Amine Tazi-Riffi, rattrapé par l’Afrique
Né en Suisse, Amine Tazi-Riffi n’a renoué avec ses origines marocaines qu’après la trentaine. Et a découvert, au passage, un marché prometteur. Depuis, l’ingénieur pilote l’expansion de McKinsey sur le continent.
Genève, le 18 mars. Dans le hall de l’hôtel InterContinental se tient, très ponctuel, Amine Tazi-Riffi, directeur depuis plus de dix ans du bureau suisse de McKinsey & Company. S’il a accepté de nous rencontrer, celui qui pilote également les activités africaines de la firme pose une condition non négociable : il ne répondra à aucune question ayant trait aux clients du cabinet. Dans cette maison, connue pour conseiller les grands de ce monde, la loi du silence est de rigueur. « La confidentialité est notre principal capital. Si on se met à parler de nos clients, on est hors jeu. Ce n’est pas pour faire dans la langue de bois, mais c’est l’éthique du métier qui nous impose cette règle », explique Tazi-Riffi en mordillant un quignon de pain.
Dans les couloirs du palace genevois, ce quadra plutôt menu ne passe pas inaperçu. Et pour cause : il fait partie du club très fermé de ceux qui tutoient les PDG et chuchotent à l’oreille des ministres. « Amine, c’est une sorte de rock star », nous lance, sur le ton de la plaisanterie, un homme d’affaires maghrébin. Au Maroc, il est surtout le planificateur en chef des grands chantiers publics. Un « superconsultant » que certains suspectent d’avoir constitué un État dans l’État.
Amine Tazi-Riffi fait partie du club très fermé de ceux qui tutoient les PDG et chuchotent à l’oreille des ministres
Parcours d’élite
Né en 1970 à Genève dans une famille marocaine, Amine Tazi-Riffi a grandi loin du royaume chérifien. « Mes parents se sont rencontrés en Suisse et y ont vécu toute leur vie, mon père ayant effectué une grande partie de sa carrière aux Nations unies, à Genève. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi de faire ma vie ici », raconte-t-il.
Diplômé de l’École polytechnique de Lausanne et du très prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), ce brillant ingénieur a été repéré et recruté très tôt par McKinsey, dès 1996. Quatre ans à peine après y être entré, il est élu – comme le veut la tradition du cabinet aux 9 000 consultants – senior partner. Le plus jeune de toute l’histoire de McKinsey, « à 30 ans. À l’époque, j’étais le seul Africain et [le seul] Arabe à avoir ce statut », se souvient-il avec émotion.
Spécialiste des télécoms et des assurances en Europe, Amine Tazi-Riffi n’a presque pas de lien avec l’Afrique. Mais un événement va bouleverser sa vie : la naissance de son premier enfant. « J’ai commencé à me demander qui j’étais, quelle histoire j’allais transmettre à mes enfants, quel était le sens de ce que j’entreprenais… J’ai alors décidé de me rendre au Maroc pour mieux comprendre d’où je venais », confie-t-il. Et de voyage en voyage, ce consultant parti à la découverte de son identité détecte un énorme gisement d’affaires.
Griffe
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Le roi Mohammed VI, qui vient alors à peine de monter sur le trône, a choisi de miser sur une nouvelle génération de technocrates. Le Maroc bouge. Et Amine Tazi-Riffi est sensible à ce changement. « Dès que j’ai commencé à nouer des contacts, j’ai senti qu’il y avait une demande importante pour les prestations que nous offrons à nos clients européens. J’ai décroché mes deux premiers marchés en 2001, en une semaine », raconte-t-il.
Depuis, toutes les grandes stratégies sectorielles du pays portent sa griffe : plans Azur (avec son objectif de 10 millions de touristes), Émergence ou Maroc Vert, libéralisation du secteur aérien, nouvelle stratégie du groupe OCP, etc.
Une belle réussite sur laquelle le consultant s’appuiera pour convaincre, en 2004, son état-major d’ouvrir un bureau en Afrique du Nord. Ce sera Casablanca. « Jusque-là, le cabinet n’avait qu’un seul bureau en Afrique, celui de Johannesburg. Et il n’envisageait pas particulièrement de se développer dans la région. C’est l’engouement pour nos prestations au Maghreb qui a révélé [au management] le potentiel de cette zone », rappelle celui qui a piloté l’expansion africaine de McKinsey.
Dix ans plus tard, « nous avons sept bureaux sur le continent ». Au cours des cinq dernières années, la firme, qui y emploie une armée de 250 consultants, y a traité avec pas moins de 34 États et une centaine d’entreprises privées. « On nous dit souvent qu’on a créé le métier en Afrique. Je dis plutôt que c’est le marché qui nous a créés », résume Amine Tazi-Riffi.
Optimiste
Plans Azur, maroc Vert, Émergence… Amine Tazi-Riffi est le planificateur des grands chantiers du royaume
Conseillant des organisations internationales actives en Afrique telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Onusida, l’homme a développé une vision assez optimiste de l’avenir du continent. Une analyse qu’il a exprimée dans « Lions on the move », un rapport publié en 2010 par McKinsey qu’il a coécrit et dans lequel il souligne le potentiel économique et humain du continent.
« C’est en travaillant sur les stratégies sectorielles dans différents pays que j’ai pris conscience de la puissance du consommateur africain, du pouvoir de négociation que les États sont en passe d’acquérir et du potentiel réel du continent. La question aujourd’hui n’est pas de savoir si l’Afrique va émerger ou non, mais à quelle vitesse elle va le faire », insiste Tazi-Riffi.
Un changement que reflète, pour lui, l’évolution de la mentalité des leaders africains. « Leurs discours d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux qu’on pouvait entendre il y a tout juste dix ans. Les dirigeants se posaient eux-mêmes des limites. Désormais, ils sont convaincus qu’il n’y a aucune raison de ne pas viser haut, de ne pas voir les choses en grand », commente le consultant. Un état d’esprit positif qu’il juge contagieux : « Quand parfois j’ai le blues, je rends visite à des dirigeants africains : ce sont de véritables sources d’énergie et d’inspiration », assure-t-il. Afrique, quand tu nous tiens…
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