L’opinion se fait entendre

La présidentielle de décembre 2004 a affaibli l’opposition et bouleversé le rapport des forces. Le monde associatif s’impose désormais dans le débat public.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

L’assassinat, en avril 1999, du président Ibrahim Maïnassara Baré par un membre de sa garde a constitué le premier « régicide » de l’histoire du Niger. Cela avait alors valu à ce pays, l’un des plus pauvres de la planète, un isolement diplomatique insupportable, doublé d’une brutale interruption du dialogue avec les institutions financières internationales. Six ans plus tard, cette situation relève du souvenir. Le Niger, représenté par le président Mamadou Tandja, assure la présidence en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), joue un rôle déterminant dans la crise ivoirienne et accueille une compétition sportive internationale : les jeux de la Francophonie.
En 1999, confier l’organisation d’un tel événement au Niger était alors une gageure : instabilité politique, fragilité du processus de paix avec la rébellion touarègue au Nord, multiplication des mutineries au sein de la troupe et situation économique catastrophique. Si aujourd’hui Niamey est en mesure d’accueillir tous les sportifs « ayant le français en partage », il le doit à plusieurs facteurs. La classe politique a fait preuve de responsabilité au lendemain de l’assassinat du président Baré. La junte au pouvoir a respecté son engagement d’organiser des élections générales transparentes dans un délai raisonnable. La société civile, enfin, a apporté sa pierre à l’édifice en participant activement à abréger la période de transition du pouvoir militaire. L’ancien parti unique, le Mouvement nigérien pour la société de développement (MNSD-Nassara) de Mamadou Tandja, est redevenu la première force politique du pays. Un Nigérien sur trois se réclame du MNSD. Après un premier mandat qui a servi à la stabilisation des institutions et à l’assainissement des finances publiques, Tandja a sollicité, le 4 décembre 2004, une nouvelle fois le suffrage de ses compatriotes pour se voir confier un second mandat. Le jeu d’alliances au cours de ce scrutin a créé une situation inédite en Afrique. La majorité de la classe politique a soutenu Mamadou Tandja, contraint à un second tour par Mahamadou Issoufou, patron du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Taraya). La large coalition formée autour de Tandja a évidemment contribué à la défaite du socialiste Issoufou, mais elle a surtout engendré une dilution de l’opposition incarnée désormais par les seuls socialistes. Hormis Issoufou, les grands acteurs de la vie politique nationale se sont donc retrouvés associés au pouvoir. Mahamane Ousmane, chef de la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama), s’est maintenu à la présidence de l’Assemblée. Les autres dirigeants ont acquis des fonctions prestigieuses pour les uns, et des strapontins pour les autres. Cette situation a contribué à décrédibiliser la classe politique aux yeux de l’opinion. Celle-ci assimile désormais les « politiciens » à des opportunistes guettant la direction du vent pour éviter à tout prix de se retrouver dans l’opposition, ce qui les conduirait à se voir priver des subventions publiques destinées au financement des partis. Cette méfiance à l’égard de la classe politique explique sans doute la montée en puissance de la société civile. Les manifestations de rue organisées après l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les produits de première nécessité en mars 2005 ont placé sur le devant de la scène de nouvelles figures dans la contestation. C’est notamment le cas de Nouhou Arzika, président de la Coalition contre la vie chère et de l’Organisation des consommateurs du Niger (Orconi), de Morou Amadou, président d’une ONG de défense des droits de l’homme, d’Issa Kassoum, secrétaire général du Syndicat national des enseignants du Niger (Snen), ou encore de Moussa Tchangari, figure du monde associatif. Aucune personnalité politique ne s’étant mobilisée, aucune n’a été arrêtée. Ce sont ces jeunes qui ont été interpellés par les forces de l’ordre. Ce sont encore eux qui ont dirigé les négociations avec le gouvernement pour qu’il retire son projet de hausse de la TVA. Les leaders ont été relâchés, la disposition controversée retirée, et la classe politique discréditée par l’opinion.
Cet épisode est révélateur de la vitalité du Niger. Une décision dramatique pour le panier de la ménagère, préconisée par le FMI et contestée par la rue, a donné naissance à une nouvelle opposition issue du monde associatif. Pauvreté et dénuement n’ont pas empêché l’éclosion d’une génération d’hommes qui font de la politique autrement. Et avec plus d’efficacité, si l’on en juge par les résultats. La crise de la TVA a confirmé ce que l’on savait déjà : alors que le président de la République s’est cantonné à son rôle de vieux sage, le Premier ministre s’est attaché à garder le pays sous contrôle. Avec un certain talent : Hama Amadou a su se montrer ferme (en envoyant les CRS pour « maintenir l’ordre public contre la menace des casseurs »), souple (il a fini par entendre les revendications de la rue) et responsable (il a retiré cette mesure après s’être assuré que le FMI ne sanctionnerait pas son choix).
En attendant la fin de la présente législature (les prochaines élections ne se tiendront pas avant 2009), les nouveaux leaders de l’opinion ne trépignent pas d’impatience. Comme s’ils avaient pris conscience de leurs nouvelles responsabilités (certes virtuelles). Ils jouent déjà un rôle de contre-pouvoir. Ils veillent à ce que le gouvernement tienne ses engagements et font preuve de discernement. Refusant de sombrer dans la facilité consistant à tout mettre sur le dos du gouvernement, ils savent que le pays doit également jongler avec une pluviosité capricieuse, le contrecoup de l’invasion de criquets de 2004, les conséquences de la flambée du pétrole, les effets de la crise ivoirienne et les injonctions des bailleurs de fonds. Mais aujourd’hui, anciens et nouveaux leaders n’ont qu’une obsession : faire en sorte que les jeux de la Francophonie soient une réussite.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires