La fin du calvaire d’Agbéyomé Kodjo

L’ex-Premier ministre de Gnassingbé Eyadéma veut aujourd’hui créer son propre parti. Retour sur un parcours politique en dents de scie.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Après trois ans d’exil et soixante-trois jours de prison, Agbéyomé Kodjo ne cache pas son impatience de rentrer à Lomé. Un moment considéré comme le dauphin du chef de l’État défunt Gnassingbé Eyadéma, l’ancien président de l’Assemblée nationale (1999-2000) et Premier ministre déchu (2000-2002) entend bien retrouver tout le charisme, la richesse et le pouvoir dont il jouissait avant que le général le limoge. Non pas qu’il ait vécu dans la misère en région parisienne. Sa maison, sa Mercedes, ses voyages ? « C’est grâce à la solidarité », explique-t-il. Pas un centime d’euro dépensé en France, soutient-il, ne provient des fonds publics qu’on l’accuse d’avoir détournés lorsqu’il était aux commandes du Port autonome de Lomé, de 1993 à 1999. Encore échaudé par son arrestation et par ses mois de détention à la prison militaire de Kara, dans le nord du Togo, Agbéyomé Kodjo clame son innocence à qui veut l’entendre. « En fait, on m’a jugé pour ingratitude, voire pour parricide, lâche-t-il en allumant nerveusement sa énième cigarette, et non pas pour m’être soi-disant approprié 10 milliards de F CFA. »
Agbéyomé Kodjo pensait même que l’affaire avait été enterrée avec la mort d’Eyadéma, le 5 février. C’est donc sereinement qu’il se présente à la frontière bénino-togolaise le 8 avril. « Je voulais aller fleurir les tombes de mes parents, décédés en 2004, et de mon frère cadet mort un mois auparavant », explique l’ancien homme d’État, balayant du même coup l’improbable hypothèse de sa candidature à l’élection présidentielle du 24 avril. À peine arrivé au poste-frontière à bord de son 4×4 rutilant, Kodjo est « pris en charge » par des policiers. « Ils m’ont dit qu’ils allaient m’escorter jusque chez moi en raison des troubles qui agitaient déjà la capitale. J’étais très touché par leur sollicitude », raconte-t-il. Or, très vite, le « dissident » s’aperçoit que le véhicule emprunte le chemin du Palais de justice. Le doyen des juges d’instruction semble l’attendre. Il lui signifie l’accusation pour détournement dont il fait l’objet. D’abord emmené à la prison civile de Lomé, Kodjo est ensuite conduit sous bonne escorte – sept militaires se trouvent dans le fourgon suivi d’une autre Jeep – jusqu’au centre militaire pénitencier de Kara, la ville natale du dictateur défunt, gardé par les fameux Bérets rouges. « Pendant cinq heures, je suis resté menotté. Impossible de boire ou d’uriner », se souvient-il. Ce n’est là que le début du calvaire. Agbéyomé Kodjo va vivre plus de deux mois durant dans une cellule sombre, vide, à l’atmosphère pestilentielle. « Il n’y avait ni couchage, ni lavabo, ni urinoir. Absolument rien. J’ai été traité comme un chien », lance-t-il, le regard dans le vide. Par pudeur, il n’en dira pas davantage sur ses conditions de détention.
Coïncidence ou non, le procès a lieu le 26 avril, le jour de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel, donnant le fils d’Eyadéma, Faure Gnassingbé, victorieux. Cinq heures durant, les six avocats d’Agbéyomé Kodjo – les Togolais Mes Akakpo et Botokro, le Nigérien Me Degey, les Sénégalais Mes Aissa Tall et el-Hadj Diouf, le Français Mario Stasi – vont tour à tour plaider la prescription des faits, la nullité de la procédure et le défaut de qualité de l’État togolais à se constituer partie civile. Il faudra attendre le 10 mai pour que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lomé rende son délibéré. Elle ordonne la libération immédiate de l’accusé et classe la procédure pour prescription, mais le procureur général s’acharne, indiquant qu’il fera un pourvoi en cassation. Finalement, le chef de l’État nouvellement élu, avec lequel Kodjo n’a jamais entretenu de relations suivies, décide de suspendre les poursuites judiciaires. Une étape logique dans sa politique d’apaisement de la nation, que l’accusé dénonce toutefois comme une intervention abusive du pouvoir dans le fonctionnement de la justice. Reste qu’Agbéyomé Kodjo est un homme libre depuis le 7 juin. Et, depuis peu, il dispose même d’un passeport diplomatique.
Un nouveau statut qui sert ses ambitions politiques. Dès son retour à Lomé, Kodjo souhaite rencontrer Dahuku Péré, un autre dissident « rénovateur » du parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Ensemble, ils ont l’ambition de créer un parti politique, l’Alliance pour la démocratie et la patrie, dont les statuts devraient être déposés très prochainement. « Puisque le RPT refuse de changer, puisque l’opposition dite radicale rechigne à nous faire confiance, nous allons ouvrir une troisième voie et participer à toutes les échéances électorales », s’emballe le quinquagénaire.

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