Ghana : « Kologo », la transe sans frontières d’Alostmen

Dans un nouvel album sobrement baptisé « Kologo », le groupe composite Alostmen, formé à Accra, donne au luth ghanéen à deux cordes de nouvelles vibrations, entre rap et afrobeat.

le groupe composite Le groupe Alostmen s’est formé à Accra © Abass Ismail

le groupe composite Le groupe Alostmen s’est formé à Accra © Abass Ismail

leo_pajon

Publié le 4 février 2021 Lecture : 3 minutes.

L’histoire ressemble à un conte de fées pour mélomanes. En 2007, Stevo Atambire, un garçon des rues d’Accra, traîne dans la boutique de sa sœur, vendeuse de bananes. Il voit débarquer un drôle de personnage en jupe, pieds nus, qui prétend avoir fait une chanson avec King Ayisoba, le roi du kologo, un luth ghanéen à deux cordes. Stevo n’y croit pas vraiment… Lui-même joue du kologo dans les mariages, aux enterrements, sur les marchés, dans la rue. Il a déjà sorti quelques albums, en cassettes et cds, et s’est distingué par un style tourné vers la musique électronique. King Ayisoba est l’une de ses grandes références. Pourtant, l’homme en jupe dit vrai : il n’est autre que l’artiste multi-instrumentiste Wanlov The Kubolor et a effectivement joué avec le maître ghanéen.

Lorsque celui-ci retourne acheter des bananes, Stevo sort son kologo et commence à improviser sur l’un de ses titres, Look My Shoe. Wanlov, inspiré, sort sa koshkah (des percussions avec des boules en bois) et l’accompagne. C’est le début d’une solide amitié musicale qui a débouché sur la sortie, le 29 janvier dernier, du formidable album Kologo sur le label londonien Strut Records.

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Métissage étourdissant

Formidable, le disque l’est à plus d’un titre. D’abord parce qu’on n’avait jamais entendu le kologo comme ça. « Ma manière de jouer est spéciale, reconnaît Stevo, qui pose avec son instrument, bricolé à partir d’un bidon métallique, sur la pochette de l’album. Le kologo est l’ancêtre du banjo, de la guitare… Il a toujours existé au Ghana. Mais j’ai développé un son différent, plus électronique, qui m’a valu une reconnaissance dans le pays. »

Le morceau Minus Me concentre rien qu’à lui un nombre d’influences effarant : on y entend le rappeur Medikal poser sur une rythmique de godje, un violon sahélien à deux cordes, dont les boucles sont secondées par des flûtes et un son sourd de tambour. Un chœur, qui répond au chanteur, et des rugissements de cuivres évoquent l’afrobeat de Fela, emportant l’auditeur pour une transe sans frontières.

Wanlov the Kubolor, touche-à-tout de génie (chanteur, producteur et auteur-compositeur) déjà remarqué derrière le groupe fantasque des FOKN bois, n’est pas pour rien dans ce métissage étourdissant. D’origine ghanéenne et roumaine, il bricole depuis des années des musiques futuristes. Il n’hésite pas à utiliser des synthés vintage, à modifier artificiellement le son de certains instruments pour les faire muter (comme celui du godje, transformé en basse), ou de l’auto-tune sur la voix de Steve. Mais ce dernier, qu’il compare à Jimi Hendrix, aime aussi utiliser des pédales d’effet sur son kologo, ou faire des overdubs (un ré-enregistrement permettant d’enrichir un son).

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Peuple de la rue

La complexité de la production n’a d’égale que l’aisance des musiciens en live. Stevo, membre éminent de la communauté frafra (semi-nomade, souvent éleveurs lorsqu’ils ne se spécialisent pas dans la musique avec le kologo, mais aussi le godje et la flûte), vit sa musique. « Dans mes morceaux, je me change en journaliste, explique-t-il. Je raconte ce que je vois, ce que vivent les gens, dans la rue… C’est d’ailleurs pour ça que notre groupe s’appelle « Alostmen » (que l’on pourrait traduire par « un homme perdu »), car nous faisons partie de ce peuple de la rue, des oubliés. Je ne m’imagine pas parler de sexe, de violence, car nous voulons élever ceux qui nous écoutent, rester positifs. »

Après avoir tourné au Ghana et en Ouganda (notamment au festival Nyege Nyege qui réunit quelques-uns des jeunes groupes africains les plus talentueux), Stevo espère que son album lui ouvrira les portes de nombreuses scènes à travers le monde, pandémie ou non. « Mais je n’abandonne pas les rues d’Accra ! », souligne le musicien qui sait que s’il veut aller loin, il faut ancrer profondément ses racines.

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