[Série] Antonio Dikele Distefano, l’autodidacte qui veut faire plus de place aux Afro-Italiens (1/5)
« Afro-Italiens : génération consciente » (1/5). Né en Italie de parents angolais, Antonio Dikele Distefano défend des projets artistiques éminemment politiques pour donner de la visibilité aux Afrodescendants.
[Série] Afro-Italiens : génération consciente
Longtemps marginalisés, les Italiens afrodescendants ont décidé de faire entendre leur voix. Artistes, écrivains, chanteurs… Portraits des fers de lance d’une génération bien décidée à changer les choses.
Écrivain, scénariste, présentateur d’émission télévisée… Antonio Dikele Distefano est un infatigable touche-à-tout qui, depuis 2014 et la publication de son premier roman, enchaîne les succès. « Un jour, explique-t-il, j’ai décidé que j’en avais assez d’attendre que la société italienne me fasse une place à sa table et que, avec mes amis, j’allais construire ma propre table. » Depuis, il ne s’est plus arrêté.
Né en Italie de parents angolais, il n’a que 28 ans mais peut déjà revendiquer un joli palmarès : cinq romans dont l’un a obtenu un prix littéraire (le Premio fiesole) ; deux émissions musicales ; un magazine en ligne, Esse, lancé en 2016 et devenu ensuite une chaîne YouTube, « Basement Cafe » (23 millions de vues en deux ans) ; des portraits réalisés pour la chaîne de télévision LaEffe et même une série Netflix – Zero – qui doit sortir en 2021… Insatiable, il prévient : « Arriver sur Netflix ne doit pas être le point culminant de ma carrière ! » « Depuis toujours, continue-t-il, le point commun à tous mes projets est la persévérance. Je suis un perfectionniste, j’étudie beaucoup. Peut-être pas dans le sens traditionnel du terme, mais avant de m’atteler à un projet quel qu’il soit, je fais en sorte d’en apprendre le plus possible. »
Déclassement et précarité
L’histoire familiale d’Antonio Dikele Distefano s’enracine en Afrique. Dans les années 1980, son père et sa mère fuient la guerre civile qui déchire l’Angola, trouvent refuge en RD Congo, puis parviennent à gagner la Suisse et enfin l’Italie. Lui naît à Ravenne, en Émilie-Romagne. Ses parents tiennent une épicerie, un « african market », mais les temps sont durs. Licenciement, chômage, petits boulots… Les Distefano connaissent le déclassement, la précarité, les coupures de gaz et d’électricité. À plusieurs reprises, faute de pouvoir payer son loyer, la famille est expulsée. Les difficultés sont telles qu’enfant, Antonio se sent « vieux ». L’école n’arrange rien : mauvais élève, il parvient tout juste à décrocher son brevet : « Avec moi, l’école n’a jamais marché, parce qu’on a toujours essayé de me convaincre que j’allais être ouvrier. »
Désormais âgé de 18 ans, il aspire à autre chose. Il lit, beaucoup, cherche sur internet des conseils pour devenir écrivain, découvre que l’on peut se passer de maison d’édition, se lance dans l’écriture et publie un premier ouvrage à compte d’auteur en 2014 (Dehors il pleut, à l’intérieur aussi, je passe te prendre). Trois mois après sa sortie, Mondadori en rachète les droits. Un an plus tard, le livre s’est déjà vendu à 100 000 exemplaires.
Antonio Distefano est lancé. Tôt ou tard nous nous embrasserons sort en 2016, Qui souffre ne le dit pas en 2017, toujours chez Mondadori. Imprégné de culture hip-hop, grand admirateur de Puff Daddy, il lance en parallèle Esse avec une poignée d’amis, qui fait la part belle aux rappeurs italiens (« le rap, dira-t-il un jour, m’a sauvé la vie »).
Des projets éminemment politiques
Zero, la série dont il a écrit le scénario, est adaptée de Je n’ai jamais eu mon âge, sorti en 2018. Dave Seke, Dylan Magon, Virginia Diop, Daniela Scattolin, Madior Fall, Livio Kone, Haroun Fall… Les acteurs principaux sont tous d’origine africaine et Antonio Distefano en est fier. « Il faut arrêter d’aller chercher des acteurs [noirs] en France. En Italie aussi, il y a des comédiens, il n’y a pas que des footballeurs ou des rappeurs noirs. »
À la haine, il faut répondre avec des projets plus grands et plus beaux. »
Dans une Italie qui fait si peu de place aux Afro-descendants, ses projets artistiques sont éminemment politiques, Antonio Distefano le sait et le revendique. « J’ai envie que mes neveux et les enfants de leur âge puissent s’inspirer d’une figure qui leur ressemble, sans avoir besoin d’aller la chercher dans un autre pays ou sur un autre continent, comme j’ai dû le faire. »
Antonio Distefano n’est jamais allé en Afrique. Sa mère est retournée vivre en Angola et la pandémie de Covid-19 l’a empêché de lui rendre visite en 2020, ainsi qu’il l’avait prévu, mais ce n’est que partie remise. Pour l’heure, il est occupé à lutter contre le scepticisme de la société et de la classe politique italiennes et à dresser la table qu’il a construite avec ses amis. « À la haine, il faut répondre avec des projets plus grands et plus beaux. Regardez notre table : on y invite qui on veut ! »
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