L’exil et le royaume

Victimes de la réforme agraire, beaucoup de fermiers blancs ont quitté leur terre natale pour s’installer ailleurs sur le continent.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Ils se sont installés au Mozambique, en Zambie, au Botswana, au Malawi ou plus récemment au Nigeria. Expropriés dans le cadre de la réforme agraire lancée en 2000 par le régime de Robert Mugabe, environ 4 000 des 4 500 fermiers blancs du Zimbabwe ont quitté leur terre natale. Mais pas forcément le continent. Les quelque 500 familles qui sont restées, malgré les menaces pesant sur leur sécurité, se partagent aujourd’hui 3 % des terres. Jadis propriétaires du tiers des terrains – et de 70 % des sols les plus fertiles du pays -, les fermiers blancs ont payé le prix de leur trop forte domination.
Au premier rang des destinations des exilés : le Mozambique et la Zambie, dont les gouvernements ont tout mis en oeuvre pour favoriser leur implantation. Pour une raison évidente, puisque seules 10 % à 20 % des terres arables étaient cultivées en 2000. La politique adoptée par les voisins d’Harare s’est rapidement révélée payante. Au Mozambique, où plusieurs centaines de fermiers ont trouvé refuge, les exportations de la province de Manica, frontalière du Zimbabwe, ont été multipliées par dix entre 2002 et 2003.
« Avant, les Mozambicains allaient au Zimbabwe pour acheter de la nourriture. Maintenant, ce sont les Zimbabwéens qui viennent chez nous », se réjouit Cremildo Rungo, cadre agricole à Manica. D’après les statistiques officielles, les nouvelles exploitations, qui s’étendent sur 22 000 hectares précédemment à l’abandon, auraient créé plus de 10 000 emplois. De nouveaux produits comme les fleurs et le tabac ont fait leur apparition, et la production de céréales a progressé de plus d’un tiers. « Les fermiers blancs du Zimbabwe sont les plus compétents du continent, devant ceux d’Afrique du sud », affirme Felicio Zacarias, agronome de formation et ancien gouverneur de la province de Manica. Sont-ils pour autant les bienvenus dans ce pays qui avait chassé les colons portugais en 1975 au lendemain de l’indépendance ? Pour éviter de reproduire les schémas du passé, la terre demeure propriété de l’État, qui cède des parcelles de 1 000 hectares pour une durée de cinquante ans. La population et les dirigeants locaux sont consultés avant de confier un terrain à un étranger. Ce qui n’empêche pas les différends entre les fermiers et leurs employés, peu enclins à accepter les règles fixées par ces nouveaux patrons blancs.
En octobre dernier, une radio locale s’est faite l’écho des revendications d’un syndicat de paysans dénonçant « des pratiques esclavagistes ». L’emploi de réfugiés zimbabwéens est également vu d’un mauvais oeil par les Mozambicains. Pour l’instant, l’état de grâce perdure dans un pays marqué par les ravages de la guerre civile et par le souvenir des récentes famines. Mais pour combien de temps ?
Le scénario est à peu près identique en Zambie. Même si les autorités se font plus discrètes sur l’arrivée des fermiers zimbabwéens. « Au départ, nous craignions que le racisme ne refasse surface. Jusqu’au sein du gouvernement, où certains considéraient que nous devrions être solidaires du président Mugabe et refuser de les accueillir. Mais nous avions besoin d’eux », avouait, début 2004, le vice-ministre de l’Agriculture, Chance Kabaghe. Depuis, ils ont créé des emplois, augmenté les rendements agricoles et modernisé les exploitations, généralement louées à long terme à des propriétaires qui n’avaient ni les moyens techniques, ni les ressources financières pour les développer. Trois ans après l’arrivée des premiers exilés, la production de maïs a doublé. Et Lusaka rejoignait les rangs des exportateurs alimentaires, après des années de famine.
Face à ce succès, le Centre d’Investissement de Zambie leur a accordé des dizaines d’actes de propriété. Les 150 000 fermiers locaux, tout en se réjouissant des progrès enregistrés par le pays, dénoncent les facilités financières accordées aux nouveaux arrivants. « Contrairement à nous, ils bénéficient à la fois de financements locaux et internationaux », explique le fermier zambien, Thirfty Stephenson. La société américaine Universal Leaf Tabacco a ainsi prêté 30 millions de dollars à des exploitants de tabac pour l’acquisition de matériel.
Désormais, l’exode des expropriés zimbabwéens sur le continent dépasse les frontières de l’Afrique australe. Sur invitation du président nigérian Olusegun Obasanjo, quinze fermiers – des pionniers qui pourraient être suivis par d’autres compatriotes – se sont installés début 2005 dans la province de Kwara, dans le sud-ouest du pays le plus peuplé du continent. Bukola Saraki, gouverneur de la province, compte sur eux pour revitaliser une agriculture largement négligée depuis plus de quatre décennies au profit de l’industrie pétrolière. « Si je pensais que nos fermiers avaient les mêmes capacités, je ne les aurais pas invités, affirme Saraki. Lorsque nous avons trouvé du pétrole dans le delta du Niger, nous n’avons pas demandé aux Nigérians de forer. Nous avons fait appel à des experts étrangers. »
Les heureux élus bénéficient naturellement de facilités fiscales, qui ne sont pas accordées aux fermiers locaux. Une situation qui pourrait, à long terme, créer un ressentiment à leur encontre. D’autant que, selon Alan Jack, porte-parole des nouveaux arrivants, plus de 200 familles s’établiront au Nigeria dans les cinq ans à venir.

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