Maroc : la campagne de vaccination démarre… mais des questions demeurent

Les Marocains vont commencer à être vaccinés d’ici la fin du mois de janvier. Retard de livraison, nombre de doses, efficacité du vaccin, coût pour le gouvernement… JA fait le point sur une situation complexe.

Le personnel médical utilise des kits de test pour diagnostiquer le Covid-19 dans un laboratoire médical à Rabat, au Maroc, le 25 novembre 2020 (illustration). © Chadi/Xinhua/MAX PPP

Le personnel médical utilise des kits de test pour diagnostiquer le Covid-19 dans un laboratoire médical à Rabat, au Maroc, le 25 novembre 2020 (illustration). © Chadi/Xinhua/MAX PPP

Publié le 27 janvier 2021 Lecture : 6 minutes.

Les vaccins arrivent au compte-goutte. Ce 27 janvier, le royaume a reçu 500 000 doses du vaccin chinois Sinopharm. Cinq jours auparavant, il réceptionnait 2 millions de doses du vaccin AstraZeneca en provenance d’Inde et fabriquées par le Serum Institute Of India (SII). Au sein du ministère de la Santé et du Comité technique de vaccination, l’heure est au « ouf » de soulagement. Après plusieurs reports, les premières vaccinations devraient démarrer dès ce vendredi 29 janvier, sur le personnel soignant, les forces de l’ordre et les personnes âgées ou vulnérables.

La pression sur le ministère de la Santé, en particulier celle des médias et de l’opinion publique, était devenue intenable. Et pour cause, en novembre, le Maroc était supposé être l’un des premiers pays au monde à démarrer une campagne de vaccination anti-Covid 19. L’État annonçait un lancement avant la fin de l’année, avec l’objectif de vacciner 80 % de sa population adulte d’ici fin mars, un super-deal passé avec la Chine (priorité du Maroc sur le vaccin en échange d’une participation aux essais cliniques), et même le conditionnement, voire à terme, la fabrication des vaccins sur le sol marocain. Surtout, le Maroc « s’était déjà assuré », selon les termes utilisés par les experts de la Santé, « 65 millions de doses de vaccins ».

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À la fin du mois de janvier 2021 pourtant, la logistique de l’État est 100 % prête, mais la campagne balbutie encore. Le tout dans un contexte sanitaire certes moins inquiétant depuis quelques semaines mais toujours critique, et des restrictions toujours aussi pesantes. Le point sur ce que l’on sait.

  • Y a t-il eu un retard de livraison ?

À ce jour, le Maroc a reçu 2 millions de doses du vaccin britanico-suédois AstraZeneca, fabriqué en Inde, et 500 000 doses du vaccin chinois Sinopharm. En tout, cela permet de vacciner 1,25 million de personnes. Selon les experts du Comité technique de vaccination, « 8 autres millions de doses du vaccin d’AstraZeneca sont censées être livrées très prochainement au Maroc », ce qui représenterait en tout la moitié du total de la commande passée auprès d’AstraZeneca, qui s’élève à 20 millions de doses. Le royaume a délivré une autorisation temporaire d’urgence (d’une durée de 12 mois) d’utilisation du vaccin AstraZeneca, le 6 janvier dernier.

Du côté de Sinopharm, il y a eu un léger retard à l’allumage, pour une question de procédure. « Par exemple, les Emirats arabes unis ont délivré une autorisation de mise sur le marché (AMM) du vaccin Sinopharm avant la Chine. Au Maroc, nous avons préféré suivre la procédure normale : d’abord recevoir l’AMM chinoise pour étudier tous les papiers et délivrer notre propre AMM. Résultat, nous n’avons terminé que la semaine dernière », précise une source du Comité technique de vaccination, qui s’attendait tout de même à ce que la Chine envoie plus que 500.000 doses pour commencer. « Pour l’instant, Sinopharm dit qu’il tiendra son calendrier, nous l’espérons. »

Aucun pays au monde n’a de contrôle ni même de visibilité sur le calendrier de livraisons des vaccins

À la décharge du royaume, aucun pays au monde n’a de contrôle ni même de visibilité sur le calendrier de livraisons des vaccins. « La demande mondiale est beaucoup plus forte que l’offre, et les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas la capacité de fabriquer des dizaines de millions de doses en un temps record », précise Moulay Tahar Alaoui, le président du Comité technique de vaccination. Récemment, la Commission européenne a elle-même exprimé son mécontentement quant à la lenteur des livraisons du vaccin AstraZeneca et pointé « un manque de clarté ».

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Le 22 janvier, lorsque le royaume a reçu la livraison d’AstraZeneca, plusieurs experts au sein du Comité technique de vaccination ont estimé que le Maroc devait revoir sa commande globale (65 millions) à la baisse, et laissé entendre que cela ferait partie de la nouvelle stratégie du ministère de la Santé. Quelques jours plus tard pourtant, le chiffre est maintenu. Le Maroc souhaite vacciner 80% de sa population adulte, soit 20 millions de personnes, ce qui nécessite 40 millions de doses.

  • Quid de l’efficacité des vaccins ?

En Europe, c’est la grande polémique du moment. Le vaccin développé par AstraZeneca serait faiblement efficace sur les personnes âgées de plus de 65 ans, de 8 % à moins de 10 % , selon des sources allemandes. Une information qui pourrait bouleverser les stratégies nationales de vaccination de plusieurs pays européens, dont la France. Depuis, AstraZeneca et le ministère allemand de la Santé ont démenti.

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Mais le flou demeure, en raison notamment d’un manque de données issues des essais cliniques — un nombre trop faible de personnes âgées ayant fait partie des volontaires. Fin novembre, le laboratoire a annoncé une étude supplémentaire sur ce sujet, mais les résultats ne sont pas encore tombés. Au Maroc, un membre du comité technique de vaccination affirme que ce dernier se base sur « les résultats des Émirats arabes unis, qui fait état d’une efficacité de 79,3 % [AstraZeneca a annoncé un taux d’efficacité globale de 70%]. » Nous vérifierons nous-mêmes sur le terrain, mais l’OMS a donné la pré-qualification pour les deux vaccins que nous avons commandé, cela signifie qu’ils ne sont pas moins efficaces que 50 %. »

Le flou demeure, en raison notamment d’un manque de données issues des essais cliniques

Du côté de Sinopharm, en revanche, c’est le grand flou. Fin décembre, le laboratoire a annoncé un taux d’efficacité de 79 %, et le vaccin a été autorisé par les autorités chinoises. Seulement voilà, Sinopharm a développé deux injections à base de virus « inactivé » – deux vaccins pour faire simple : une à Wuhan, l’autre à Pékin. Le vaccin de Wuhan a fait l’objet d’essais cliniques de phase 3 au Maroc, celui de Pékin a été testé aux Emirats arabes unis, au Bahreïn et en Égypte. Finalement, c’est le second, celui de Pékin, qui a reçu une autorisation du gouvernement chinois. Or au Maroc, le ministère de la Santé n’a divulgué aucune information concernant le vaccin chinois commandé, son origine d’abord (Wuhan ou Pékin), ni même son efficacité et sa sûreté. Dans les médias, plusieurs experts estiment que « Wuhan ou Pékin, il s’agit du même vaccin ».

Mais au niveau mondial, de nombreux chercheurs affirment qu’il est primordial de distinguer ces deux injections. Celles-ci n’ont pas donné les mêmes résultats au cours de leurs essais cliniques (notamment en phase 1 et 2). En attendant les résultats des essais de phase 3 qui n’ont toujours pas été rendus publics… mais dont on sait déjà qu’il n’a ni été testé sur les personnes âgées ni sur les personnes vulnérables. Pour l’instant, le vaccin chinois importé au Maroc n’est donc pas précisément identifié.

  • Combien ça coûte ?

L’État a déjà annoncé que le vaccin serait gratuit pour tout le monde (Marocains et résidents étrangers), mais on ignore combien cela va coûter au gouvernement. Le ministère de la Santé n’a pas le droit de divulguer les prix, car les laboratoires exigent le respect de clauses de confidentialité afin de conserver des marges de négociation avec leurs différents clients.

Au printemps dernier, le président chinois Xi Jinping, avait exprimé la volonté que le vaccin chinois soit accessible et abordable, comme un « bien public ». Cet été, le président du groupe Sinopharm, Liu Jingzhen, a quant à lui annoncé que la double dose du produit coûterait environ 115 euros une fois sur le marché.

Adar Poonawalla, le PDG du Serum Institute Of India, qui fabrique le vaccin AstraZeneca et l’achemine au Maroc, a, lui, déclaré que les 100 premières millions de doses, destinées au gouvernement indien, seraient vendues à 25 DH (2,30 euros), alors que les doses vendues sur le marché grimperaient à 120 DH (11,06 euros). Des informations démenties par le gouvernement indien. AstraZeneca a ensuite annoncé qu’elle commercialiserait son vaccin à prix coûtant, soit 2,50 euros. Dans les faits, en Europe, il coûte actuellement environ 1,78 euros.

Sur le continent, l’Afrique du Sud, l’un des pays le plus touchés par le Covid-19, a acheté les vaccins d’AstraZeneca 2,5 fois plus cher que les pays européens, soit 4,32 euros. Pourquoi ? Parce que l’Afrique du Sud, première puissance du continent, est considéré comme un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, et qu’elle n’a pas contribué à la recherche et au développement du vaccin. Qu’en est t-il pour le Maroc, qui n’a pas participé non plus au développement du vaccin AstraZeneca ? Mystère…

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