Éthiopie : les Tigréens font-ils l’objet d’un profilage ethnique ?

Le témoignage de la fille de l’ancien Premier ministre Meles Zenawi ravive les craintes autour d’un profilage ethnique systématisé, alors que nombre de Tigréens disent être victimes de harcèlement et de discrimination.

Réfugiés éthiopiens au Soudan, en décembre 2020. © NICOLAS CORTES /ZEPPELIN/SIPA

Réfugiés éthiopiens au Soudan, en décembre 2020. © NICOLAS CORTES /ZEPPELIN/SIPA

Publié le 3 février 2021 Lecture : 4 minutes.

Semhal Meles porte un patronyme bien connu en Éthiopie. Aujourd’hui âgée de 32 ans, elle est la fille de Meles Zenawi, qui exerça les fonctions de Premier ministre dix-sept années durant, de 1995 jusqu’à son décès, en 2012. Si elle se retrouve sur le devant de la scène, c’est parce qu’elle accuse le gouvernement éthiopien de l’empêcher de quitter le pays en raison de son appartenance à la communauté tigréenne, soulignant les divisions ethniques qui déchirent l’Éthiopie depuis que le chef du gouvernement, Abiy Ahmed, a lancé l’offensive contre les autorités de la province dissidente du Tigré, en novembre dernier.

Semhal Meles affirme avoir été empêchée d’embarquer fin janvier sur un vol à destination des États-Unis, et ce en dépit du fait que son passeport était valide, qu’elle avait bien obtenu un visa et qu’elle avait effectivement acheté un billet d’avion. Dans une déclaration envoyée à la presse, elle précise qu’il lui a été dit qu’elle n’était pas en règle parce qu’elle a été brièvement détenue par les forces de sécurité en décembre dernier.

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« À ma connaissance, je n’ai été inscrite sur aucune liste de personnes recherchées, aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre moi à ce jour et je n’ai pas comparu devant le tribunal. J’ai fait l’objet d’un profilage ethnique illégal », écrit-elle, dénonçant une atteinte à ses droits.

Armes de guerre

Ces affirmations font écho à celles d’autres Tigréens, qui disent avoir été empêchés de voyager ou licenciés depuis le début de l’offensive militaire contre les chefs du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), au pouvoir jusqu’en 2018, date à laquelle Abiy Ahmed est arrivé à la primature.

Les combats qui ont ravagé le nord de l’Éthiopie ont, depuis, fait des centaines de morts et des milliers de réfugiés, dont beaucoup ont fui de l’autre côté de la frontière, au Soudan. Les organisations de défense des droits humains ont fait mention de nombreuses exactions commises par chacune des forces en présence, mais la rupture des moyens de communication a rendu ces accusations invérifiables.

Les forces fidèles au TPLF ont été accusées du massacre de près de 600 civils originaires pour la plupart de la région Amhara, tandis que des réfugiés affirment que les milices pro-gouvernementales ont exécuté des civils.

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À en croire Semhal Meles, Addis-Abeba « utilise le viol et la faim comme arme de guerre, bombarde délibérément les zones urbaines densément peuplées, détruit gratuitement les infrastructures publiques et pratique un pillage généralisé ».

Des réfugiées tigréennes prient lors d'une messe au camp de Qadarif, près de Umm Rakouba, dans l'est du Soudan, le 29 novembre 2020. © Nariman El-Mofty/AP/SIPA

Des réfugiées tigréennes prient lors d'une messe au camp de Qadarif, près de Umm Rakouba, dans l'est du Soudan, le 29 novembre 2020. © Nariman El-Mofty/AP/SIPA

Le gouvernement nie cibler les Tigréens sur la base de leur seule appartenance ethnique

« Pendant trois décennies, le TPLF a travaillé pour satisfaire sa soif effrénée de pouvoir absolu et d’enrichissement personnel, attisant les flammes de la division ethnique et de la haine, lui a rétorqué le gouvernement. Et c’est le peuple qui en a payé le prix. »

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Addis-Abeba accuse les membres du TPLF d’appartenir à une « clique criminelle », de parrainer le terrorisme et d’instrumentaliser la violence ethnique. Plus de 100 membres du parti ont été placés sur la liste des personnes recherchées ; certains hauts responsables, tels que Seyoum Mesfin, ancien ministre des Affaires étrangères, sont morts dans des circonstances peu claires.

Le gouvernement nie cibler les Tigréens sur la base de leur seule appartenance ethnique, et insiste sur le fait que seul le TPLF est visé par son « opération de maintien de l’ordre ». Il ne lui pardonne pas d’avoir maintenu les élections générales de septembre dernier dans le Tigré alors qu’un report avait été annoncé à cause de la pandémie de coronavirus et l’attaque d’une base militaire gouvernementale dans la région, le 3 novembre dernier.

« Double crime »

Il y a quelques mois encore, Meles Zenawi était considéré comme un héros au Tigré pour avoir pris part à la guérilla qui a renversé le régime marxiste du Derg en 1991. Mais son héritage reste source de divisions. Sous sa direction, l’Éthiopie a été largement saluée pour sa croissance rapide, mais le TPLF a également mis sur pied un État policier répressif.

L’ancien Premier ministre est considéré comme le père de ce que l’on appelle désormais l’« ethno-nationalisme », en vertu duquel le pouvoir a été transféré à neuf régions ethniquement définies, un arrangement inscrit dans la Constitution de 1995. Mais la violence ethnique a augmenté depuis 2016, entraînant le déplacement interne de trois millions de personnes. Abiy Ahmed rêve d’unifier l’Éthiopie sous une seule identité nationale, mais ses adversaires affirment qu’il cherche à rogner sur l’autonomie des régions.

Faisant le récit de son arrestation fin 2020, Semhal Meles affirme que vingt policiers fédéraux armés de mitrailleuses ont fait irruption à son domicile de Mekele, la capitale du Tigré. Elle a été emmenée dans une « prison de fortune » où elle a été retenue pendant 48 heures, et se serait vu refuser l’accès à un avocat. « Mon double crime, semble-t-il, est d’être née dans une famille politique tigréenne », a-t-elle ajouté, avant de revendiquer le droit de son peuple à l’autodétermination. « Chaque famille tigréenne a payé un prix pour inscrire ce droit dans notre Constitution, conclut-elle. Et personne ici n’est prêt à renier les sacrifices consentis par leurs ancêtres. »

Article initialement publié sur le Financial Times © Tous droits réservés

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