Boubous et froufrous

Sophistiqués, branchés et décomplexés, les stylistes subsahariens font preuve d’une créativité débridée. Confirmation au festival de Niamey.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Fin de matinée dans un quartier du centre-ville de Niamey. Des petites filles, cartable sur le dos et tresses sur la tête, portent des jupes fendues vert sapin et des tops vert pomme. Elles croisent un petit garçon en djellaba brodée qui tient la main de sa maman drapée dans un boubou bleu roi éclatant. Ce n’est pas un défilé, c’est juste la sortie de l’école…
En Afrique, la mode est omniprésente et assumée de façon naturelle. L’élégance est dans la rue comme dans les vêtements traditionnels. Pas étonnant que le styliste nigérien Alphadi, reconnu à l’échelle internationale, propriétaire de dix boutiques à travers le monde et président de la Fédération africaine des créateurs de mode, ait monté le Festival international de la mode (Fima) dans son pays.
Cette manifestation, créée en 1998, est la première du genre sur le continent. La dernière édition a eu lieu du 29 novembre au 3 décembre dans les superbes dunes de Karey Gorou, à 16 km de la capitale du Niger. « Nous ne devons plus avoir de complexe par rapport à l’Occident, a lancé Alphadi lors de la cérémonie d’ouverture. Nous sommes peut-être les plus pauvres du monde économiquement mais les plus riches culturellement ! »
Alors que l’Afrique a toujours inspiré les grands créateurs occidentaux (on se souvient des bijoux masaïs récemment récupérés par John Galliano), cette fois, ce sont eux qui font le déplacement en Afrique… Ainsi, la styliste Nathalie Garçon a participé au jury chargé de couronner de jeunes créateurs, et Katherine Pradeau et Eymeric François ont montré leurs collections lors du grand défilé de clôture qui rassemblait les pointures africaines de la mode. Parmi eux, le célèbre Pathé’O, Burkinabé installé en Côte d’Ivoire qui modernise boubous et pagnes tissés, habillant notamment Nelson Mandela. Pour lui, « il n’y a pas une mode africaine, il y a une mode tout court, dans des couleurs et des textiles spécifiques, mais qui peut être portée partout. Je promeus les tissus africains car nous devons avoir notre propre identité au coeur de la mondialisation ! »
D’autres grands noms étaient présents comme la Sénégalaise Collé Sow Ardo, la « Chanel africaine » qui a vingt-deux ans de création à son crédit, ou le Malien qui a pignon sur mode à Paris depuis quinze ans, Lamine Kouyaté, dit Xuly Bët. Ces stylistes, tout comme Alphadi, ont grandi à l’ombre de Chris Seydou, mort prématurément en 1994. Dès le milieu des années 1970, celui qui avait choisi son nom en référence à Chris… tian Dior, devient un précurseur dans l’utilisation des matières africaines. Ouvrant ainsi la voie à une mode décomplexée. D’autres créateurs ont su imposer leurs marques et leur identité, comme la Camerounaise Ly Dumas, considérée comme l’héritière directe de Chris Seydou ou encore la Sénégalaise Oumou Sy, qui a ouvert une école de stylisme en 1998 à Dakar.
La relève est déjà là, toutes griffes dehors ! Le trentenaire Lazare Chouchou est l’étoile montante de la mode gabonaise. Président de l’Association des stylistes et créateurs gabonais, il a monté un festival de mode à Libreville : le Fashionshowchou. Il a reçu en 2002 le prix récompensant le meilleur défilé à la Biennale internationale du design de Saint-Étienne (France). Quant à la dynamique Camerounaise Juliette Ombang, créatrice de la griffe Black Giraffe, elle utilise des matériaux traditionnels comme le lin ou les écorces. Et a lancé en 2002 le Yaoundé Fashion Week.
Bonne nouvelle : il y a aussi la relève de la relève ! En effet, l’Association française d’action artistique (Afaa) a lancé la première édition du concours de jeunes stylistes, « L’Afrique est à la mode ! », lors du dernier Fima. Dix créateurs de moins de 35 ans, vivant sur le continent, ont été retenus. Ils ont offert deux magnifiques défilés inventifs et originaux.
Le lauréat du premier prix, le Fil d’or, est le Camerounais Anggy Haif. Ses robes-sculptures sont de véritables oeuvres d’art réalisées à partir de matières naturelles comme le raphia, les lianes, le feuillage… « Ce prix est un signe d’espoir qui permet à la jeunesse d’avoir des projets. Nous, jeunes créateurs, allons aider les autres et bâtir une vraie génération de mode », a-t-il déclaré à Niamey. Le Fil d’argent a été attribué au Nigérian Joseph Adegbe, qui, pour sa marque Modela Couture, travaille des tissus particuliers comme le jute, le nylon ou le cuir et mixe à la perfection tradition et modernité. Le Fil de bronze est revenu au Rwandais Bill Ruterana. Ses créations hypercolorées se situent entre mode et arts plastiques et il aime utiliser les matériaux de récupération ainsi que des fibres végétales teintes. Enfin, une mention spéciale a été donnée à Xenson (Ouganda), artiste qui affectionne le « barckloth », un tissu réalisé à la main à partir de l’écorce de l’arbre « mutuba ».
Cette créativité tous azimuts montre non seulement qu’il existe une mode africaine pleine de vitalité mais que celle-ci ne se résume pas à l’image qu’on en a souvent en Occident : celle d’une mode « ethnique », folklorique et uniquement artisanale. « Les créateurs africains ont un impact important : ils ont su récupérer une clientèle qui ne s’intéressait pas aux tissus africains, ils ont fait la promotion des produits locaux et de l’artisanat à travers leurs vêtements et ont montré que la couture est un métier où l’on peut s’exprimer et gagner de l’argent. Ils ne sont plus stylistes par dépit », explique l’anthropologue Anne Grosfilley. Ce que confirme Clara Lawson, grande dame de la mode burkinabè : « Je travaille pour corriger les préjugés qui existent sur le métier de styliste en Afrique. On peut être intellectuelle et couturière. » La marque de fabrique de madame Lawson, c’est le pagne tissé du Burkina, le Dan Fani (« l’habit de chez nous », en dioula). « J’ai réussi à imposer ce pagne et, aujourd’hui, tout le monde porte notre ressource avec fierté : je réalise même des robes de mariées dans cette matière ! »
Pourtant, la grande majorité des créateurs a encore du mal à se faire connaître et à vendre, que ce soit au niveau national ou international. Les obstacles se dressent dès la production avec ce qu’Anne Grosfilley appelle le « problème d’autosuffisance vestimentaire ». Les pays ne produisent pas suffisamment de textile pour la demande nationale, ils sont envahis par le wax et le fancy venus d’Asie. Sans compter les tonnes de fripes bon marché qui arrivent d’Occident et inondent les commerces, la contrefaçon qui permet d’acheter une chemise Kenzo à 1 500 F CFA ou encore la mauvaise image dont souffre la mode africaine sur son propre sol. « Nos ministres préfèrent porter du Dior ou du Cardin », regrette Pathé’O. « Il faut donner une orientation à la mode africaine et la promouvoir pour que les Africains sachent que ce qui est fait sur le continent n’est pas forcément médiocre. Mes premiers clients étaient tous blancs, c’était désespérant ! » Pour mieux comprendre ces enjeux, la formation est primordiale. Alphadi l’a bien compris : il a annoncé la création prochaine d’une école africaine de la mode et des arts. Au Niger.

À lire sur le sujet :
– L’Afrique est à la mode, de Bérénice. Geoffroy-Schneiter, éditions Assouline
– Afrique des textiles, d’Anne Grosfilley, éditions Edisud.
– Élégances africaines, tissus traditionnels et mode contemporaine, de Renée Mendy-Ongoundou, éditions Alternatives.

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