Super Girls, nouvelle Révolution culturelle
Inspirée des shows américains « Pop Idol » et « American Idol », une émission de variétés déchaîne les fans et fait goûter au peuple la démocratie par SMS.
Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.
Pour des centaines de millions de Chinois, le sujet le plus « chaud » n’est ni la flambée des cours du pétrole ni la grogne des chômeurs, mais le show Super Girls, concours organisé par la chaîne régionale Hunan Television Satellite. Jamais une émission de variétés n’avait obtenu un tel succès en Chine. Parti en mars 2004 de la province du Hunan pour sa première édition, l’événement touche désormais la totalité du pays : les présélections sont organisées jusque dans les bourgades les plus reculées.
Contrairement à ce qui se pratique souvent, toutes les femmes peuvent participer à cette compétition : qu’importe leur catégorie sociale, leur culture musicale, leur voix, leur talent d’interprète, leur âge et même leur apparence… Pour une fois, l’égalité des chances est absolue ! Du coup, plus de 150 000 Chinoises, de 6 à 86 ans, ont répondu au slogan de l’édition 2005 : « Si tu as envie de chanter, alors viens chanter ! ». En outre, ce n’est pas seulement le cénacle de l’habituel « comité d’arbitrage organisé par des professionnels » qui sélectionne les impétrantes, mais aussi le public. Celui-ci choisit par SMS ses candidates favorites vues à la télévision, pour leur faire gravir, marche après marche, tous les degrés du podium. La réussite de l’émission tient sans doute pour beaucoup à cette formule inédite en Chine, qui donne à la population le sentiment trop rare de pouvoir manifester ses choix au moyen du droit de vote.
Une droit que la population ne se prive pas d’exercer : le 26 août, pour la finale, plus de 8 millions de SMS ont fait des trois jeunes lauréates chinoises des superstars pourchassées par tous les médias nationaux. Sans oublier tout ce qui va avec : contrats offerts par les maisons de disques, propositions de publicitaires et nombreux « castings ». Le tout sous le regard de près de 300 millions de téléspectateurs : le meilleur score de l’audimat chinois. Bref, un avenir pour le moins souriant, à défaut d’être radieux…
La gagnante de la finale, Li Yuchun, 21 ans, a réuni sur son nom sur le score impressionnant de 3 528 308 SMS, ce qui lui assure une « base populaire » enviables par de nombreux élus… Les autres candidates ont, elles aussi, connu leur heure de gloire. Les « vermicelles » – traduction du mot « fans » pour les Chinois – ont organisé spontanément des comités de soutien à travers toute la Chine pour promouvoir leur chanteuse préférée, allant jusqu’à descendre dans la rue pour donner plus d’écho à leur campagne.
Le « Super Girls » n’a pas manqué de susciter la polémique. Certains conservateurs pleurent « une culture traditionnelle sophistiquée, qui s’effondre sous les coups de la culture la plus banale du monde ». D’autres, en particulier des ultralibéraux, voient au contraire une « étincelle de la démocratie » parcourir les meetings et les manifestations de « vermicelles » pour soutenir leur « héroïne ». Bref, chez ceux qui soutiennent l’avancée démocratique comme chez ceux qui s’en méfient, on n’hésite pas à mettre ce concours de chant sur le même plan que les « révolutions des couleurs » survenues dans les anciens pays de l’Est…
Quant au gouvernement central, il semble embarrassé. S’il continue ce genre d’émission et ce qui l’entoure, il s’expose aux critiques de ceux qui lui reprochent déjà de jeter les traditions nationales dans le bain de la « mondialisation ». Si, en revanche, il lui prenait envie de l’interdire, le pouvoir de Pékin ne manquerait pas de déchaîner les protestations de ceux qui lui reprochent de vouloir étouffer la démocratie dans l’oeuf.
Mais les Chinois se moquent bien des états d’âme des politiques : fascinés par toutes ces filles qui peuplent leurs petits écrans, ils se contentent de s’amuser en regardant les chanteuses chanter et les danseuses danser…
