L’affaire Elhadji Mamadou Sylla

Accusé d’avoir détourné 36 millions d’euros, le PDG de la première entreprise du pays vient d’être blanchi. Il reste cependant au centre de la rivalité entre le chef de l’État et son Premier ministre.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Depuis plusieurs mois, la controverse agite le microcosme politique guinéen, fait la une des journaux et agrémente les discussions de salon. Après moult rebondissements, ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Mamadou Sylla » – du nom de ce célèbre homme d’affaires accusé d’avoir indûment perçu des fonds publics pour un audit commandité par le Premier ministre Cellou Dalein Diallo – semble avoir trouvé son épilogue. C’est en tout cas ce que laisse entendre le « rapport définitif » signé le 2 décembre 2005 par le ministre à la présidence chargé du contrôle économique et financier, Kémo Charles Zogbélémou. Une contre-expertise demandée par le chef de l’État Lansana Conté à un groupe composé du secrétaire général à la présidence Fodé Bangoura, du ministre des Finances Madikaba Camara, du gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) Alkhaly Mohamed Daffé, et de Kémo Charles Zogbélémou.
Ses conclusions se veulent sans appel : le montant de 181 milliards de francs guinéens (36 millions d’euros) – indûment payé à Elhadji Mamadou Sylla selon la première étude – correspond bien à des livraisons de matériel et à des prestations effectivement exécutées au bénéfice de l’État par Futurelec Holding, le groupe de l’homme d’affaires. Après avoir revu, dans le détail, les transactions entre les deux parties, le rapport du 2 décembre conclut que c’est désormais le Trésor public qui doit à l’entreprise 6,124 millions de dollars (5,2 millions d’euros) et 13,9 milliards de francs guinéens (environ 2,5 millions d’euros). Ce dernier montant constitue le différentiel entre des livraisons de l’homme d’affaires évaluées à 29,075 milliards de francs guinéens (5,7 millions d’euros) et la somme de 15,121 milliards de francs guinéens (2,9 millions d’euros) qu’il doit à la BCRG à la date du 15 novembre dernier.
Les résultats de la contre-expertise apportent un démenti au rapport d’audit remis le 16 août 2005 au chef de l’État par l’ancien gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) devenu consultant, Kerfalla Yansané. Lequel établit que Futurelec a frauduleusement soustrait aux finances publiques la somme de 181 milliards de francs guinéens indûment perçue en diverses monnaies (53,1 milliards de francs guinéens, 26,7 millions de dollars et 4,9 millions d’euros). En guise de preuves, Yansané évoque « de graves violations des normes et procédures concernant la libre concurrence, la liberté de commerce, le code des marchés, le règlement général sur la comptabilité publique, et les statuts de l’institut d’émission qu’est la BCRG », ainsi que « des surfacturations, des risques de non-conformité technique des livraisons ou des livraisons fictives ». Émanant d’un professeur d’université réputé compétent, le rapport tenu secret ne pouvait être qu’un pavé dans la mare. La presse locale en fait largement écho, et les chancelleries occidentales en poste à Conakry s’y intéressent.
Inconnu il y a seulement une demi-douzaine d’années, Elhadji Mamadou Sylla, devenu subitement la première fortune du pays, suscite interrogations et controverses. Nombre de ses compatriotes associent l’ascension fulgurante de cet autodidacte de 45 ans à sa proximité avec Lansana Conté. Le Premier ministre n’est pas loin de le prendre pour un obstacle dans son entreprise d’assainissement des finances publiques. Après quelques escarmouches, il déclenche les hostilités, dépêche Yansané pour y voir plus clair dans les comptes de Futurelec Holding, le tentaculaire groupe de l’homme d’affaires qui s’est hissé en un temps record au rang de première entreprise du pays.
Dans une lettre de mission signée de juillet 2005, Cellou Dalein Diallo demande à l’auditeur de faire le point sur toutes les transactions financières entre l’État et Futurelec. Et, pour ce faire, de mener des investigations auprès du ministère des Finances, de la BCRG, de l’entreprise concernée, et de toutes les administrations ou structures susceptibles de lui apporter des éclairages. Sollicité, Sylla refuse de recevoir Yansané. « Je ne peux pas consacrer du temps à un audit mené dans l’illégalité, hors la volonté du président de la République », lui explique-t-il. L’auditeur n’en poursuit pas moins ses recherches et rédige son rapport. Au vu des résultats, Lansana Conté charge Cellou Dalein Diallo de donner suite à l’étude et, le cas échéant, de demander à Elhadji Mamadou Sylla de rembourser les sommes indûment perçues.
Voilà qui n’est pas simple. Le Premier ministre est notamment confronté au double jeu du chef de l’État. Qui reçoit Diallo le matin pour l’assurer de son soutien, et rend visite à Sylla l’après-midi, soit à son domicile du quartier Dixinn-Bora, à Conakry, soit au siège du Conseil national du patronat que dirige l’homme d’affaires, au centre de la capitale. Au plus fort de la polémique, alors que le Premier ministre est fin prêt à en découdre avec l’homme le plus riche du pays, le chef de l’État reçoit ostensiblement Sylla le 22 octobre à Wawa, le « félicite pour les multiples bonnes actions » qu’il mène dans le cadre de l’Union pour le développement intégré de la Basse-Guinée (Udibag, un groupe de pression regroupant les cadres de l’ethnie soussoue, celle de Conté).
Comme pour montrer qu’il ne boxe pas dans la même catégorie que son ennemi intime, le patron des patrons sillonne le pays à bord de l’hélicoptère présidentiel pour les besoins de l’Udibag, marque des étapes remarquées les 12 et 13 novembre en Guinée forestière.
Il n’empêche : la controverse enfle de jour en jour. L’affaire devient une véritable crise au sommet de l’État, creuse le fossé entre le Premier ministre et ses affidés d’un côté et, de l’autre, les proches de l’homme d’affaires comme le secrétaire général de la présidence, Fodé Bangoura, ou le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé.
Menacé d’implosion, le gouvernement décide d’aborder la question de l’audit à l’occasion d’un conseil interministériel, le 17 novembre. Les ministres de la Sécurité, Ousmane Camara, et de la Fonction publique, Alpha Ibrahima Keira, se joignent à Cellou Dalein Diallo pour exiger que Sylla rende des comptes. Le ministre des Finances, Madikaba Camara, n’est pas d’accord et déclare qu’aucune décision ne sera prise avant que le groupe d’enquête mis en place par le chef de l’État ne publie les résultats de son travail. L’incident est évité de justesse.
Les bailleurs de fonds suivent l’affaire et attendent d’y voir plus clair. Interrogé lors de son passage à Conakry, fin novembre, Mamadou Dia, le directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Guinée, reconnaît avoir discuté de la question avec les autorités guinéennes. Avant d’ajouter, diplomate, que le rapport de Yansané – dénué des réponses de Sylla aux reproches qui lui sont adressés – était incomplet et qu’il fallait attendre les résultats de la contre-expertise, qui pouvait faire évoluer les chiffres dans un sens ou dans l’autre.
C’est chose faite depuis le 2 décembre dans un document qui tranche : « Le rapport d’audit [de Yansané] ne prend pas en compte les pertes de change consécutives aux dispositions de l’article 5 de la convention de restructuration du 25 octobre 2004. Des prestations de Futurelec ont été omises. […] La situation des livraisons et des paiements dressée par le rapport n’est pas exhaustive. »
Rideau donc sur plusieurs mois de polémiques et de surenchères. Elhadji Mamadou Sylla a gagné une bataille. A-t-il pour autant remporté la guerre ?

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