ISR : éthique et rentabilité

Pourquoi l’investissement socialement responsable est un facteur de croissance durable et de développement des affaires.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Quels sont les critères de l’investissement socialement responsable (ISR) ? Intérêt collectif et rentabilité sont-ils conciliables ? En quoi la responsabilité sociale de l’entreprise est-elle un facteur de performance économique ? Près de 800 congressistes – experts internationaux, responsables politiques, investisseurs marocains et étrangers, membres de la société civile – se sont retrouvés aux Intégrales de l’investissement, les 1er et 2 décembre, à Skhirat, au Maroc, pour débattre de ces questions.
Concept en perpétuelle évolution, l’ISR repose autant sur des critères financiers que sur des considérations sociales, éthiques et environnementales. Ses contours étant flous – les pratiques varient d’un pays à l’autre -, l’établissement de normes internationales est à l’étude, même si les experts s’accordent sur le référentiel de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Nicole Notat, présidente de l’agence de notation Vigeo, en a rappelé les composantes : respect des droits fondamentaux ; engagement sociétal ; protection de l’environnement ; dialogue social ; amélioration des compétences ; gouvernance d’entreprise ; transparence et probité dans les relations avec les clients et les fournisseurs… « L’ISR n’est ni un phénomène de mode ni une bonne cause, mais bien un enjeu de performance, de croissance durable et de développement des affaires », précise l’ancienne secrétaire générale de la CFDT (Confédération française démocratique du travail).
Apparus aux États-Unis dans les années 1920, les premiers fonds éthiques sont gérés par des congrégations religieuses qui refusent d’investir dans l’alcool, le tabac, le jeu, l’armement, ou encore la pornographie. La guerre du Vietnam, l’apartheid en Afrique du Sud, les accidents environnementaux et les préoccupations écologiques ont inspiré une réflexion approfondie sur la responsabilité des entreprises. Instrument de boycottage à son origine, l’ISR est devenu un outil financier visant à soutenir le développement durable.
En forte expansion ces dix dernières années, l’ISR englobe un large éventail de produits financiers et de placements, classés en cinq grandes catégories : les fonds éthiques ; les fonds de partage ; les fonds de développement durable ; les fonds d’épargne salariale ; et les fonds solidaires. Aux États-Unis, l’ISR représente plus de 2 000 milliards de dollars, soit 13 % des actifs gérés professionnellement, et, en Europe, 336 milliards d’euros.
Une enquête de Mercer Investment Consulting, menée en 2005 auprès de 195 gestionnaires de fonds à travers le monde, confirme que les critères de responsabilité sociale constituent « des facteurs fréquents de discrimination positive dans les analyses d’investissement ». Pour 70 % des sondés, ces critères seront déterminants dans les études d’investissement dans les trois à dix ans à venir.
Les préjugés voudraient que le respect de critères extrafinanciers soit préjudiciable à la rentabilité de l’investissement. Pour François Rebello, PDG du Groupe Investissement Responsable, un fonds de pension canadien, la compétitivité financière de l’ISR ne fait aucun doute : « La responsabilité fiduciaire constitue le principe de base. L’objectif prioritaire de tout fonds d’investissement est de générer des bénéfices pour ses déposants. »
Différentes études montrent que la RSE contribue efficacement à augmenter les ventes, à créer des emplois, à lutter contre la pauvreté. « Si les profits sont moindres à court terme, les bénéfices sont pérennisés et croissent à long terme », assure Olivier Gilbert, directeur développement durable chez Veolia Water. Protection de l’environnement, transparence et promotion des ressources humaines améliorent l’image de marque de l’entreprise et influencent le choix des consommateurs. Selon une enquête de la Banque mondiale parue en 2003, les producteurs de café respectant les critères équitables ont vu leurs ventes progresser cinq fois plus vite que celles des producteurs traditionnels.
Yves Médina, vice-président de l’Observatoire sur la RSE (Orse), insiste sur le « risque réputation » : « Les entreprises ne peuvent plus avoir un comportement aveugle. En cas de manquement à l’éthique, elles courent le risque de voir les consommateurs se détourner de leurs produits. » « C’est ce qui est arrivé à Nike, rappelle Rebello, quand le Wall Street Journal a révélé que ses sous-traitants en Asie exploitaient des enfants. »
Significatif d’une nouvelle tendance de consommation en Occident, l’ISR est-il « un gadget pour pays riches » ? Les pays en développement sont-ils en mesure d’assimiler ces contraintes, de sélectionner les ISR et d’écarter ceux qui ne le sont pas ? Seule certitude, de nombreux fonds occidentaux retiennent comme critères de sélection de leurs investissements la contribution au développement durable des pays du Sud, la réduction des inégalités Nord-Sud, la sauvegarde de l’environnement, le respect des droits de la personne. Tous les experts en conviennent : s’engager dans une démarche de responsabilité sociale devient un atout réel pour attirer les investisseurs (notamment les fameux fonds de pension américains) ou pour trouver des débouchés.
Le soutien et l’assiduité des institutions et des entreprises marocaines à cette grand-messe de l’investissement indiquent qu’elles en prennent peu à peu conscience et qu’elles pourraient jouer cette carte. Les ISR au Maroc ne sont pas chiffrables, mais nombre de sociétés – l’Agence pour la promotion et le développement des provinces du Nord, l’Office national des pêches, l’Office chérifien des phosphates, BMCE Bank, l’Association des cimentiers du Maroc (ACM), Lydec ou encore Veolia – s’en réclament, et disent même « l’avoir pratiqué sans le savoir ». Premier investisseur institutionnel du royaume, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) a prévu de lancer quatre fonds à caractère responsable. « Le Code du travail adopté en 2003, les réformes économiques, la promotion du développement durable consacrée par la signature des conventions internationales ainsi que les progrès reconnus en matière de respect des droits de l’homme vont faciliter les ISR au Maroc, estime Abdesselam Aboudrar, secrétaire général de la CDG. Avec la Fondation Mohammed-V pour la solidarité et l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) lancée en mai 2005 par le roi Mohammed VI et qualifiée de « chantier d’un règne », la gouvernance socialement responsable est déjà une réalité. »

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