Jacob Zuma

Inculpé pour viol, l’ancien numéro deux sud-africain, déjà sous le coup d’un procès pour corruption, voit le fauteuil présidentiel s’éloigner irrémédiablement.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Tout était écrit pour Jacob Zuma. Il devait prendre la succession de Thabo Mbeki à la tête de l’Afrique du Sud, en 2009, il aurait dû être le troisième chef de chantier d’une nation Arc-en-Ciel qui se veut la locomotive du continent. Il avait toutes les cartes en main pour emménager sans encombre à l’Union Building de Pretoria : la vice-présidence du pays depuis 1999, ainsi que celle du Congrès national africain (ANC) ; la légitimité historique et la popularité. Mais rarement, à ce niveau de responsabilités, homme politique n’aura fait preuve d’autant de légèreté. Sans doute lui manquait-il le sens des responsabilités, indispensable dans une démocratie assoiffée de cette justice dont il fut l’un des premiers à demander l’application et qui contrarie parfois le destin des hommes d’État.
S’il ne finit pas en prison, Jacob Zuma, 63 ans, pourrait bien terminer sa vie à l’écart des arcanes du pouvoir. Deux décisions de justice, à six mois d’intervalle, ont en effet contraint le Zoulou à revoir ses ambitions à la baisse. Le 8 juin, Shabir Shaik, homme d’affaires, son ami et ancien conseiller financier, est condamné à quinze ans de prison par un tribunal de Durban. Il est jugé coupable d’avoir donné 143 000 euros au vice-président Zuma, en échange de la protection de ses intérêts, et d’avoir négocié, pour lui, une rémunération annuelle de 60 000 euros auprès de la filiale sud-africaine de l’entreprise d’armement française Thomson (aujourd’hui Thalès).
S’il y a un corrupteur, il y a un corrompu. Thabo Mbeki tire en tout cas cette conclusion, quand, le 14 juin, il démet son second de ses fonctions, lequel reste néanmoins vice-président du Congrès national africain (ANC), plébiscité par l’aile gauche du parti noir, ainsi que par le Parti communiste (SACP) et le syndicat Cosatu, qui forment la coalition au pouvoir depuis 1994. Son procès pour corruption est prévu pour le 31 juillet 2006, mais Zuma pense encore pouvoir si ce n’est prouver son innocence, du moins plaider la négligence.
Mais ses derniers espoirs de revenir sur le devant de la scène s’évanouissent doucement au début de décembre. Poursuivi depuis un mois par une jeune femme de 31 ans, militante de la lutte contre le sida, Jacob Zuma est convoqué le 6 décembre devant le tribunal correctionnel de Johannesburg pour y être inculpé pour viol. Libéré moyennant une caution, il se retire lui-même des organes de décision de l’ANC, sauf – il y tient – de la vice-présidence. C’était sans compter les dirigeants du parti, qui ne consentent qu’à lui en laisser le titre sans les prérogatives (la Conférence nationale étant la seule apte à lui retirer ce mandat électif).
Jusqu’à son procès pour viol qui doit s’ouvrir le 13 février, et pendant toute sa durée, Jacob Zuma ne pourra plus agir ni parler en tant que numéro deux du parti. Le héros de la libération, le compagnon de Mandela dans les geôles de Robben Island, l’ancien patron des services secrets de l’ANC, ne figure plus sur les tablettes de ceux qui tirent les ficelles du pouvoir politique en Afrique du Sud. Même si le tribunal l’innocente.
Les deux procès qui l’attendent, en février puis en juillet 2006, s’annoncent d’ores et déjà comme de véritables moments de déballages des moindres détails de sa vie. Une vie que ce grand gaillard à la voix puissante, aux lunettes cerclées de vieil instituteur du bush, a menée tambour battant, comme pour se venger des frustrations de l’apartheid et des privations de la lutte clandestine. La jeune femme qui l’a fait trébucher en l’accusant de viol, une amie de la famille, considérait Zuma – un homme par deux fois marié et père de dix enfants – comme son « tonton ». Même si leur relation sexuelle – qui ne fait plus aucun doute après les analyses ADN – était finalement reconnue comme mutuellement consentie, elle n’en représente pas moins, en soi, un scandale.
Le poids lourd de la vie politique sud-africaine, qui en a vu d’autres dans le maquis, n’entend pas se laisser faire et monte déjà au créneau pour dénoncer la cabale médiatique. Mais cette fois, il pourrait se retrouver seul sur le pont. L’un après l’autre, ses soutiens d’hier semblent décidés à baisser pavillon. La puissante ligue des jeunes de l’ANC a annoncé qu’elle ne sera pas à ses côtés pendant son procès pour viol, alors qu’elle l’avait jusqu’ici défendu contre les allégations de corruption. La ligue des femmes de l’ANC, également, s’est en toute logique retournée contre lui. Comment, dans un pays gangrené par les violences sexuelles, défendre un homme accusé de viol ? La Cosatu s’est estimée heureuse que les juges se soient emparés du dossier.
L’avenir du sexagénaire se trouve dorénavant entre les mains de la justice. Zuma le Zoulou, l’un des principaux acteurs de la paix au Kwazulu-Natal, au moment des heurts sanglants entre militants noirs de l’ANC et de l’Inkhata Freedom Party de Mangosuthu Buthelezi, en 1994, caution ethnique du pouvoir de Mandela et Mbeki (tous deux issus de l’ethnie xhosa), serait ainsi tout autant la victime de sa propre légèreté (on résiste au vertige du succès quand on veut devenir président) que celle d’une lutte intestine pour le pouvoir entre les différentes factions de l’ANC.
Les deux affaires Zuma ont, en effet, fait éclater une crise sans précédent au sein du parti depuis l’arrivée des Noirs au pouvoir. Les courants s’affrontent, accusant Mbeki, son clan et le « waBenzi » – l’élite noire enrichie depuis la fin de l’apartheid – de vouloir contrôler l’ANC après 2009, au détriment des pauvres, qui voyaient en Zuma une exemplaire réussite. De cette lutte de succession, de ce difficile partage de l’héritage, l’ANC ne sortira pas indemne. Mbeki lui-même parviendra-t-il à diriger un parti au bord de l’éclatement ?
L’histoire de Jacob Zuma, dont l’épilogue n’est pas encore écrit tant que ne se seront pas tenus les deux procès, est donc aussi celle d’une jeune démocratie qui grandit vite. Au risque d’écraser ceux qui ne peuvent suivre. L’ex-vice-président pourrait en être l’illustration et finir comme une autre célèbre militante de l’ANC : Winnie Madikizela-Mandela. Condamnée en 2003 pour corruption, elle n’a pas été épargnée par les vicissitudes de la vie ni par celles du cours de l’histoire du pays du grand Nelson, son ex-mari. L’icône de la libération, qui fut aussi, pendant longtemps, l’ami de Jacob Zuma.

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