L’abbé Pierre à confesse

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

L’abbé Pierre est l’homme le plus populaire de France, depuis fort longtemps, et sa renommée s’étend bien au-delà de son pays. Il a fait voeu de pauvreté, s’est voué à l’amour de son semblable et à aider ceux qui souffrent.
À 93 ans, il a confié ses « petites méditations sur la foi chrétienne et le sens de la vie » à Frédéric Lenoir, qui en a fait un petit livre, Mon Dieu… pourquoi ?, édité par Plon.
La presse, gourmande de « mots qui choquent », a cité ce livre parce que l’Abbé, parlant du désir sexuel, dit qu’il est « l’un des puissants instincts de la vie », ce qui est une banalité mais révèle que lui, qui a consacré sa vie à Dieu et aux autres, et a donc fait voeu de chasteté, y a, néanmoins, « cédé de manière passagère », mais sans « liaison régulière », « sans laisser le désir sexuel prendre racine ».

Ce livre m’a vraiment intéressé, moi qui ne suis pas catholique, ni même chrétien. Je l’ai lu attentivement et de bout en bout. Deux développements ont retenu mon attention, plus particulièrement.
L’un traite du rôle limité de la femme dans l’Église catholique ; l’autre des croisades.
Je vous les donne à lire dans cette pépite : vous aurez ainsi un spécimen de la pensée de l’abbé Pierre et mesurerez combien elle est originale.

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Jésus-Christ aurait très bien pu être une femme

Je n’ai jamais compris pourquoi Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger avaient affirmé que jamais l’Église n’ordonnerait des femmes. Une telle affirmation suppose que cette pratique serait non conforme à la substance même de la foi chrétienne. Or ceux qui prennent de telles positions, quelles que soient leurs éminentes fonctions, n’ont jamais
avancé un seul argument théologique décisif qui démontre que l’accès des femmes au sacerdoce serait contraire à la foi.
Le principal argument avancé, c’est que Jésus n’a choisi aucune femme parmi ses apôtres, alors même qu’il était entouré de nombreuses femmes. Pour moi, cet argument n’a rien de théologique mais relève davantage de la sociologie. Dans les coutumes de l’époque, en effet, que ce soit chez les Juifs, les Grecs ou les Romains, les femmes n’exercent aucune fonction officielle. Or ces coutumes, on le sait bien, relèvent d’une mentalité machiste liée à la domination du modèle patriarcal. L’homme est considéré comme supérieur à la
femme, plus rationnel et seul capable de gouverner ou d’enseigner.
Dans un tel contexte on voit mal Jésus, aussi libre soit-il, aller à contre-courant d’une coutume qui imprégnait tous les peuples du Bassin méditerranéen. Cela aurait créé beaucoup trop d’incompréhension. Mais on voit mal pourquoi aujourd’hui, alors que les
mentalités ont profondément évolué sur cette question, l’Église devrait rester fidèle à ce préjugé.
Qui peut en effet encore soutenir que la femme est inférieure à l’homme ou bien incapable
d’enseigner et de gouverner ? Nous avons connu au cours des dernières décennies une véritable révolution culturelle qui a permis à de nombreuses femmes d’accéder avec bonheur aux plus hautes responsabilités : que l’on songe seulement à Indira Gandhi en Inde, Margaret Thatcher en Grande-Bretagne ou Benazir Bhuto au Pakistan. Quant à l’enseignement théologique, les facultés protestantes ont montré depuis longtemps qu’elles possédaient d’excellentes théologiennes laïques ou membres de la hiérarchie.
En disant cela, je ne nie nullement qu’il puisse exister des différences ontologiques entre l’homme et la femme. Je crois en effet que la femme est généralement plus portée à la compassion, plus intuitive, plus affective, et l’homme davantage logique, organisateur.
Mais cela n’est pas systématique, et, de même qu’il existe des hommes très intuitifs et compassionnels, il existe des femmes très rationnelles et qui ont de remarquables capacités d’organisation. On voit mal pourquoi refuser à ces femmes qui s’en sentent la vocation et les capacités l’accès aux ministères ordonnés.
Reste un ultime argument pour les défenseurs du sacerdoce uniquement masculin: Jésus était un homme, et puisque le prêtre agit in persona christi, il ne peut qu’être du même sexe que le Christ. Cet argument me semble du même ordre que le précédent. Le Christ, en tant que seconde personne de La Trinité, n’a ni sexe masculin ni sexe féminin. Jésus, en tant qu’incarnation de cette personne divine, ne pouvait avoir qu’un seul sexe. Compte tenu, encore une fois, des mentalités de l’époque, on voit mal comment une femme aurait pu être crédible et susciter l’adhésion d’une foule de disciples (y compris des femmes) imprégnés de préjugés antiféminins. Il m’apparaît donc évident que le choix du sexe de
Jésus est contingent et ne ressort d’aucune nécessité théologique.

La croisade de Bush

Je viens de relire une encyclopédie sur vingt siècles de christianisme, et j’ai été frappé de découvrir ce qu’ont vraiment été les croisades. Derrière le prétexte de vouloir libérer les Lieux saints et de permettre aux pèlerins de s’y rendre en sécurité s’est mise en place une gigantesque entreprise de domination, de pillages, de massacres atroces.
Cela a atteint non seulement les populations arabo-musulmanes, mais aussi les Grecs orthodoxes avec le sac épouvantable de Byzance. Il reste de cette période, qui s’est
étendue sur environ deux siècles, des traces très profondes chez les musulmans et aussi chez les orthodoxes.
L’idée même de croisade, c’est-à- dire de verser du sang pour être propriétaire des lieux de la vie de Jésus, est déjà tout à fait révoltante. Mais utiliser ce prétexte pour tuer
des populations civiles et dans le véritable but de dominer et de s’enrichir l’est encore plus.
C’est pourquoi je m’interroge sur la « croisade », ce sont ses propres mots, que George Bush est en train de mener au Moyen-Orient. Il y a eu tellement de mensonges derrière ses
beaux discours sur la volonté d’apporter la liberté et la démocratie, tellement de sang versé chez les civils innocents, tellement de bas calculs politiques et économiques, qu’on
ne peut s’empêcher de se dire que l’histoire, hélas, se répète.
Fallait-il répondre à la terrible provocation des terroristes d’al-Qaïda par une nouvelle croisade ? Guérit-on le mal par le mal ? Je crains que tout cela n’entraîne le monde dans une nouvelle guerre entre la civilisation chrétienne et la civilisation musulmane ce que souhaitait Ben Laden , conflit que l’on aurait parfaitement pu éviter avec plus de sagesse et de retenue.

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