Famille, je vous aime !

Dès qu’un de ses membres se trouve dans la peine, en l’occurrence la branche automobile, le puissant conglomérat nippon, officiellement démantelé en 1946, vole discrètement à son secours.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Le mariage entre Mercedes et Mitsubishi aura duré à peine cinq ans. Pis, il ne s’est pas achevé sur un divorce à l’amiable, mais par une forme de répudiation : à la mi-novembre, Mercedes a soldé ses parts dans le capital de Mitsubishi auprès d’une banque d’affaires agissant au nom d’investisseurs à ce jour inconnus.
Pour Mercedes, décidément bien malheureux dans ses alliances, la perte est sévère. Probablement vexé d’avoir vu Renault prendre le contrôle de Nissan en 1999, le groupe allemand avait déboursé 2,2 milliards d’euros l’année suivante en échange de 37 % du capital de Mitsubishi. Cinq ans plus tard, il a retiré 500 millions d’euros de la vente d’une participation entretemps diluée à 12 %, après que Mercedes eut refusé de réinjecter des fonds à la mi-2004 lors d’une recapitalisation rendue pourtant nécessaire par les errements financiers de la mariée : 3,5 milliards d’euros de déficit cumulé !
En vérité, Mitsubishi n’avait pas tout dit de son passé à Mercedes. La rumeur bruissait depuis longtemps. Le scandale a éclaté quelques mois à peine après le mariage : pendant vingt-deux ans, Mitsubishi avait illégalement dissimulé des défauts techniques affectant ses modèles. Cette révélation a aussitôt provoqué une vague de rappels au Japon et, surtout, une réaction de défiance du public nippon qui a aggravé les pertes de Mitsubishi.
Tout autre constructeur qui se retrouverait aujourd’hui dans la position de la marque japonaise serait considéré comme perdu. Car Mitsubishi, a priori, cumule les handicaps. Son déficit est abyssal. Sa gamme ne témoigne d’aucun savoir-faire spécifique, comme les monospaces chez Renault ou les petits modèles chez Suzuki et Daihatsu. Il n’est pas non plus de pépite dans la répartition géographique de ses ventes, comme chez Honda, qui gagne des fortunes sur le lucratif marché américain. Enfin, sa taille est bâtarde : 1,4 million de véhicules vendus par an, trop pour jouer les chevaux légers de l’industrie automobile mondiale, à l’image de Porsche ou Subaru, mais pas assez pour accéder au rang de constructeur majeur capable de tailler seul sa route. Et quel puissant groupe automobile volerait aujourd’hui au secours d’une marque que Mercedes a fuie à toutes jambes ?
Le tableau serait donc sombre si Mitsubishi Motors Corporation (MMC) n’était l’une des quarante-cinq planètes qui composent la galaxie Mitsubishi. Certes, il n’est plus d’organe de commandement commun, ni même de dépendance entre elles depuis que les forces alliées ont décidé, en 1946, le démantèlement du conglomérat Mitsubishi, jugé trop puissant. Ces sociétés ont continué à prospérer, en suivant chacune leur voie : banque, aéronautique, construction navale, pétrochimie, électroménager, agroalimentaire, assurances vie, etc. Qui sait aujourd’hui que Nippon Oil, la Banque de Tokyo, les appareils photo Nikon ou les bières Kirin appartiennent à cette galaxie ?
Mais des liens plus subtils, plus durables, existent encore. Certains peuvent paraître symboliques à ceux qui, justement, méconnaissent le poids des symboles au Japon. Ces sociétés ont, par exemple, gardé l’emblème Mitsubishi, les trois diamants enchâssés, né en même temps que le groupe en 1870. Et l’ancienne demeure du fondateur de Mitsubishi, un château de style anglais construit au coeur de Tokyo au début du XXe siècle, garde toujours portes ouvertes pour les sociétés du groupe. Ainsi, elles peuvent recevoir leurs hôtes dignement. Le propriétaire du château se plie de bonne grâce à cette coutume : il s’appelle Mitsubishi Estate…
D’autres liens témoignent de la volonté de maintenir une sorte d’esprit Mitsubishi, comme dans une famille éclatée qui sait se retrouver quand le temps tourne à l’orage : des participations croisées, fussent-elles dormantes et de faible importance ; l’approbation obligatoire de tous les membres pour la création de toute nouvelle entité portant le nom de Mitsubishi. Mais nul, à l’extérieur du groupe, n’avait pris conscience de la solidarité entre les sociétés de l’ex-conglomérat Mitsubishi avant la crise qui a frappé MMC voilà un an…
L’affaire était grave. Sauf recapitalisation, la branche automobile de la famille Mitsubishi allait disparaître, qui plus est sur fond de scandale. Et Mercedes, conjoint bafoué, refusait toute assistance. Est-ce la crainte que ne soit terni le nom sacré de Mitsubishi ? Ou bien la preuve que le conglomérat, dans les faits, existe toujours ? Seuls quelques très hauts responsables de la nébuleuse Mitsubishi connaissent la réponse. En cinquante ans, jamais le cas de figure ne s’était présenté. Mais dès qu’un de ses membres s’est trouvé dans le besoin, la famille Mitsubishi a volé à son secours : la Banque de Tokyo, Mitsubishi Heavy et Mitsubishi Corporation ont fourni à MMC les 3,7 milliards d’euros indispensables à sa survie. Depuis, le constructeur automobile paraît clairement sous tutelle du « groupe » Mitsubishi, qui possède maintenant 31,6 % de ses parts : son président, son directeur général et son directeur financier sont issus des trois sociétés qui ont assuré sa recapitalisation !
La brève union avec Mercedes a au moins permis à Mitsubishi de rompre avec son isolement et de bâtir un premier partenariat technique : la Mitsubishi Colt et la Smart Forfour partagent la même plate-forme et sont toutes deux assemblées dans une usine que la marque japonaise possède aux Pays-Bas. Vu l’insuccès de la Forfour et la rancoeur de Mercedes, propriétaire de Smart, cet accord n’ira vraisemblablement pas au-delà du terme du contrat, en 2010. Mais Mitsubishi a maintenant cinq ans pour trouver une solution de remplacement.
Un autre partenariat, signé juste avant le départ de Mercedes, semble plus pérenne : il concerne le groupe PSA Peugeot-Citroën. Le français a de brillants moteurs diesels, mais pas de 4×4 en magasin. Mitsubishi est dans la position inverse. Les deux constructeurs avaient donc besoin l’un de l’autre. Le nouveau 4×4 routier de Mitsubishi, baptisé Outlander, vient d’être commercialisé au Japon. À la mi-2006, il donnera naissance à de faux jumeaux, les Peugeot 4007 et Citroën C7. Le contrat porte sur 180 000 véhicules achetés par PSA à Mitsubishi, sur une durée de six ans. Encore une bouffée d’oxygène pour le constructeur japonais, qui peut espérer en retour avoir accès à la technologie des moteurs diesels HDI Peugeot-Citroën.
Dans ces conditions, même si Mercedes l’a abandonné en chemin, le treizième constructeur mondial n’est pas forcément condamné. Le groupe allemand, par dépit, a souhaité tourner la page Mitsubishi. C’est compréhensible. Mais son intérêt aurait peut-être consisté à garder une participation minoritaire en attendant le redressement d’une marque adossée à de si puissants alliés. C’est le calcul opéré par le mystérieux investisseur qui a racheté les parts détenues par Mercedes. Il ne s’agit pas d’un constructeur, car il aurait agi à visage découvert, mais probablement d’un fonds d’investissement, qui sait qu’un retour de Mitsubishi aux bénéfices lui vaudrait une belle plus-value. Si cette thèse se confirme, alors Mercedes pourra doublement se mordre les doigts d’avoir épousé puis quitté Mitsubishi.

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