Kadhafi a-t-il changé ?

Se fiant aux promesses d’ouverture du « Guide », les Américains envisagent sérieusement de rétablir des relations diplomatiques normales avec Tripoli.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Le 20 août, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, Richard Lugar, a déclaré, à la suite d’entretiens avec plusieurs responsables libyens et d’une audience avec le leader Mouammar Kadhafi : « Je suis venu ici [en Libye] avec des instructions du président Bush pour promouvoir nos relations. L’élévation des représentations diplomatiques entre la Libye et les États-Unis pourrait être le fruit de cette visite. » Depuis que les deux pays ont renoué leurs relations diplomatiques le 28 juin dernier, après une rupture de vingt-quatre ans, ils ne sont en effet représentés que par des bureaux de liaison et non au niveau d’ambassades.
Dans un entretien accordé deux jours plus tard à l’AFP, le fils aîné du « Guide » et son dauphin présumé, Seif el-Islam, a cru pouvoir affirmer, de son côté, que « le drapeau américain va être hissé en Libye et le drapeau libyen aux États-Unis dans les prochains jours ».
Cette information a été accueillie avec une certaine réserve à Washington. Pour autant, elle n’a pas été démentie. « Nous venons de loin et je pense que nous avons fait du chemin dans les relations avec la Libye, mais il y a des questions qui doivent encore être résolues », s’est contenté d’indiquer, dans la nuit du 22 au 23 août, le porte-parole du département d’État, Sean McCormack. Le 25 août, de hauts responsables américains et britanniques se sont réunis, à Londres, pour discuter de la nouvelle orientation à donner à leurs relations avec la Libye et essayer d’harmoniser leurs politiques respectives à l’égard de ce pays.
« Inscrit sur la liste des  »États voyous » établie par les faucons de la Maison Blanche, Tripoli pourrait être la prochaine cible de Washington. » Voilà ce que nous écrivions, sous le titre « Après Saddam, Kadhafi ? », dans Jeune Afrique/l’intelligent du 9 mars 2003. À l’époque, la Libye était une des bêtes noires des États-Unis. Figurant depuis 1979 sur leur liste des pays soutenant le terrorisme international, elle était frappée par un embargo américain sur les investissements dans les secteurs pétrolier et gazier. Un embargo aérien et militaire avait également été décrété par les Nations unies en 1992, à la suite des attentats contre des avions de la compagnie américaine PanAm, en 1988, au-dessus du village écossais de Lockerbie, et de la compagnie française UTA, en 1989, au-dessus du désert du Ténéré, ainsi que celui contre la discothèque La Belle en 1986, à Berlin-Ouest, tous attribués aux services secrets libyens. Jusqu’à une date récente, la Jamahiriya (république des masses) était régulièrement citée, à Washington, parmi les pays arabes où l’administration américaine souhaitait provoquer un changement de régime.
Qu’est-ce qui a changé en Libye pour que les Américains envisagent sérieusement de rétablir des relations diplomatiques normales avec ce pays ?
La Libye a renoncé, en décembre 2003, à son programme d’armes de destruction massive. Après avoir livré, en 1999, les deux suspects libyens dans l’affaire de la PanAm, la Jamahiriya a versé des compensations financières aux familles des victimes des trois attentats déjà cités. Kadhafi, qui a su mettre en sourdine son antiaméricanisme, s’est gardé de condamner l’intervention américaine en Irak. Des personnalités libyennes, dont Seif el-Islam, entretiennent, depuis février 2003, des relations officieuses avec des officiels Israéliens. Tripoli ne cesse par ailleurs d’annoncer des réformes visant à libéraliser son économie et à encourager l’investissement extérieur, notamment dans l’exploitation de ses immenses ressources pétrolières et gazières.
Ces changements ont été pris au sérieux par les dirigeants occidentaux, qui ont défilé sous la tente du « Guide », notamment le président du Conseil italien Silvio Berlusconi, l’ex-président du gouvernement espagnol José María Aznar, le Premier ministre britannique Tony Blair, le chancelier allemand Gerhard Schröder et le président français Jacques Chirac. Le chef de la Maison Blanche, qui a promu la Libye au rang d’élève modèle de la communauté internationale, notamment en matière de désarmement chimique et nucléaire, prendra-t-il, lui aussi, prochainement, le chemin de Syrte ?
« À trop vouloir accompagner leur ex-ennemi public numéro un sur le chemin de la bonne gouvernance, les dirigeants occidentaux risquent de se fourvoyer à nouveau et de donner du crédit à un régime dont le despotisme n’a d’égal que la duplicité », affirment les opposants libyens, qui ne sont pas prêts à parier un shilling sur les capacités du « Guide » libyen à changer.
Comme ils le font remarquer, les annonces d’ouverture sont souvent faites par Seif el-Islam, qui n’a aucune fonction officielle et qui, de ce fait, n’engage en rien son père, que ses concitoyens surnomment Meftah (« la clé »). Seif el-Islam peut critiquer, comme il l’a fait le 20 août dernier, les tribunaux révolutionnaires, et appeler à indemniser les victimes des procès iniques. Tant que son père, qui a créé ces mêmes tribunaux, n’a pas reconnu ses erreurs, ni présenté des excuses, la réconciliation nationale n’aura pas lieu.
Rien ne changera en Libye, estiment ces mêmes opposants. Seif aura beau continuer à promettre des réformes : Mouammar s’emploiera à les faire capoter, en sous-main, par des soldats de l’ombre. Le fils a ainsi annoncé, le 20 août dernier, la libération imminente de 131 prisonniers d’opinion, en majorité des membres des Frères musulmans. Le 1er septembre, à l’occasion des festivités marquant le 36e anniversaire du putsch militaire qui a amené au pouvoir le colonel Kadhafi, les autorités ont libéré 1 667 détenus… tous de droit commun.
Kadhafi pourra continuer à tromper ses partenaires occidentaux – qui ne demandent d’ailleurs qu’à l’être. Les opposants libyens pensent, pour leur part, que le régime en place à Tripoli ne saura surmonter plus longtemps ses intenables contradictions. « Toute ouverture, aussi insignifiante soit-elle, accélérera sa chute », prédisent-ils.

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