pourtant appris dans la nuit du 2 au 3 décembre que Gbagbo avait envoyé un plan de vol à Bamako et devait arriver pour la cérémonie d’ouverture. Au réveil, personne. Dans la journée, une nouvelle information parvient aux services de l’Élysée : le chef de l’État ivoirien pourrait arriver le lendemain. On ne l’a pas vu, mais il a pourtant occupé tous les esprits, énervé les collaborateurs de Chirac, qui n’avaient pas de mots assez durs pour dénigrer sa légitimité.
L’extradition d’Hissein Habré, les tensions soudano-tchadiennes, la situation togolaise, le cas mauritanien, auront également fait l’objet de nombreux apartés. Le jeune Faure Gnassingbé, qui remplaçait pour la première fois l’un des plus grands fidèles de la grand-messe – son père Eyadéma -, a rencontré longuement Louis Michel lors d’une « discussion virile » sur le dialogue à engager avec l’opposition, selon le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire. Pour s’adonner à ces multiples discussions annexes, les chefs d’État sortaient un à un, et à de nombreuses reprises, du huis clos. Pourtant, le thème choisi par le Mali, pays hôte, les concernait tous.
Ils s’étaient donné pour but de répondre aux aspirations de la jeunesse africaine, d’admettre sa créativité et de canaliser sa vitalité. Un sujet sensible pour Chirac, confronté lui-même aux graves problèmes d’une jeunesse en perdition, comme l’ont montré les révoltes des banlieues en octobre. Bien que visiblement fatigué, chaussant de temps en temps ses lunettes, tendant parfois l’oreille, il a profité de l’occasion pour annoncer lors de la cérémonie d’ouverture la mise en place de visas français de long séjour pour certaines catégories d’étrangers très mobiles (artistes, hommes d’affaires). Ce sera la seule proposition concrète que les participants, et la douzaine de jeunes qui représentaient leurs camarades auprès des dirigeants, obtiendront. Pour le reste, des beaux discours enflammés d’ATT (« Les jeunes sont vecteurs de conflit mais aussi facteurs de paix ») aux rappels à l’ordre de Bongo Ondimba (« Il est temps que la jeunesse comprenne qu’on est tous passés par là et que tout ça ne se fera pas en un jour »), seuls de grands principes ont été énoncés.
Marie Tamoifo, la déléguée des jeunes qui s’est exprimée devant les chefs d’État, était pourtant bien décidée à les secouer. « Nous, jeunes d’Afrique, donnons notre vision d’une société africaine plus exigeante, nous dénonçons les pseudo-modèles de développement et revendiquons plus d’éthique et d’innovation à la tête des États », a-t-elle déclaré à la tribune. Citant ses modèles (Lumumba ; Nkrumah ; Senghor ; Mandela ; Cheick Modibo Diarra, ingénieur à la Nasa… qui n’était pas présent), cette jeunesse, espérant avoir l’oreille des chefs d’État ou, à tout le moins, celle des médias, a prévenu : « Si les hommes politiques ne s’occupent pas de la jeunesse, le vent du changement la conduira à s’occuper des politiques. »
En attendant, les dirigeants se sont mis d’accord sur « la création d’un Fonds euro-africain d’investissements en faveur des jeunes et la poursuite par la France de son plaidoyer auprès d’autres partenaires en vue du prélèvement de solidarité sur les billets d’avion ». Ils ont également convenu de la mise en place d’un groupe de travail franco-africain sur la question du retour des compétences.
Les chefs d’État ont aussi abordé les questions du jour. Les négociations de l’OMC qui s’ouvrent le 13 décembre, à Hong Kong, étaient dans tous les esprits. Ils ont rappelé la nécessité de prendre en compte des priorités de développement de l’Afrique dans les négociations commerciales, et ont demandé la défense du coton africain. Enfin, en présence de Louis Michel, Chirac et ses pairs du continent ont souhaité la tenue d’une conférence entre Africains et Européens sur l’immigration rassemblant pays d’origine, de transit et d’accueil, qui devrait se tenir au deuxième trimestre 2006. Le deuxième grand sommet Europe-Afrique, annoncé à l’issue de la première édition, en mars 2000 au Caire, et prévu depuis plus de trois ans pour se tenir à Lisbonne, attendra. À cause notamment des fortes tensions entre le Zimbabwe et la Grande-Bretagne.
De ce ministre de la région des Grands Lacs, venu seul, estimant que, sans suivi, les sommets Afrique-France ne servent à rien, à cet observateur européen qui juge en riant qu’ils sont surtout destinés à faire croire à la France qu’elle est encore une grande puissance, en passant par Jean-Paul Ngoupandé, le ministre centrafricain des Affaires étrangères, qui estime que la réunion de Bamako était « utile, sans plus », la remise en question des grands-messes franco-africaines se fait de plus en plus fréquente.
Leur disparition est régulièrement annoncée au fur et à mesure que la France perd de sa présence sur le continent. Mais à Bamako, la question était d’autant plus d’actualité que Jacques Chirac y vivait probablement son dernier sommet. En terre africaine, à tout le moins. Car l’Élysée et le Quai d’Orsay ont laissé entendre que le cinquième sommet de Chirac (contre dix pour François Mitterrand) pourrait ne pas être l’ultime. Et qu’il n’est pas exclu que « Chirac l’Africain » décide de réunir ses amis en 2007, à la veille de l’élection présidentielle française, pour leur faire ses adieux, avant d’en faire de même avec ses concitoyens.

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