Gandhi, cinquième génération

En recul aux dernières régionales, le parti du Congrès mise sur la jeunesse et le pedigree de son nouveau champion pour reconquérir le vote populaire.

Publié le 13 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

« N’oubliez jamais que je suis le petit-fils d’Indira Gandhi », aime à rappeler Rahul Gandhi, 37 ans, nommé le 24 septembre secrétaire général du parti du Congrès chargé de la jeunesse et des étudiants. Bastion de la prestigieuse dynastie politique des Nehru-Gandhi, dont l’histoire se confond avec la sienne, le Congrès, dirigé aujourd’hui par la mère de Rahul, Sonia, a conduit l’Inde à l’indépendance en 1947 et présidé à la naissance et à la consolidation des institutions qui ont fait de ce pays de civilisation ancienne « la plus grande démocratie du monde moderne ». Après avoir exercé un pouvoir sans partage pendant presque quarante ans, le Congrès a vu son influence décliner au profit des partis régionaux, quand il n’était pas tout bonnement relégué dans l’opposition, avant de revenir aux affaires en 2004 à la tête d’une coalition de gauche. En net recul aux régionales du début 2007, le Congrès joue aujourd’hui, et dans la perspective des législatives de 2009, son va-tout en misant sur l’aura des Nehru-Gandhi, qui ont donné trois Premiers ministres à l’Inde.

Rahul représente la cinquième génération de la dynastie. Famille de haute caste, les Nehru sont originaires du Cachemire, région montagneuse sur les contreforts de l’Himalaya, dans le nord de l’Inde. Leur vocation politique remonte au début du XXe siècle, lorsque Motilal Nehru, avocat prospère, rejoint le Congrès, alors pleinement engagé dans la résistance anticoloniale sous l’égide du mahatma Gandhi (aucun lien de parenté avec Indira).
Le fils de Motilal n’est autre que Jawaharlal Nehru, qui, avocat de son état comme son père, se consacre lui aussi, aux côtés de Gandhi, à la lutte pour l’indépendance. Jeté en prison à plusieurs reprises, il paye au prix fort son dévouement à la cause nationaliste, avant de devenir le premier chef du gouvernement après l’indépendance, de 1947 à 1964. Considéré comme le père de l’Inde moderne, Jawaharlal a donné à son pays des institutions démocratiques et l’a doté d’une base industrielle sur laquelle s’appuieront largement les avancées futures de l’économie indienne.

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Élue à son tour Premier ministre, en 1966, sa fille, Indira Gandhi, gouvernera le pays pendant une quinzaine d’années, faisant fructifier l’héritage de son père. Les Indiens gardent un souvenir contrasté de cette femme volontariste et autoritaire, assassinée le 31 octobre 1984 par ses gardes du corps sikhs pour avoir ordonné à l’armée de donner l’assaut contre le lieu le plus sacré de la religion sikhe, le Temple d’or, afin de mettre fin à une agitation séparatiste. Son fils, Rajiv, est choisi par les Indiens pour lui succéder. Pilote de ligne sur Indian Airlines, ce dernier n’a pas la fibre politique, mais il avait été entraîné par sa mère dans le marigot de la vie publique indienne, contre l’avis de son épouse italienne, Sonia, qui craignait pour la vie de son mari. À raison : en 1991, Rajiv trouve la mort dans un attentat-suicide attribué aux séparatistes tamouls du Sri Lanka.
Ces drames à répétition, qui ne sont pas sans rappeler la tragédie de la famille Kennedy, éloignent pendant de nombreuses années les Nehru-Gandhi du devant de la scène. Traumatisée, Sonia Gandhi déclare alors à un journaliste britannique : « Je préfère voir mes enfants mendier plutôt que de faire de la politique. » Mais les pressions des hiérarques du Congrès auront raison des réticences de la veuve de Rajiv, qui finira par se résigner à son destin.
Le tournant a lieu en 1998, quand le Congrès est menacé de disparition par la montée des forces politiques régionalistes et l’émergence du fondamentalisme hindou. Le pays est gouverné par un parti hindouiste qui menace l’équilibre religieux et social par sa passivité face aux exactions commises par la majorité hindoue contre les minorités chrétienne et musulmane.
Le crime le plus grave est perpétré en 2002, dans l’État occidental du Gujrat, où plusieurs milliers de musulmans sont massacrés par des émeutiers hindous, sous l’il complice des forces de police. C’est le moment que choisit Sonia Gandhi pour remettre de l’ordre dans la maison Congrès, qui seule, croit-elle, peut garantir la paix civile dans une Inde de plus en plus fracturée. Elle conduit son parti et ses alliés à la victoire aux élections législatives de 2004, mais se tient sagement à l’écart du gouvernement pour ne pas irriter davantage ceux, nombreux au sein de la classe politique, que son origine étrangère dérange. Mais en tant que présidente du Congrès depuis 1998, elle garde la haute main sur la politique du gouvernement et réussit à faire nommer à la primature l’un de ses proches, le Sikh Manmohan Singh.
Depuis le retour aux affaires du Congrès et du clan Nehru-Gandhi, tous les regards sont tournés vers les deux enfants de Sonia, qui ont progressivement investi le champ politique, d’abord à l’ombre de leur mère, puis en tentant de voler de leurs propres ailes. Si Priyanka, la cadette, demeure pour le moment en retrait, le fils, lui, a franchi un pas supplémentaire dès 2004 en se faisant élire député de la circonscription familiale d’Amethi, dans l’État de l’Uttar Pradesh. Formé dans les meilleures écoles indiennes, britanniques et américaines, notamment à Cambridge et à Harvard, où il a étudié les sciences économiques, Rahul a abandonné une carrière dans la finance internationale pour aider sa mère à donner une nouvelle impulsion au Congrès afin d’en faire un instrument efficace de la modernisation de l’Inde. Tâche à laquelle il s’est attelé avec sérieux depuis son entrée formelle dans la vie politique, il y a trois ans, s’entourant de jeunes professionnels qui le bombardent de chiffres et d’analyses stratégiques plutôt que de flatteries. Lui-même, pour parfaire sa formation de Premier ministre potentiel, a sillonné tout le pays, se rendant dans les villages les plus reculés, encourageant le travail exceptionnel fait par les ONG pour améliorer le sort des plus démunis, des femmes et des basses castes. De ses convictions politiques, on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il est attaché aux valeurs de la laïcité, de la solidarité et de la démocratie incarnées par le Congrès dans les moments les plus héroïques de son histoire. « Lorsqu’on me demande quelle est ma religion, je leur montre le drapeau indien », déclarait-il lors de la dernière session plénière du parti. D’ordinaire réservé et peu loquace en société, Rahul Gandhi a profité ce jour-là de la tribune qui lui était offerte pour asséner sa vérité sur le recul du parti : « Nous mettons souvent le déclin du Congrès sur le compte de la montée des partis régionaux, sur les allégeances basées sur la caste ou la religion. Cette analyse ne me satisfait pas. Je crois, en fait, que si nous sommes faibles, c’est parce que nous avons cessé de lutter pour les humbles et les démunis »
Mais la pertinence des analyses et toute la bonne volonté du monde ne suffisent pas pour remporter des élections, comme le jeune Gandhi a pu le constater lors du dernier scrutin régional dans l’État indien le plus peuplé, l’Uttar Pradesh, où, malgré son implication personnelle dans la campagne, il n’a pas réussi à imposer le Congrès.

L’évocation insistante et souvent maladroite de ses illustres ascendants n’a pas empêché la débâcle redoutée. Sa nomination au secrétariat général du parti lui offre en quelque sorte une seconde chance de reconquérir le vote populaire. La direction du parti mise sur la jeunesse et le pedigree de son nouveau champion, oubliant que le principe dynastique, quel que soit le rôle que les Nehru-Gandhi ont joué dans l’Histoire, est en train de perdre de son attrait aux yeux d’un électorat majoritairement jeune (70 % de la population a moins de 35 ans) et qui n’a connu que la démocratie !

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