Le cas Olympio

Ancien haut fonctionnaire à l’ONU et au FMI, homme d’affaires, pourfendeur du régime le chef de file de l’opposition, qui vient de perdre les législatives d’octobre, est tout cela à la fois. Et bien plus. Portrait.

Publié le 13 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

« La vigilance éternelle est le prix de la liberté. » Cette affirmation, brandie comme une armure, résume le sens du combat que Gilchrist Olympio mène depuis plus de quarante ans « pour la démocratie au Togo ». « Nous nous sommes engagés pour que nos enfants et nos petits-enfants ne subissent pas ce que nous avons enduré pendant la dictature », explique-t-il. Paradoxalement, la défaite de son parti, l’Union des forces de changement (UFC) aux élections législatives du 14 octobre (voir carte), n’est pas vécue comme un échec. Sans doute est-ce parce que l’UFC apparaît aujourd’hui comme la principale force d’opposition dans l’Hémicycle, qui reprend ses travaux le 14 novembre. « Nous avons obtenu 900 000 voix comme le RPT [Rassemblement du peuple togolais, au pouvoir, NDLR]. Ils ont 50 sièges et nous 27. Jugez-en par vous-même. »
Pourtant, la rencontre intervenue à Ouagadougou, le 2 novembre, entre Gilchrist Olympio et le président Faure Gnassingbé « dans un esprit d’ouverture » en dit long sur les relations entre les deux forces politiques du pays. Le chef de l’État togolais a même indiqué à la presse qu’il souhaitait « contacter l’opposition pour la formation du gouvernement ». Mais pour l’heure, Olympio exclut, dans les conditions actuelles, d’y participer : « Nous n’avons même pas discuté de cette question. » Le président burkinabè Blaise Compaoré, organisateur de la rencontre, se veut moins catégorique : « Lorsque l’opposition veut entrer au gouvernement, elle pose des conditions. C’est ce qu’il faut attendre de cette rencontre. »
Sa « vigilance », son énergie, sa passion, ses colères, son indignation, son réseau de relations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, Gilchrist Olympio les a mis au service de ce qui, à l’en croire, aura été le principal combat de sa vie : « libérer » le Togo de Gnassingbé Eyadéma, qu’il tenait pour un « dictateur » et pour l’« assassin » de son père, Sylvanus Olympio, le premier président togolais, tué le 13 janvier 1963.

Né à Lomé le 26 décembre 1936, Gilchrist, comme l’appellent ses partisans, a fait de brillantes études aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Tout d’abord en mathématiques et en philosophie à l’université de Hamilton (État de New York). Puis en économie à la prestigieuse London School of Economics, comme son père. Après avoir obtenu un doctorat à l’université d’Oxford, il entame, en 1963, une carrière internationale aux Nations unies. À la direction des études fiscales et financières plus précisément. Un an plus tard, il quitte l’ONU pour le département Afrique du Fonds monétaire international (FMI). En 1970, il décide de rejoindre le secteur privé. Et devient directeur du groupe minier et financier Lonrho, à Londres. Mais bientôt, il se lance dans ses propres affaires. Dans les années 1980, ses activités se répartissent entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. À Abidjan, Gilchrist est PDG de SIA Auto, une concession de la marque Volkswagen qu’il a ouverte avec des Allemands. Parallèlement, il s’associe à des Français pour créer Construction métallique Tropical (CMT), une fonderie située, elle aussi, à Abidjan. Au Ghana, il est propriétaire de Abosso Glass, une usine de fabrication de verres creux qui alimente les brasseries de la sous-région en bouteilles. Un temps prospères, ses affaires périclitent les unes après les autres. Il se brouille avec ses associés allemands, qui se retirent de SIA Auto. La CMT sera, quant à elle, abandonnée par les associés français d’Olympio au plus fort de la crise politico-militaire ivoirienne. Au Ghana, Abosso Glass, qui a cessé à ce jour toute activité, ne s’est jamais remise des grèves et des occupations d’usines à répétition. Selon certaines sources, l’entreprise, qui bénéficiait du soutien de Jerry John Rawlings, l’ancien président ghanéen et ami du Togolais, a dû mettre la clé sous la porte lors de l’arrivée au pouvoir de John Kufuor.
Rawlings n’est pas le seul chef d’État africain avec qui Olympio a entretenu d’étroites relations. On le sait proche de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et en bons termes avec Blaise Compaoré, qui le traite « avec beaucoup d’égards ». Gilchrist a toujours eu ses entrées chez le Gabonais Omar Bongo Ondimba. « Mais je ne l’ai pas vu depuis quelques années », précise le Togolais. À Paris, lorsque Jacques Chirac dirigeait le pays, son interlocuteur à l’Élysée était Michel de Bonnecorse. « Avec Nicolas Sarkozy, je ne sais toujours pas quel est le bon interlocuteur. » À Bruxelles, Olympio entretient également des rapports cordiaux avec Louis Michel, le commissaire européen au Développement.
Nombreux sont ceux qui spéculent sur la richesse d’Olympio. « On me prête une fortune que je n’ai pas », se contente-t-il de répondre. L’homme est propriétaire d’un appartement à Londres ainsi que dans le 16e arrondissement de Paris et possède une grande villa à Accra, son principal lieu de résidence. Descendant d’une grande famille métisse de l’aristocratie togolaise, Gilchrist a également hérité d’une maison à Lomé. Son grand-père, d’origine brésilienne, Epiphanio Elpidio Olympio, était un riche commerçant de la Gold Coast (futur Ghana) avant de s’établir au Togo. La famille fait partie de l’élite urbaine et scolarisée du Sud, les Éwés, historiquement opposée à la communauté kabyèe du Nord, dont est issu Eyadéma, et au sein de laquelle l’armée coloniale recrutait ses hommes.
Alors les affrontements entre Gnassingbé Eyadéma et Gilchrist Olympio, simple « vendetta familiale » ? En fait, l’opposant a toujours voulu poursuivre le combat de son père. Il ne ménagera pas ses efforts pour lutter contre le pouvoir togolais. Et rien ne lui sera épargné non plus. Il sera l’opposant à abattre, la menace principale, le cerveau des « menées subversives » et des « manuvres de déstabilisation venues de l’extérieur ». Condamné à mort deux fois par contumace, il sera l’objet de nombreux mandats d’arrêt internationaux, arrêté, incarcéré à plusieurs reprises, libéré, puis poussé à l’exil. En 1991, à la faveur du vent de démocratisation qui souffle sur l’Afrique, il rentre enfin au Togo et prend part à la conférence nationale qui dépouille le président Eyadéma d’une bonne partie de ses prérogatives. Il fait l’unanimité au sein de l’opposition et devient président de l’UFC. Mais, le 5 mai 1992, alors qu’il bat campagne à Soudou, dans le nord du pays, pour les élections législatives, son convoi tombe dans une embuscade. Gilchrist est grièvement blessé. Sauvé de justesse, il est hospitalisé pendant un an en France, puis en Grande-Bretagne.
Mais l’opposant ne renonce pas pour autant à son combat. Et fait part de sa volonté de participer à l’élection présidentielle de 1993. Sa candidature est écartée, comme elle le sera en 2003. Malgré – ou à cause – de toutes ces infortunes, Gilchrist Olympio gagne le statut d’opposant historique. Son intransigeance, sa posture et le mépris dans lequel il tient les autres dirigeants de l’opposition prêts à se compromettre pour quelques maroquins font de lui un dirigeant à part sur l’échiquier politique togolais. Son caractère entier, souvent froid, cassant et hautain, agace. Il faut dire que l’homme est peu porté aux compromis ou aux accommodements. « C’est la marque de son intégrité », soulignent ses partisans. « C’est un dogmatique qui n’a aucun sens politique », assènent ses adversaires.
Il n’empêche, Gilchrist est devenu le symbole de la contestation. Il est l’autre visage du Togo, celui qui fait pièce à la figure tutélaire du père controversé de la nation, le général Eyadéma. Les deux hommes s’affrontent dans un combat qui s’arrêtera le 5 février 2005, avec la mort naturelle du second. L’opposant aura survécu à l’adversaire héréditaire qui avait juré d’avoir sa peau
Pourtant, s’il a cru un instant qu’avec la disparition du « baobab de Kara » c’était le destin qui frappait à sa porte, l’opposant historique va vite déchanter. Et sera pris de court par l’irruption sur la scène politique du fils de son « ennemi intime », Faure Essozimna Gnassingbé, que l’armée tente d’imposer comme successeur en modifiant la Constitution. Face à la contestation et à la pression internationale, ce dernier est finalement élu en avril 2005, au terme d’une élection contestée et émaillée de violences qui ont causé la mort de près de cinq cents personnes, selon un bilan établi par les Nations unies.
Gilchrist Olympio, qui craignait, à juste titre, de voir une nouvelle occasion historique lui échapper, avait accepté de rencontrer Faure Gnassingbé, à l’initiative de l’ONG italienne Sant’Egidio, à Rome, quelques mois avant l’élection présidentielle. Puis après le scrutin, à Abuja, cette fois-ci sous l’égide d’Obasanjo. « Nous avions discuté de la paralysie du pays dans une atmosphère sympathique, raconte l’opposant togolais. Nous avions envisagé des solutions de sortie de crise. Mais tout cela n’a rien donné. »

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