Tiken Jah Fakoly rebelle malgré lui

Exilé au Mali depuis le début de la crise ivoirienne en 2002, le reggaeman se produira à Abidjan et à Bouaké en décembre. Retour au pays, retour aux sources, retour en grâce

Publié le 13 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Tiken Jah Fakoly se serait-il assagi ? Pas vraiment Il suffit pour s’en convaincre d’écouter son dernier album, L’Africain, sorti le 24 septembre. L’artiste ivoirien lui-même le confirme : « Je dis peut-être les choses différemment, mais mon combat reste le même. Je ne veux pas passer pour l’éternel rebelle, alors je dénonce, je critique mais je propose aussi. »
Le reggaeman, qui avait dû quitter précipitamment la Côte d’Ivoire pour le Mali en septembre 2002, se sentant menacé par les Jeunes Patriotes, proches du pouvoir en place, l’accusant de soutenir la rébellion, prépare son retour au pays. Durant ces cinq années, il a toujours refusé d’utiliser le terme d’« exil » pour évoquer sa situation. Installé à Bamako, il vient de produire l’un de ses opus les plus aboutis.
Il faut dire que les motifs de révolte sont nombreux. On ne se refait pas En France, entre l’amendement Mariani, qui subordonne le regroupement familial à des tests ADN, le discours de Nicolas Sarkozy fin juillet à Dakar et la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, Tiken ne manque ni de sujets pour composer ni de raisons de monter au créneau. Et ne néglige aucune occasion de le faire. Contre l’autorisation des tests génétiques, on l’a vu, le 14 octobre lors du concert de protestation organisé par SOS Racisme et Charlie Hebdo, faire vibrer le Zénith parisien, profitant de cette tribune pour dénoncer « l’humiliation » faite aux Africains. Quant à la verve sarkozyste, « elle en dit long sur la conception que le chef de l’État français se fait de notre continent. Pour Sarko, l’Afrique n’apporte rien au monde. Pourtant, les multinationales y sont bien présentes et elles empochent des bénéfices ».
L’immigration est omniprésente, véritable fil rouge de cet album qui consacre plusieurs titres à ce thème. D’Ouvrez les frontières à Un Africain à Paris, reprise du tube de Sting An Englishman in New York, l’artiste consacre pas moins de trois morceaux au drame que vivent un nombre croissant de personnes, tentées de gagner l’eldorado européen au péril de leur vie : « Si on explique cette réalité aux jeunes, ils réfléchiront peut-être à deux fois avant de faire le voyage. »

Mais si l’album évoque largement le malaise de la relation Nord-Sud, il laisse aussi un peu de place aux raisons d’espérer, comme en témoigne le titre L’Africain. « J’ai tenu à affirmer mon africanité et raconter la richesse de mon continent. J’ai aussi voulu rappeler que l’Union africaine reste à faire. Et que dans le sillage de Nkrumah, Lumumba, Kenyatta ou Sankara, il y a encore un très long chemin à parcourir pour vivre en paix ensemble », explique ce militant panafricaniste, qui conclut : « Mon père était ivoirien, moi je suis africain. »
Africain, comme son reggae qui vibre au rythme de la kora de Toumani Diabaté ou de la voix de Beta Simon. Un album 100 % world auquel ont notamment collaboré Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, ou le rappeur américain d’origine sénégalaise Akon, de son vrai nom Alioune Badara Thiam. Le tout produit avec le concours de Kevin Bacon et de Jonathan Quarmby, réalisateurs britanniques qui donnent à cet ensemble sa sonorité à la fois traditionnelle et contemporaine, où se juxtaposent accents bambaras et influences hip-hop. Bref, une tonalité résolument cosmopolite, même si la plupart des textes sont écrits en français. Mais l’auteur travaille actuellement son anglais dans la perspective d’un prochain album, vraisemblablement d’ici à 2009 ou 2010.
Pour le moment, Tiken est en tournée, de Conakry à Lomé en passant par Paris et Bruxelles En attendant Abidjan et Bouaké, les 8 et 15 décembre. Il a d’ores et déjà demandé des « garanties » aux dirigeants ivoiriens. Le président Laurent Gbagbo et le Premier ministre Guillaume Soro ont tous deux affirmé que sa sécurité serait assurée. « Mais nous ne pouvons pas préciser la date de son retour définitif, confie un membre du staff chargé de préparer les concerts ivoiriens. C’est une question de sécurité. Nous n’avons pas encore reçu toutes les garanties annoncées » Pour Olivier Yro, président de l’Union des journalistes culturels ivoiriens, ces « garanties » concernent surtout « l’approbation de la Fesci [Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, proche du pouvoir, NDLR], qui ne s’est pas encore prononcée sur l’éventuel retour de la star. »

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Le petit monde médiatique ivoirien l’attend avec impatience. Dès la sortie internationale de L’Africain, les chaînes de radio et de télévision en ont aussitôt fait la promotion. Ce qui n’avait pas été le cas pour Coup de gueule, son cinquième album sorti en 2004, interdit de distribution et de diffusion dans la zone sud du pays, sous contrôle gouvernemental.
Depuis mars 2007, revirement de situation. « Avec la signature des accords de Ouaga et le retour à la paix, plus rien ne justifiait la mise à l’écart de Tiken, fils du pays autant que tous les autres artistes », explique Junior Sebane, journaliste au quotidien L’Intelligent d’Abidjan. En l’absence d’injonctions « patriotiques », « Ouvrez les frontières », le titre-phare de L’Africain, passe sur les chaînes de télé et sur toutes les radios, y compris sur Jam, station proche du camp présidentiel qui fut la première à censurer l’artiste. Selon David Sosso, directeur marketing de la station, « il n’y a pas eu de consignes particulières, il y a juste un mouvement national de réconciliation que nous avons décidé d’accompagner ».
Le principal sujet de préoccupation pour Showbiz, la maison qui distribue L’Africain en Côte d’Ivoire, se résume désormais à la piraterie ! Trois semaines avant la sortie officielle de l’album, les douze titres de la version européenne étaient déjà vendus aux principaux carrefours d’Abidjan. Quant aux places de concert, il sera très difficile d’en trouver. Alors que Tiken remplit déjà les salles de spectacle en Europe et les stades en Afrique, son retour au pays se jouera très probablement à guichet fermé.

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