Dossier infrastructures : veni vidi… Vinci ?
Après des années de suprématie chinoise, les français Bouygues, Eiffage et Vinci repartent à l’assaut du continent. Leurs atouts ? Qualité, respect des délais et recours à la sous-traitance locale.
Infrastructures : des chantiers à la pelle
Concurrence déloyale, néocolonialisme, dumping social… Les entreprises de BTP chinoises ont essuyé, à tort ou à raison, toutes les critiques depuis leur arrivée sur le continent. Les groupes occidentaux, notamment hexagonaux, ont vu, eux, leurs parts de marché s’éroder. Selon un rapport des sénateurs français Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, rendu public en octobre dernier, la Chine remporte 90 % des marchés de BTP en Afrique.
Le chiffre doit sans doute être relativisé, mais illustre l’importance prise par des entreprises souvent publiques bénéficiant du soutien de la China Exim Bank, le bras financier de Pékin. Les entreprises françaises de BTP sont également à la peine dans les projets appuyés par les bailleurs internationaux, pourtant censés être plus respectueux des règles commerciales. Ainsi, entre 2006 et 2009, les Français n’ont obtenu que 1,6% des appels d’offres émis par la Banque mondiale alors que les Chinois en raflaient près de 30 %. Et même pour les marchés financés par l’Agence française de développement (AFD), les entreprises chinoises réussissent à remporter 7,5% des appels d’offres tandis que les multinationales tricolores ne dépassent pas les 30 %.
Selon un rapport du sénat français, la Chine remporte 90% des marchés de BTP en AFrique.
L’extension de l’aéroport de Nairobi, financée par un prêt de l’AFD et dont les études avaient été réalisées par Aéroport de Paris, a ainsi été attribuée à des entreprises chinoises « dont les offres, qui ont fait l’objet d’un examen attentif, étaient non seulement de 30 % moins chères, mais en tous points conformes aux normes environnementales et sociales exigées », note le rapport. « Si l’État français me fournissait mon matériel et que je ne devais pas payer mes employés, je pourrais aussi proposer des rabais de 30% », s’énerve le cadre d’une grande entreprise française de BTP. « Nous sommes dans un jeu où les règles sont biaisées », confirme Bouygues Bâtiment, cité dans le rapport des deux sénateurs.
Gâteau
Pour autant, depuis le début des années 1990, les Vinci, Bouygues ou Eiffage ont volontairement privilégié leur développement dans d’autres régions, notamment en Europe de l’Est, à la faveur de l’ouverture des ex-pays soviétiques.
Mais, alors que la croissance s’essouffle sur le Vieux Continent, l’heure du retour en Afrique a sonné. D’autant que le gâteau s’agrandit et que les risques d’impayés s’amenuisent. « L’Afrique a besoin de 100 milliards de dollars chaque année pour ses besoins minimaux en infrastructures », a lancé le 25 février Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD).
Des montants colossaux qui aiguisent les appétits. Eiffage ne cache ainsi plus ses ambitions. Alors que le groupe s’était replié sur le Sénégal, une équipe de développement se consacre désormais à la reconquête du continent.
Au-delà d’un dynamisme commercial qui commence à porter ses fruits (extension de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio après avoir livré le premier tronçon en août dernier, terre-pleins portuaires à Lomé, annexe de l’Assemblée nationale à Libreville, etc.), le groupe négocie actuellement l’acquisition d’une entreprise en Afrique du Sud.
« Nous sommes en plein redéploiement sur le continent, confirme Gérard Sénac, PDG d’Eiffage Sénégal. Mais nous privilégions la qualité à la quantité. Il faut bien choisir nos pays d’implantation et bien sélectionner nos partenaires éventuels, car nous voulons nous inscrire dans la durée. » Objectif affiché : tripler le chiffre d’affaires en Afrique pour atteindre le milliard d’euros d’ici à cinq ans.
Reconquête
Du côté de Bouygues, si le désir d’Afrique est affiché moins clairement, certains signes ne trompent pas. Au 31 décembre 2013, son carnet de commandes sur le continent a atteint 680 millions d’euros. « Bouygues est en train de reconquérir des positions au Nigeria, en Côte d’Ivoire et en Guinée équatoriale, et vise désormais de nouveaux marchés au Gabon, au Cameroun, au Mozambique et en Angola », a récemment confié Nicolas de Roquefeuil, directeur chez Bouygues du développement pour le Maghreb, l’Afrique francophone et lusophone, et directeur général de la Société d’étude et de travaux pour l’Afrique de l’Ouest (Setao).
À titre d’exemple, Bouygues Énergies & Services (filiale de Bouygues Construction) ambitionne d’atteindre 250 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le continent d’ici à 2016 (contre 130 millions en 2012). De la même manière, Colas, la branche « routière » du groupe, affirme avoir réalisé une bonne année 2013 au sud du Sahara, où elle dispose d’une dizaine de filiales, et a acheté 50 % des actions de l’entreprise sud-africaine Dust-a-Side en août dernier.
Le soleil se lève à l’Est
Si les filiales spécialisées de Bouygues (VSL, DTP Terrassement, Bouygues Énergies & Services) disposent déjà d’implantations dans l’est du continent (Mozambique, Afrique du Sud), Bouygues Construction, le navire amiral du groupe, ambitionne désormais d’y affirmer sa présence, visant particulièrement le Mozambique.
Par ailleurs, Colas, une autre de ses filiales, a déjà avancé ses pions dans la région avec des implantations en Ouganda, au Kenya et en Afrique du Sud, ainsi qu’avec l’acquisition de 50 % du capital du sud-africain Dust-a-Side. De quoi s’offrir des relais de croissance dans presque toute l’Afrique anglophone et profiter d’une représentation au Botswana.
De son côté, après avoir décroché un contrat portant sur la construction de deux ouvrages hydrauliques en Ouganda, Sogea Satom a annoncé vouloir profiter des belles perspectives de croissance au Mozambique. Enfin, selon nos informations, Eiffage serait en cours de prospection en Afrique de l’Est. Acquisition ou partenariat ? Les paris sont lancés.
Reste Vinci. Contrairement à ses concurrents, le géant du BTP et des concessions a toujours conservé une présence massive sur le continent. Sogea Satom, sa filiale africaine, dispose d’implantations dans vingt pays et y emploie 16 000 personnes.
En 2013, ses revenus ont bondi de 18,5%, à 1,1 milliard d’euros. « L’objectif est de développer ces implantations tout en renforçant notre présence », confie le groupe.
Sogea Satom revient par exemple en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les majors françaises (re)mettent donc le cap sur l’Afrique, avec un succès indéniable, même si elles ont dû renouveler leur manière de travailler.
« Personne ne nous attend en Afrique », assure ainsi un entrepreneur français. Alors comment expliquer ces réussites récentes, malgré la concurrence chinoise ?
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Machines
« Les marchés sont demeurés porteurs grâce à la progression des financements publics directs et au maintien de ceux des grands bailleurs de fonds internationaux et des investisseurs privés », analyse-t-on chez Sogea Satom.
« En Afrique, il faut être africain, avance par ailleurs Gérard Sénac, d’Eiffage Sénégal. Si vous travaillez avec des cadres français, vous n’êtes pas compétitif. Il faut aussi nouer des partenariats en sous-traitant par exemple entre 20 et 30% des travaux à des entreprises locales. »
Autre aspect fondamental, les entreprises françaises utilisent du matériel performant qui leur permet d’obtenir un meilleur rendement. Sogea Satom possède 9 000 machines (niveleuses, camions, etc.) sur le continent.
Les groupes français soulignent également leur respect des délais, les efforts en termes de sécurité et ceux pour atteindre les normes européennes en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Dernière explication, et pas des moindres, les entreprises chinoises auraient tendance à remonter leurs prix. « Nous observons toujours des entreprises qui, pour pénétrer un marché, vont casser les prix de 30 ou 40%. Mais les compagnies implantées depuis une décennie présentent désormais des offres équivalentes aux nôtres », constate le PDG d’Eiffage Sénégal.
Afrique du Nord : du haut de gamme, sinon rien
Le point commun entre les groupes Colas et Sogea Satom ? Ils ont pris pied pour la première fois sur le continent au Maroc, dans les années 1930. Un peu moins d’un siècle plus tard, ils y sont toujours. La stratégie des groupes français consiste à viser le haut de gamme ou des projets qui nécessitent des compétences techniques spécifiques. Seule manière, selon eux, d’être concurrentiels face aux groupes locaux, mais aussi face aux entreprises chinoises, turques, espagnoles, italiennes ou portugaises.
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