Le crépuscule des généraux

La nomination de Larbi Belkheir, officier à la retraite et homme clé du régime, au poste d’ambassadeur à Rabat confirme la perte d’influence de l’armée au profit du chef de l’État.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Le référendum sur la Charte de la paix et de la réconciliation nationale prévu le 29 septembre mobilise classe politique et opinion publique. Civils ou militaires, syndicalistes ou patrons, les Algériens sont majoritairement absorbés par la campagne électorale. C’est sans doute ce qui explique la rareté des commentaires ayant accompagné la nomination, le 23 août, de Larbi Belkheir, directeur de cabinet du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, en qualité de nouvel ambassadeur d’Algérie à Rabat. En revanche, les spéculations autour des raisons de ce départ, des conséquences sur l’échiquier politique et de l’identité de son successeur vont bon train à Alger, en ces temps de campagne électorale.
Rentré de vacances après une escale parisienne pour un contrôle médical de routine, le général à la retraite a participé aux travaux de l’université d’été du Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique). Il n’avait l’air ni résigné ni accablé comme il se disait dans les salons algérois. « Pourquoi le serais-je ? s’étonne l’intéressé. Le président m’a chargé d’une mission délicate et complexe. Ce qui confirme la confiance dont il m’a toujours gratifié. J’attends sereinement la date de mon départ qui devrait intervenir au lendemain du référendum. Et si l’écart entre la date de ma nomination et celle de ma prise de fonctions dans la capitale marocaine semble important, il ne m’incombe pas entièrement. Il tient au report du mouvement diplomatique qui, traditionnellement, s’effectue début septembre. »
Pour l’heure, Larbi Belkheir occupe encore le fauteuil de directeur de cabinet présidentiel. Son successeur ? « C’est l’affaire du président, répond-il. Je n’ai pas la prétention de me croire irremplaçable. » Quant au timing, il importe peu aux yeux du prochain diplomate. « La consolidation des institutions de la République s’est confirmée ces dernières années. Aucun départ, à quelque niveau que ce soit, n’est susceptible de fragiliser l’édifice institutionnel. »
Pour ce qui est des réticences qu’il aurait manifestées à l’idée de sa nomination à Rabat, il les confirme : « Je ne me suis jamais vu en habit d’ambassadeur. Ce poste m’avait été proposé à trois reprises, la première en 1987 par le président Chadli Bendjedid. C’était au lendemain de sa rencontre avec Hassan II, au poste frontalier de Zoudj Beghal. J’avais alors refusé, et déjà des spéculations avaient accompagné la proposition du président Chadli : on disait qu’elle signifiait une disgrâce. La deuxième est intervenue en 1992, quand j’ai fait valoir mes droits à la retraite. Une troisième proposition m’a été faite en 1995, durant le mandat écourté du président Liamine Zéroual. À chaque fois, j’avais décliné l’offre. Cette fois, le président a trouvé les arguments pour me convaincre. »
Ses rapports avec Bouteflika ? « Tous les ambassadeurs d’Algérie peuvent recevoir un coup de téléphone du président. Pour ce qui me concerne, le ton sera nettement moins solennel. Notre long compagnonnage [leur première rencontre date de 1960], l’amitié et la complicité qui nous lient faciliteront ma tâche. Je suis totalement en phase avec le président Bouteflika sur l’approche des relations bilatérales avec le Maroc. »
La longévité de Larbi Belkheir dans les hautes sphères du pouvoir – plus d’un quart de siècle – donne un caractère particulier à son éloignement de la capitale algérienne. Le natif d’Ain Hadid, près de Frenda, a d’ores et déjà laissé une empreinte durable dans l’histoire de l’Algérie indépendante. À 67 ans, l’homme aux réseaux multiples, que l’on croyait indéboulonnable, que l’on présentait comme l’interface vitale entre le président et la haute hiérarchie militaire, interlocuteur inévitable de la classe politique, élément de pondération et souvent déterminant en dernière instance, lors des multiples séismes vécus par l’État algérien, cet homme, Larbi Belkheir, part.
Le choix de ce dernier terme semble l’agacer particulièrement. « Je ne pars pas, je continue de servir. Ailleurs et autrement. » À sa méfiance de militaire s’est déjà greffée la prudence du diplomate. Même si le général s’ingénie à minimiser cette sortie qui n’en est pas vraiment une, son poids personnel laisse présager qu’en quittant « le dispositif Boutef » il laisse une place béante. D’autant que l’événement se produit au moment où « Boutef » procède à un large remaniement dans le commandement de l’Armée nationale populaire (ANP).
Les bouleversements se sont accélérés depuis la démission, en août 2004, du général de corps d’armée Mohamed Lamari du poste de chef d’état-major, quelques mois après la réélection de « Boutef ». Les départs concernent particulièrement les officiers supérieurs surnommés « janviéristes », autrement dit ceux qui ont pris part au conclave militaire de janvier 1992 où fut décidée l’interruption du processus électoral remporté par le Front islamique du salut (FIS, dissous en mars 1992).
Les conclaves de l’ANP – on parlait de « comité central de l’armée » – ont grandement influé sur le devenir de l’Algérie. Ils constituent un label exclusif « Larbi Belkheir ». C’est ce dernier qui en a eu l’idée originale, en janvier 1979. Le président Houari Boumedienne venait d’être emporté par une maladie foudroyante et la succession n’était pas préparée. Alors lieutenant-colonel, directeur d’une prestigieuse école militaire dans l’Algérois, Belkheir propose aux officiers supérieurs une réunion secrète pour trancher entre les deux successeurs potentiels : le civil Abdelaziz Bouteflika, jusque-là chef de la diplomatie, et le colonel Mohamed-Salah Yahiaoui. Le conclave tranchera au profit d’un troisième candidat, Chadli Bendjedid. Depuis, le « comité central de l’armée » s’est réuni à chaque fois que l’Algérie a traversé une zone de turbulences. C’est ainsi que le fondateur des conclaves est devenu le grand architecte des décisions importantes.
Après l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, en avril 1999, et plus encore depuis sa réélection en avril 2004, l’influence de l’armée s’est considérablement atténuée et aucun conclave ne s’est tenu depuis cette date. Les bouleversements intervenus dans la haute hiérarchie militaire ont confirmé la tendance, et les mises à la retraite ont touché principalement des hommes réputés proches de Larbi Belkheir, à commencer par les généraux Mohamed Lamari, Mohamed Touati ou Fodil Cherif.
C’est pourquoi la nomination du directeur de cabinet au poste d’ambassadeur à Rabat semble entrer dans cette ligne de conduite du président : écarter les personnalités impliquées dans l’arrêt du processus électoral de 1992, qu’il a qualifié un jour de « violence politique ». Seuls « janviéristes » encore en poste, les généraux Gaïd Salah, 74 ans, chef d’état-major, Mohamed Medienne, alias Tewfik, 64 ans, patron du Département recherche et sécurité (DRS), et Smaïn Lamari, chef du contre-espionnage, que l’on dit gravement malade, semblent en sursis. Leur entourage respectif les dit sereins : « Ils ne sont pas inquiets, ils savent qu’ils doivent partir un jour et que ce jour est proche. »
On avait prédit le pire en cas de départ de Lamari, prévu de fortes turbulences si l’ossature de l’armée venait à être remodelée. Quant au départ de Belkheir du cercle décisionnel, et même si ce dernier conserve toute son influence, il promettait d’être des plus houleux. Il n’en a rien été. Bouteflika avait évoqué une transmission de témoin entre les générations de la guerre de libération et celle de l’indépendance. Elle s’effectue en douceur.

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