La campagne de tous les dangers

Le 11 octobre prochain, le pays choisira son nouveau président. Parmi les candidats en lice, l’ex-footballeur George Weah semble avoir des chances de l’emporter. Mais davantage que le scrutin, c’est l’après-élection qui suscite le plus d’interrogations.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

La campagne présidentielle est officiellement lancée au Liberia. Environ 1,3 million d’électeurs, sur une population estimée à 3 millions, se rendront aux urnes le 11 octobre, et l’investiture, prévue pour janvier 2006, mettra fin au gouvernement de transition dirigé, depuis deux ans, par le président Gyude Bryant. Compte tenu des accords passés lors de sa nomination, ce dernier ne fait pas partie des vingt-deux candidats en lice qui, globalement, représentent bien le paysage social et politique du Liberia d’aujourd’hui. S’y côtoient, pêle-mêle, d’anciens hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires de retour d’exil, mais également des chefs de guerre ayant peu ou prou combattu le régime du président déchu Charles Taylor. Avec également une star au tableau, et non des moindres : l’ancien footballeur international George Weah, Ballon d’or 1995.
Ce dernier est, sans conteste, le candidat le plus populaire, en particulier parmi la jeunesse, les pauvres – pour lesquels il s’est souvent engagé dans des actions humanitaires – et les dizaines de milliers d’ex-combattants en attente de réinsertion sociale. « Si je suis élu, je mettrai au point des programmes pour envoyer les jeunes à l’école et en faire des citoyens productifs », affirme Weah. Âgé de 38 ans, l’ancien attaquant – il a joué notamment à Monaco, au Milan AC et à Chelsea – n’a pas de formation académique ni d’expérience politique, mais se définit lui-même comme « un patriote que le devoir appelle ». Face à la critique, il se plaît à répéter que nombre de ses prédécesseurs et/ou adversaires, si bardés de diplômes ou expérimentés soient-ils, n’ont pas fait grand-chose pour la nation, bien au contraire. Volontiers populiste, il ne manque aucune occasion de souligner l’état désastreux des routes ou des bâtiments publics, de pointer du doigt les camps de réfugiés encore bondés et de se demander si les élites en place depuis plus ou moins longtemps détiennent vraiment la bonne réponse aux problèmes du Liberia.
Son programme diffère peu de celui des autres candidats, mais comment pourrait-il en être autrement dans un pays dévasté par quatorze ans de guerre civile, où il faut tout reconstruire ? Il donne la priorité à l’éducation – Monrovia était autrefois dotée d’une université réputée – et à la santé publique, prévoit la restauration des infrastructures (électricité et eau potable en premier lieu), la relance de l’économie par le développement du commerce, de l’agriculture et de l’exploitation rationnelle des ressources naturelles, etc. Weah s’appuie sur un parti nouvellement créé, le Congrès pour le changement démocratique (Congress for Democratic Change, CDC), et compte parmi ses soutiens quelques « anciens » comme les ex-ministres des Affaires étrangères Rudolph Johnson et Baccus Matthews. Une brève polémique a surgi, début août, sur sa nationalité – il lui a été reproché d’avoir pris la nationalité française lorsqu’il jouait au Paris-Saint-Germain en 1993 -, mais la Commission électorale nationale (NEC) l’a finalement autorisé à se présenter.
Une forte notoriété peut-elle être plus utile qu’une idéologie dans l’exercice du pouvoir ? Les dirigeants qui ont, par le passé, plus ou moins présidé aux destinées du Liberia ont indubitablement échoué. Une star a-t-elle la capacité d’unir derrière elle, à long terme, toute une nation pour qu’elle se relève et devienne un pays démocratique et développé ? Rien ne le prouve ni ne l’infirme, mais l’enthousiasme qui anime actuellement la population plaide en faveur de George Weah et pourrait bien gagner les élites.
Dans sa campagne, la candidate du Unity Party (UP), Ellen Johnson-Sirleaf, répond partiellement à cette question : « Le Liberia n’est pas un pays pauvre, il regorge de richesses minérales, forestières et agricoles. C’est l’appropriation calamiteuse de ces ressources qui nous a conduits au fond du gouffre. Si nous les gérons correctement, nous parviendrons sans problème à assurer à chaque Libérien ses besoins de première nécessité, point de départ du redressement. » Économiste, ancienne fonctionnaire du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et cadre à la Citibank, elle a été ministre de l’Économie sous la présidence de William Tolbert, dans les années 1970. Lors de la présidentielle de 1997, elle est arrivée deuxième derrière Charles Taylor.
Elle représente un adversaire de poids pour George Weah. Davantage que Roland C. Massaquoi, ancien ministre de l’Agriculture, membre du National Patriotic Party (NPP), le parti de Charles Taylor. Celui-ci a dû admettre publiquement la déficience de sa formation durant son passage aux affaires, entre 1997 et 2003. Il aura donc bien du mal à convaincre. D’autant que l’ombre du président déchu, bien qu’il vive en exil au Nigeria, plane encore sur ses ex-partisans. Autre prétendant sérieux, Winston Tubman, avocat, ancien ambassadeur des Nations unies en Somalie. Homme réaliste, ex-candidat favori des Américains, du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et de la Banque mondiale pour la transition, ce haut fonctionnaire onusien est resté une vingtaine d’années en exil. Être le neveu de feu le président William Tubman dessert cependant sa cause auprès des plus âgés de ses compatriotes, à qui il rappelle vingt-sept ans de régime autoritaire. Que dire de la présence, dans la compétition, des chefs de guerre qui ont combattu Taylor jusqu’à provoquer son départ, en 2003 ? Toujours est-il qu’il ne faut pas négliger la candidature de Sekou Conneh, leader du Lurd (Liberians United for Reconciliation and Democracy), faction rebelle qui a mené l’essentiel de la lutte armée et, à ce titre, a gagné de nombreux partisans à l’intérieur du pays. Il se présente sous les couleurs du Progress Democratic Party, qu’il a créé au début de l’année 2005.
Même chose pour Alhaji Kromah, qui, après avoir fait la guerre à la tête de l’Ulimo (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), brigue aujourd’hui la magistrature suprême en tant que membre du All Liberian Coalition Party (Alcop). Il affirme pouvoir apporter à ses compatriotes, dans les deux ans à venir, l’électricité, l’eau potable, la sécurité et des emplois en s’appuyant sur la remise en état des plantations de canne à sucre. Son discours, très « ethniciste », vise à réhabiliter les Gios et les Manos, souvent considérés comme étant à l’origine de la guerre civile. Ces deux groupes culturels, écartés du pouvoir en même temps que les Américano-Libériens, ont été persécutés par le président Samuel Doe au début des années 1980. Cette répression a conduit au renversement et à l’assassinat de ce dernier en 1990 et marqué l’avènement de la « période Charles Taylor », son ancien directeur du renseignement, entré en rébellion.
Quel que soit le vainqueur du scrutin, la tâche qui attend le futur président est immense. Les immeubles calcinés de Monrovia aux murs criblés de balles, les trottoirs défoncés et la chaussée transformée en bourbier par la saison des pluies en montrent l’ampleur. Le Liberia d’aujourd’hui n’est plus qu’un État sous perfusion, soutenu par les bailleurs de fonds et l’ONU. Les 15 000 soldats de la Mission des Nations unies au Liberia (Unmil) déployés dans tout le pays depuis septembre 2003 peinent à maintenir l’ordre et à encadrer le désarmement et la démobilisation de la centaine de milliers d’ex-combattants, la plupart extrêmement jeunes. L’économie est en berne, l’exploitation du bois et des diamants redémarre lentement, les plantations d’hévéas – le caoutchouc était la ressource agricole phare du Liberia d’avant la guerre – vieillissent et l’exploitation du minerai de fer tourne au ralenti par manque d’infrastructures. Le taux de croissance n’a pas excédé 2 % l’an dernier et le gouvernement de transition, absorbé par la situation sécuritaire et la préparation au retour des réfugiés, n’a pas déclenché de « miracle économique ».

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