100 jours pour sauver Doha

Entré en fonctions le 1er septembre, Pascal Lamy n’a que trois mois pour faire aboutir les négociations multilatérales sur le commerce et le développement avant la réunion ministérielle de Hong Kong, en décembre.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Pascal Lamy réussira-t-il là où Supachai Panitchpakdi a échoué ? Le nouveau directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a pris ses fonctions le 1er septembre, n’a guère plus de cent jours pour amener les 148 pays membres à clôturer favorablement les négociations du cycle de Doha sur le commerce et le développement avant la sixième conférence ministérielle de Hong Kong, du 13 au 18 décembre. Une tâche particulièrement ardue, les discussions achoppant encore sur plusieurs sujets sensibles – l’agriculture, sans laquelle aucun accord n’est envisageable, les tarifs douaniers sur les produits industriels et la libéralisation des services -, qui illustrent bien toute la complexité des positions des uns et des autres. Les pays développés n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts, depuis la première réunion de Doha, en 2001, au Qatar, pour parvenir à un accord global. Mais le cycle, qui aurait dû être bouclé à la fin de 2004, bute toujours sur une rivalité Nord-Sud qui a fait dérailler la précédente conférence ministérielle de Cancún, en septembre 2003, au Mexique, sans parler des divergences persistantes entre Américains et Européens.
Réunis à Genève du 26 au 29 juillet, les 148 pays membres ont, une nouvelle fois, constaté leur incapacité à s’entendre. « Nous avons des ennuis, inutile de le cacher », reconnaît une des responsables des négociations, l’ambassadrice du Kenya Amina Mohamed. Noeud gordien : les aides agricoles. Les pays du Sud et du groupe de Cairns (nations des grands propriétaires terriens, dont notamment le Brésil, l’Australie, l’Uruguay et l’Afrique du Sud, qui ont une agriculture très intensive et orientée vers l’exportation), continuent de demander la fin des subventions à l’exportation et des soutiens à la production, particulièrement américains, européens et japonais, qui créent des distorsions de prix sur les marchés internationaux. Les États africains et le Brésil visent particulièrement Washington, qui n’a toujours pas réformé son dispositif d’appui à ses producteurs cotonniers – plus de 3 milliards de dollars par an – malgré une condamnation, par deux fois (en premier jugement et en appel), par l’organe de règlement des différends de l’OMC. Selon l’ONG britannique Oxfam, les aides américaines ont entraîné 400 millions de dollars de perte pour les producteurs du continent entre 2001 et 2003. La Maison Blanche s’est engagée à revoir son dispositif de soutien agricole, à condition que l’Europe en fasse de même. Mais Washington menace de jouer la carte du bilatéralisme commercial si on lui demande des concessions trop « lourdes ».
L’Union européenne (UE), et plus particulièrement la France de Jacques Chirac, qui doit composer avec un lobby agricole puissant, est également l’objet de nombreuses critiques. Elle est notamment dans le collimateur des pays latino-américains producteurs de bananes, qui lui reprochent de mettre en oeuvre un régime d’importation trop favorable aux fruits antillais et africains. L’OMC a donné raison aux plaignants sud-américains, adossés aux multinationales bananières yankees. Pour se conformer à cette décision, Bruxelles a prévu de supprimer les quotas d’importation de bananes à partir de 2006 et de mettre en place un système de dédouanement par origine géographique des fruits. Mais l’UE ne parvient pas à trouver les niveaux idoines de taxation qui satisfassent les parties en présence. Il en va de la survie des producteurs africains et antillais. Moins « rentables » que leurs homologues d’Amérique du Sud, ils risquent de disparaître si la Commission européenne ne parvient pas à leur accorder des préférences tarifaires substantielles. « Cinq cent mille personnes vivent directement ou indirectement des exportations de bananes au Cameroun et en Côte d’Ivoire », indiquent les organisations de planteurs des deux pays. Sans compter les milliers de petits producteurs et d’exportateurs d’ananas, de mangues et de papayes dans les pays voisins (Burkina, Ghana, Mali et Sénégal), qui bénéficient des lignes de transport régulières mises en place pour les exportations de bananes. Ces deux dossiers – le coton et la banane – empoisonnent les négociations actuelles et contribuent à raffermir les positions des pays du Sud, qui ne lâcheront rien sur les tarifs industriels et la libéralisation des services si leurs intérêts ne sont pas pris en compte sur les questions agricoles. Les pays riches souhaitent obtenir pour leurs entreprises bancaires, financières, de transport et autres services une plus grande liberté pour s’installer et opérer dans les pays du Sud. Et une baisse des tarifs douaniers sur le commerce des produits industriels. Les discussions achoppent depuis des mois, car les nations en développement veulent conserver une certaine maîtrise de leur politique économique, notamment en gardant le droit de protéger certains pans industriels. Ils souhaitent aussi que les pays riches ouvrent davantage leurs frontières à leurs professionnels du secteur tertiaire, ce qui renvoie donc aux questions sensibles de l’immigration temporaire et des visas de travail.
Pour réussir à boucler le cycle de Doha, Lamy a peaufiné tout l’été le recrutement d’une équipe de choc. Le « moine soldat » a choisi quatre directeurs adjoints rompus aux longues et laborieuses négociations commerciales. Il s’est entouré des anciens ambassadeurs du Chili et du Rwanda auprès de l’OMC, Alejandro Jara et Valentine Rugwabiza, et de l’Indien Harsha Singh, qui était auparavant responsable de l’autorité des télécommunications de son pays après avoir été membre du secrétariat de l’OMC. Il a également reconduit Rufus Yerxa, ex-représentant américain adjoint au Commerce, qui a servi ces trois dernières années comme directeur adjoint auprès du directeur général sortant.
Un Américain, un Sud-Américain, un Asiatique, une Africaine… Les quatre sherpas du Français devront rallier les pays de leur zone d’influence à un difficile consensus, Lamy se chargeant lui-même de ses compatriotes européens. Peut-on envisager un dénouement favorable ? L’homme a réussi le tour de force, quand il était commissaire européen au Commerce, de réformer le système du soutien communautaire à l’agriculture en préservant l’essentiel des aides européennes. L’avenir dira si Lamy, bien qu’il s’en défende, est le nouveau deus ex machina de l’OMC.

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