[Tribune] Guerre d’Algérie : la question des excuses est une affaire franco-française
Alors que l’historien Benjamin Stora a remis à Emmanuel Macron son rapport sur la colonisation et la guerre en Algérie, la question des excuses et de la repentance de la France pollue une fois de plus les débats.
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Nadia Henni-Moulaï
Journaliste, auteure de « 1954-1962 – La guerre d’Algérie. Portraits croisés » (aux éditions Les Points sur les i)
Publié le 28 janvier 2021 Lecture : 4 minutes.
Notre devoir de mémoire a-t-il besoin des excuses de la France pour s’exprimer ? Alors que l’historien Benjamin Stora vient de remettre au président Emmanuel Macron son rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », le débat tourne autour d’une annonce, celle de l’Élysée, faite au même moment. « Ni excuse, ni repentance », plutôt des « actes symboliques », a en effet martelé Paris. Une façon pour l’État français de border le sujet, de se prémunir de tout soupçon d’acte de contrition, surtout.
Dans l’Hexagone, si certains s’enthousiasment des vingt préconisations du rapport de Benjamin Stora, d’autres s’agacent non seulement du refus de la France de présenter des excuses et de faire acte de repentance mais, surtout, de l’instrumentalisation qui en est faite. Les excuses et la repentance sont une affaire franco-française.
Posture d’équilibriste
Regardons les faits, comme le requiert Benjamin Stora. L’État algérien n’a jamais exigé – de manière officielle en tout cas – d’excuses de son homologue européen. Et s’il a imposé le récit officiel de la guerre d’indépendance pour mieux asseoir sa légitimité depuis 1962, l’État français en a fait autant. Belle illustration de cette écriture étatique de l’Histoire, les manuels scolaires. On y enseigne la décolonisation plutôt que la colonisation, évitant ainsi assez habilement d’interroger la violence qu’elle sous-tend.
Par un glissement sémantique, la Toussaint rouge est désignée par l’euphémisme « les événements d’Algérie ». D’ailleurs, il aura fallu attendre quarante ans pour que l’Assemblée nationale française adopte une proposition de loi reconnaissant l’expression « guerre d’Algérie ». Et sans doute autant de temps, on peut le penser, pour essayer d’acter la fin de l’empire colonial et la perte du joyau algérien.
La guerre d’Algérie et, en filigrane, la colonisation, hantent la mémoire de millions de Français
Entre rapatriés, harkis et anciens appelés, la guerre d’Algérie et, en filigrane, la colonisation, continuent donc de hanter la mémoire de millions de Français. À travers leurs histoires mais aussi celles de leurs descendants qui, à bien des égards, charrient tous les non-dits et les amertumes de leurs aïeux. C’est en leur nom que le rejet des excuses est brandi aussitôt que le sujet de la réconciliation mémorielle revient sur le devant de la scène. S’excuser serait, à leurs yeux, acte de parjure. Écartelée entre la loyauté qu’elle leur doit et la justice qu’elle doit à l’Algérie, la République française adopte une posture d’équilibriste dont elle a bien du mal à se départir. D’autant que le poids de l’Histoire ne penche pas en sa faveur.
Se dédouaner de ses responsabilités
« Reconnaître les mémoires pour laisser le passé passer » – comme le twittait Emmanuel Macron le 6 décembre 2017 lors de sa visite au Makam El Chahid, à Alger – peut-il permettre à la France de solder ce passif ? Pas si sûr. D’autant qu’il a semé d’importants rhizomes dans la société française. La rancœur liée à la perte du département d’outre-mer a infusé le récit national français, infectant les plaies encore à vif de la République.
Racisme, discriminations, stigmatisation… Ces fléaux ont vu le jour non pas avec des générations d’Algériens nés en France mais bien dans le fracas de la défaite de 1962. Comme l’explique l’historien Yvan Gastaut, la « mémoire négative » de la guerre d’Algérie a posé les bases d’un racisme anti-maghrébin. Cette antienne, alors, « ni excuse, ni repentance », n’est que l’avatar de ce larsen qui siffle à bas bruit mais sans relâche depuis soixante ans. Avec un espoir : se dédouaner de ses responsabilités. La République ne refuse pas de s’excuser. Elle n’assume pas. C’est autre chose.
Un problème franco-français
Depuis deux ans et le début du Hirak, les Algériens s’emploient tant bien que mal à reprendre en main leur destin si souvent confisqué par ceux d’en-haut. Avant cela, il y a eu la décennie noire. Peu d’entre eux ont oublié l’absence de solidarité internationale à leur égard. Comment penser que ce peuple entré dans l’Histoire par la grande porte attende des excuses de l’ex-colonisateur ? A-t-il besoin de son adoubement pour décrocher le statut de victime qu’un jour il fut ?
Si l’histoire repose sur une approche scientifique, la mémoire de la colonisation, elle, repose sur des vécus. Et en la matière, il n’y a pas de doute : la colonisation française en Algérie fut une abomination. Elle rime avec 132 ans de violences, d’humiliations, de spoliations, d’exactions…
Si la France doit des excuses, c’est d’abord à elle-même et à ses idéaux, bafoués en Algérie pendant 132 ans
Pour autant, la question des excuses relève d’une construction tronquée et manipulatoire du débat. Tronquée parce que, encore une fois, elle est un problème franco-français. Manipulatoire parce qu’elle vise à placer au même niveau bourreaux et victimes. Historiquement c’est faux, et c’est surtout déresponsabilisant.
Depuis vingt ans, l’épouvantail des excuses pétrifie les relations entre les deux pays. Le temps d’assumer ce que la République fut est venu. Il en va de la justice, de la vérité et de l’avenir de cette société qui se fissure sous nos yeux. Comme l’écrit Benjamin Stora : « Le métissage (vivre-ensemble) a échoué dans l’Algérie coloniale mais dans la France d’aujourd’hui, c’est un enjeu majeur ». Si la France doit des excuses, c’est d’abord à elle-même et à ses idéaux, bafoués en Algérie pendant 132 ans.
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