[Tribune] Vers un ordre pacifique dans la Corne de l’Afrique

La victoire contre le TPLF a un coût élevé et la situation sécuritaire dans le Tigré demeure préoccupante, admet Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien. Mais seule une Éthiopie en paix peut jouer un rôle constructif dans la région et au-delà.

Abiy Ahmed, en octobre 2019. © Mistrulli/Fotogramma/ROPI-REA

Abiy Ahmed, en octobre 2019. © Mistrulli/Fotogramma/ROPI-REA

Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien. © REUTERS/Tiksa Negeri

Publié le 12 février 2021 Lecture : 5 minutes.

Les opérations entreprises par le gouvernement fédéral éthiopien ont libéré le peuple tigréen de décennies de mauvaise gestion par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Cela a suscité de nouveaux espoirs, mais aussi des inquiétudes quant à l’avenir de l’Éthiopie et son rôle dans la Corne de l’Afrique et au-delà. Les espoirs sont nés de l’éviction définitive d’un TPLF corrompu et dictatorial. Les Éthiopiens peuvent désormais imaginer un avenir basé non plus sur le chauvinisme ethnique, mais sur l’unité, l’égalité, la liberté et la démocratie. De plus, la source de division qui empoisonnait les relations interétatiques dans la Corne de l’Afrique est désormais surmontée.

Mais je suis conscient du malaise que le démantèlement du TPLF a suscité au sein de la communauté internationale. Je sais aussi que beaucoup redoutent une discrimination ethnique au Tigré et sont préoccupés par les obstacles à l’aide humanitaire. Mon gouvernement est déterminé à répondre à ces inquiétudes et à les dissiper. Le « respect dû aux opinions de l’humanité », cher à Thomas Jefferson, m’oblige à expliquer pourquoi mon gouvernement est intervenu pour rétablir la paix dans le Tigré, à expliquer comment nous tentons d’y atténuer les souffrances et pourquoi nos efforts – soutenus, je l’espère, par la communauté internationale – profiteront à tous les habitants de mon pays, y compris à ceux du Tigré, et à toute la sous-région.

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Aucun gouvernement ne peut tolérer que des soldats et des civils innocents soient pris en embuscade et tués par dizaines, comme l’a fait le TPLF à l’automne dernier. Mon premier devoir, en tant que Premier ministre et commandant en chef des forces armées, est de protéger l’Éthiopie et son peuple contre les ennemis internes et externes. Nos opérations au Tigré ont été conçues pour rétablir la paix et l’ordre rapidement. En cela, elles ont été un succès. Malgré tous nos efforts, il y a eu des morts et cela m’a profondément affecté, tout comme cela a bouleversé les personnes éprises de paix, ici et à l’étranger.

J’appelle les Nations unies et les agences humanitaires internationales à travailler avec mon gouvernement

Mettre fin aux souffrances dans le Tigré et dans tout le pays est désormais ma priorité absolue. C’est pourquoi j’appelle les Nations unies et les agences humanitaires internationales à travailler avec mon gouvernement afin que nous puissions, ensemble, apporter de l’aide à tous ceux qui en ont besoin au Tigré. En attendant, nous travaillons jour et nuit pour leur fournir assistance et pour faire en sorte que les droits humains soient respectés. Pour que nous réussissions, de nombreux défis devront être surmontés. Il faudra par exemple rétablir les lignes de communication délibérément détruites par le TPLF pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire, et dans ce travail de reconstruction, le soutien de la communauté internationale sera précieux.

Mon gouvernement est également prêt à aider les dirigeants du Tigré qui font le choix de la paix. Nous sommes d’ores et déjà en contact avec eux.

Aujourd’hui, la communauté internationale connaît le vrai visage du TPLF. Beaucoup ont condamné les violences ethniques dont il était responsable, mais certains étaient prêts à fermer les yeux sur la torture, sur les disparitions et sur les exécutions extrajudiciaires. Sans le TPLF, entendait-on, l’Éthiopie risquait de se fragmenter, comme la Yougoslavie dans les années 1990, et d’entraîner toute la Corne de l’Afrique dans le chaos. Le bon sens nous dit qu’un régime basé sur la division ethnique ne peut pas durer mais, comme dit l’adage, le bon sens n’est pas toujours largement partagé. Fort heureusement, les sociétés humaines ne tolèrent jamais la violence raciale, ethnique et religieuse très longtemps.

L’accord de paix signé avec l’Érythrée en 2018 est l’exemple même de ce que l’Éthiopie est capable et désireuse de faire

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Au cours des cinq années qui ont précédé mon élection à la tête de l’EPRDF, la coalition qui était au pouvoir et incluait le TPLF, les révoltes populaires contre le régime se sont multipliées. Le TPLF y a répondu avec sa brutalité habituelle, jusqu’à ce que l’élection de 2018 engage l’Éthiopie dans une nouvelle voie. Le parti que je dirige aujourd’hui est le premier, dans notre pays, à ne pas être basé sur la race, la religion ou l’appartenance ethnique.

La politique régionale du TPLF était une grossière extension de sa stratégie nationale du diviser pour mieux régner. Il a par exemple opté pour une politique d’exclusion et d’ostracisation l’Érythrée, pays contre lequel il menait des guerres par procuration en utilisant des pays voisins instables, accentuant au passage leur fragilité dans la durée.

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Une Éthiopie libérée du TPLF défendra la paix et le développement pour tous. Elle sera fondée sur l’égalité entre tous les peuples qui la constituent, y compris le peuple du Tigré qui souffre tant aujourd’hui.

Sur le plan extérieur, nous savons que nos intérêts nationaux sont indissociablement liés à ceux de nos voisins, et nous agirons en conséquence. L’accord de paix signé avec l’Érythrée en 2018 est l’exemple même de ce que l’Éthiopie est capable et désireuse de faire. Il a mis fin à deux décennies de violence et a permis à l’Érythrée de faire son retour au sein de la communauté internationale. Les Éthiopiens et les Érythréens qui vivent le long de la frontière n’ont plus à redouter la guerre.

Seule une Éthiopie apaisée peut jouer un rôle constructif dans la Corne de l’Afrique et au-delà

Mon gouvernement a également cherché à rétablir de bonnes relations avec nos autres voisins. À la suite de la crise politique au Soudan en 2019, l’Éthiopie a contribué à faire sortir ce pays du bord de la guerre civile, en contribuant à la création d’un gouvernement de transition composé de civils et de représentants militaires. De même, l’Éthiopie joue un rôle stabilisateur en Somalie et nous travaillons au rétablissement de la stabilité au Soudan du Sud.

Notre politique étrangère repose sur la conviction qu’une intégration régionale plus étroite bénéficiera à tout le monde, et nous n’avons pas ménagé nos efforts pour rendre opérationnelle la Zone de libre-échange continentale africaine. Il y a quelques semaines à peine, nous avons inauguré une autoroute reliant Addis-Abeba à Nairobi et Mombasa, un projet qui supprime les barrières physiques au commerce transfrontalier entre le Kenya et l’Éthiopie.

La route reliant Addis-Abeba au port érythréen d’Assab, qui est essentielle pour le commerce international, est également en cours de réhabilitation. De nouveaux axes relieront bientôt l’Éthiopie aux ports de Djibouti et d’Assab (pour remplacer l’ancienne route en cours de réhabilitation), et à Juba, la capitale du Soudan du Sud, offrant à ce pays enclavé un débouché commercial viable.

Plusieurs projets concernant les ports, la logistique, les parcs industriels et l’extraction de potasse sont également en cours de développement. Et j’espère profondément que, une fois achevé, le Grand Barrage de la Renaissance bénéficiera du soutien de tous nos voisins et offrira à tous des opportunités sans précédenten Afrique de l’Est.

Seule une Éthiopie apaisée, dirigée par un gouvernement respectueux des normes de conduite humaines, peut jouer un rôle constructif dans la Corne de l’Afrique et au-delà. Nous sommes déterminés à travailler avec nos voisins et la communauté internationale pour tenir cette promesse.

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