Afrique du Sud : la RATP à un train d’enfer
Les vaches sud-africaines n’ont pas le temps de le voir passer. Conçu et exploité par la Régie française, le Gautrain relie Pretoria et le centre de Jo’burg en quarante minutes.
Infrastructures : des chantiers à la pelle
Devant la gare centrale de Pretoria, le contraste entre le bâtiment de 1910, tout en briques ternies par le temps, et la structure de verre et d’aluminium voisine inondée de soleil, est saisissant. Dans la Gautrain Station, gare ouverte en 2011, un train fuselé gris argent déverse une foule de passagers venus de Johannesburg. Des élégantes et des hommes d’affaires, en majorité blancs, pressent le pas sur le carrelage immaculé, guidés par une voix suave émanant de discrets haut-parleurs.
L’Afrique du Sud a-t-elle vraiment changé ? On peut en douter. Derrière la clôture, autre ambiance. Le long du vieux réseau géré par la compagnie publique Passenger Rail Agency of South Africa (Prasa), sous les injonctions que les mégaphones aboient, une véritable cohue, essentiellement noire, s’échappe d’une rame aux couleurs délavées. Les deux services assurent le même trajet, mais pas au même rythme : Prasa met plus de deux heures là où le Gautrain file en quarante minutes ; ni aux mêmes tarifs : ceux du train rapide sont quatre fois plus élevés.
Élégantes et hommes d’affaires, en majorité blancs, pressent le pas, guidés par une voix suave.
Péché originel
Tout un monde sépare les deux gares… « C’est un peu le péché originel du Gautrain, convient Arnaud Legrand, PDG de Bombela Operating Company, l’opérateur du train détenu à 51 % par la RATP Dev, filiale du Groupe RATP (Régie autonome des transports parisiens). Il a été pensé au lendemain de l’apartheid pour désengorger le trafic routier entre les deux villes et aider la classe moyenne blanche établie le long de la ligne à se rendre au travail. »
Sa clientèle est donc « composée de Blancs à 70 % ». Et cette proportion est plus que respectée sur les quais de la station Midrand, qui dessert la banlieue-dortoir du même nom, au nord de Jo’burg. Seuls les balayeurs, désoeuvrés faute du moindre détritus à ramasser, apportent un peu de couleur dans leur salopette bleu roi.
Alentour, aucun commerce ne propose de café ou de snack. « Il est interdit de consommer la moindre nourriture dans l’enceinte de la gare », sous peine d’une amende de 70 rands (environ 4,7 euros), préviennent des affichettes. « Cela nous facilite beaucoup la tâche », apprécie Denis Tassin, directeur de la maintenance chez RATP Dev, qui avoue que son employeur « rêverait d’introduire ce genre de pratique à Paris »…
Tout à refaire
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Quand, en 2006, le consortium Bombela, composé du canadien Bombardier et des français Bouygues Travaux publics et RATP, a remporté l’appel d’offres de 2,3 milliards d’euros lancé quatre ans plus tôt par la province du Gauteng, « tout était à refaire en matière de transports en commun », se souvient Arnaud Legrand.
Géré par de grandes sociétés publiques, le réseau de passagers cumule alors les problèmes : des taux de rendement et de ponctualité terriblement bas, une grande insécurité dans les rames…
« C’était intenable pour un pays organisateur de la Coupe du monde de football. » Décision est donc prise de chercher à l’étranger les compétences susceptibles d’assurer la réussite du futur TGV sud-africain, en autorisant le premier partenariat public-privé dans le secteur ferroviaire et en accordant l’exploitation du Gautrain à la RATP Dev jusqu’en 2026. Résultat : une régularité assurée à 99,7 % et une seule agression officiellement répertoriée.
Moderne
Les 450 employés de Bombela ont de quoi être fiers. Claire Myeni, contrôleuse en chef, ne regrette pas d’avoir quitté le KwaZulu-Natal et Transnet, l’opérateur national de fret ferroviaire, pour participer à l’aventure. « Tout est plus moderne, mieux organisé et contrôlé », confirme la jeune femme de 32 ans, talkie-walkie en bandoulière, le regard fixé sur le réseau stylisé qui couvre un pan de mur du centre d’opérations « le plus sophistiqué de la sous-région ». Selon la position des onze rames qui assurent la rotation, les diodes rouges et vertes s’allument ou s’éteignent.
Devant les écrans alimentés en permanence par les 750 caméras de surveillance installées dans les dix gares et le long des 82 km de voies ferrées, Pascal Pellacoeur, directeur des opérations, explique : « Comme les vaches qui regardent passer les trains, nous n’avons rien à faire jusqu’au moment où un problème est signalé. Nous réagissons alors très vite. » De toute façon, les conducteurs n’ont pas droit à l’erreur. « Au moindre écart de vitesse supérieur à 5 km/h, le train s’arrête. À plus de 8 km/h, il repart directement au dépôt », reprend le vétéran de la RATP.
Sueurs froides
Derrière les manettes de son engin lancé à 160 km/h, Simon Masilela garde le pied bien appuyé sur la pédale qui permet de vérifier qu’il est toujours éveillé. Cela fait trois ans qu’il est là, et il n’en revient toujours pas. « J’étais terrifié la première fois que je me suis retrouvé seul aux commandes », sourit le chauffeur de 29 ans, qui reconnaît avoir encore quelques sueurs froides lorsqu’il pleut et que « les conditions de freinage deviennent plus délicates ».
Aucun incident à déplorer jusqu’à présent. Malgré son prix, le Gautrain a trouvé son public et prouvé son utilité. « Nous transportons 50 000 personnes par jour en moyenne, soit la capacité maximale du réseau en son état actuel », estime Arnaud Legrand. L’opérateur doit réceptionner une douzaine de voitures supplémentaires « afin d’accélérer les cadences et de ramener les temps d’attente à dix minutes au maximum », alors que la ligne doit être prolongée cette année, au nord vers les faubourgs éloignés de Pretoria et au sud pour rallier Soweto.
Conforté par cette réussite, le gouvernement sud-africain songe même à réaliser une vraie ligne TGV entre Johannesburg et Durban, distantes de 570 km. « Pour une mise en service à l’horizon 2023 », précise le responsable de RATP Dev, qui pourrait cependant voir ce marché lui filer sous le nez puisqu’un groupe japonais semble tenir la corde.
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