[Série] Oiza Queensday Obasuyi, une plume acérée pour dénoncer les maux de la société italienne (2/5)
« Afro-Italiens : génération consciente » (2/5). Italienne aux origines nigérianes, Oiza Queensday Obasuyi dénonce dans un essai et des chroniques incisives la discrimination et l’exclusion systémique qui prévalent en Italie.
[Série] Afro-Italiens : génération consciente
Longtemps marginalisés, les Italiens afrodescendants ont décidé de faire entendre leur voix. Artistes, écrivains, chanteurs… Portraits des fers de lance d’une génération bien décidée à changer les choses.
Oiza Queensday Obasuyi n’a que 25 ans, mais elle jouit déjà, en Italie, d’une jolie notoriété. Pour ses prises de positions, radicales et engagées, pour ses « coups de gueule » aussi, qui font le bonheur des réseaux sociaux. Et pour le succès de Corps étrangers, l’essai qu’elle a publié en novembre dernier aux éditions People, déjà en cours de réimpression.
Oiza Queensday Obasuyi n’a pourtant pas encore fini ses études. Elle soutiendra dans quelques jours – le 23 février – son mémoire de Master II en relations internationales à l’université de Macerata, dans le centre de l’Italie (il y sera question des migrations de l’Afrique vers l’Europe). Elle ne sait pas non plus vers quoi elle se dirigera ensuite, la coopération internationale ou alors la recherche académique. Elle sait en revanche qu’elle aura à cœur de continuer à dénoncer la discrimination et l’exclusion quasi systémique qui prévalent en Italie, comme elle le fait déjà dans la revue Internazionale et dans le webzine The Vision.
Réparation
Italienne aux origines nigérianes, Oiza Queensday Obasuyi a fait de Corps étrangers un véritable cri politique. Admiratrice de Frantz Fanon aussi bien que d’Achille Mbembe, dont elle a choisi une citation en épigraphe (« Le racisme n’est pas un accident, c’est un écosystème »), elle martèle ligne après ligne son envie de changement et de réparation.
Enfant, elle se rêvait vétérinaire ou biologiste marine. Parfois journaliste. La jeune Oiza Queensday Obasuyi naît et grandit à Ancône, sur les bords de l’Adriatique. « À l’école, j’ai toujours été la seule élève noire », raconte-t-elle. Il lui faut attendre ses 18 ans pour devenir enfin italienne aux yeux de la loi. Elle se souvient des longues heures passées chaque année dans les locaux de l’ambassade du Nigeria, à Rome, et de sa mère qui, sans cesse, devait y faire renouveler son permis de séjour. « Les lois italiennes sur la citoyenneté sont rétrogrades, s’emporte-t-elle. C’est inconcevable que quelqu’un qui naît et grandit en Italie de parents étrangers ne puisse pas être considéré Italien et doive régulièrement demander la permission de rester dans son propre pays. »
Cela ne m’intéresse pas de demeurer impartiale face à l’injustice ou au déni de droit
Oiza Queensday Obasuyi affirme n’éprouver aucune nostalgie de ses racines africaines. « Je ne peux pas ressentir le manque d’un lieu où je ne suis jamais allée », explique-t-elle. Le Nigeria de ses parents l’intéresse, bien sûr. Elle en aime les tissus, la nourriture et la musique, avec un goût prononcé pour l’afrobeat. Elle a consacré son mémoire de licence au Nigeria précolonial, ne cache pas sa fascination pour les divinités Orishas et s’exprime avec aisance en pidgin english. Mais elle se sent profondément italienne et très attachée à cette région des Marches où elle a vu le jour.
« Pornographie de la pauvreté »
Sourire aux lèvres, la jeune femme s’exprime avec passion. Elle raconte sa vision dans cette chronique engagée qu’elle tient sur Facebook (« Non me ne ero accorta « , « Je ne m’en étais pas aperçue ») avec les écrivaines Djarah Kan (d’origine ghanéenne) et Espérance Hakuzwimana Ripanti (d’origine rwandaise). Elle dit sa fascination pour les mouvements révolutionnaires africains et fustige la philanthropie occidentale, qui trop souvent se nourrit « d’une pornographie de la pauvreté » faite de guerres et d’enfants sous-alimentés. Ses détracteurs lui reprochent parfois ses prises de position tranchantes et sa plume acérée, mais Oiza Queensday Obasuyi s’en moque. « Je ne suis pas journaliste, rétorque-t-elle. Je n’ai pas non plus à être impartiale, au-dessus des parties. Et puis cela ne m’intéresse pas de demeurer impartiale face à l’injustice ou au déni de droit. »
Les Corps étrangers de son essai sont ceux des migrants et de leurs enfants, ceux que la société italienne occulte et ne veut pas voir, ceux qui sont exclus de la sphère politique, privés de leurs droits (y compris fonciers), tournés en dérision dans les médias et le cinéma et parfois même violentés. Oiza Queensday Obasuyi dénonce aussi des législations discriminantes, depuis les lois raciales de 1938, qui stipulaient que « les caractères physiques et psychologiques purement européens des Italiens ne [devaient] être modifiés en aucune manière » jusqu’à la loi 189 connue sous le nom de Bossi-Fini, qui tente depuis 2002 de réguler les flux migratoires.
Elle ne craint pas les mots. Elle veut nommer – le racisme, l’insuffisance mémorielle – pour déconstruire puis reconstruire. Crier haut et fort contre les discours qui alimentent la peur d’une substitution ethnique et contre les discriminations qui visent les demandeurs d’asile. Les morts en Méditerranée, l’appui financier fourni aux garde-côtes libyens, la connivence entre les médias italiens et le gouvernement, le sexisme, le patriarcat… Elle fait feu de tout bois. « Je n’aime pas les gens qui s’économisent », disait Frantz Fanon. Une citation qui fait sans nul doute écho à l’énergie que déploie Oiza Queensday Obasuyi.
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