Des carats dans la nature

Investissements en berne, prospections au point mort… la principale réserve africaine dediamants demeure sous-exploitée.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Tout va pour le mieux dans le monde du diamant congolais, si l’on en croit Alex Yearsley, l’un des responsables de l’ONG britannique Global Witness. « La lutte contre la contrebande a progressé à pas de géant », se félicite-t-il, saluant le travail du Centre d’évaluation, d’expertise et de certification (CEEC), l’organisme congolais chargé de délivrer les certificats d’exportation des pierres précieuses. Les exportations battraient, elles, chaque année de nouveaux records, indiquait pour sa part Victor Kasongo, le directeur du CEEC, dans le rapport annuel de son organisme. Elles auraient atteint 727 millions de dollars en 2004 (l’équivalent de 30 millions de carats), en hausse de 13 % par rapport à l’année précédente. Mais au-delà de l’autosatisfaction de ses responsables, la filière connaît toutefois des difficultés sérieuses.
À l’heure où une pénurie mondiale de diamants se profile à l’horizon – les consommations respectives de l’Inde et de la Chine sont en constante augmentation -, aucune nouvelle prospection n’a été entreprise en RDC, principale réserve diamantifère du continent, depuis cinquante ans. Autre constat : la taxe sur les exportations ne rapporte pas plus de 10 millions de dollars par an à l’État congolais, ce qui est très peu au regard des recettes du secteur. Il est vrai que les gemmes suscitent une forte évasion fiscale, les trois quarts de son extraction étant assurés par 700 000 « creuseurs » artisanaux. Quant à l’exploitation industrielle, elle traverse une passe difficile. La Société minière de Bakwanga (Miba), entreprise publique, a été abondamment ponctionnée par l’État durant la guerre civile pour assurer l’intendance. Quant à la société privée Sengamines, elle serait en faillite.
L’année dernière, la Miba, contrôlée à 80 % par l’État congolais, n’a pu réaliser qu’un chiffre d’affaires de 97,5 millions de dollars à l’export, soit 13 % des exportations de diamants congolais, alors qu’elle fournit 24 % de la valeur de la production nationale (en carats). Cette contre-performance serait due au contrat qui la lie à la société canadienne Emaxon. En vertu d’un accord signé en avril 2003, la Miba s’est engagée à vendre 88 % de sa production à Emaxon au cours des quatre prochaines années, en échange d’un prêt de 15 millions de dollars. De fait, en 2004, la Miba a cédé ses pierres à son partenaire canadien au prix dérisoire de 13,40 dollars le carat, un tarif deux fois inférieur à celui obtenu par les « creuseurs » artisanaux. La Miba est donc condamnée à attendre l’expiration en 2007 de « l’accord léonin » passé avec Emaxon, faute d’avoir pu l’annuler, ou le modifier. D’après l’enquête d’une ONG canadienne, Partnership Africa Canada (Pac), Emaxon est une filiale de la société israélienne Dan Gertler International (DGI). Un nom bien connu dans le microcosme kinois, puisqu’en septembre 2000, DGI avait obtenu de Kabila « père » le monopole des exportations de diamants du pays pour 20 millions de dollars – monopole provisoire du fait des protestations internationales qu’avait alors provoquées l’accord.
Depuis, la Miba a également souffert du détournement d’une partie de ses recettes au profit du gouvernement et des Forces armées congolaises (FAC) entre 1998 et 2002 – une véritable tradition pendant la guerre civile. Jusqu’à un tiers de ses recettes aurait ainsi été siphonné durant cette période. Et en dépit des velléités de transparence du gouvernement, les choses ne semblent guère s’améliorer. Consulté pour renforcer le contrôle sur la production de diamants, Nigel Morgan, directeur de la société Overseas Security Services (OSS), a dû quitter le pays en 2003 après avoir mis au jour des affaires de détournements de pierres précieuses.
De son côté, la Sengamines et ses mille employés ont mis la clé sous le paillasson. Contacté en juin en Afrique du Sud, Rob Scott, le directeur financier d’Amil (nouveau nom du holding Oryx Natural Resources, qui détient 80 % de la Sengamines), justifiait alors « l’arrêt de l’exploitation depuis avril » par de simples « raisons de maintenance ». Depuis, la Sengamines invoque des difficultés logistiques pour expliquer sa fermeture. Son échec serait dû « aux charges énormes liées au coût d’acheminement du carburant par avion et à la rémunération d’une trentaine d’expatriés payés 10 000 dollars par mois. Au final, la compagnie minière s’est retrouvée dans l’impossibilité de rentabiliser en cinq ans un investissement de 120 millions de dollars », explique Jean-Pierre Bemba, vice-président de la République en charge des Affaires économiques et financières.
Une situation qui aurait également pour origine un contentieux avec les autorités. L’État aurait souhaité accroître la pression fiscale sur la Sengamines, qui, jusqu’ici, ne payait pas d’impôts sur les bénéfices. Elle profitait en effet d’une dérogation au code minier qui taxe l’industrie minière à hauteur de 18 %. Toujours est-il que sa production n’a jamais décollé. En 2004, la Sengamines n’a exporté que pour 11,8 millions de dollars de diamants, soit 0,6 million de carats.
Quoi qu’il en soit, les actionnaires d’Amil auraient révoqué les dirigeants du holding qui contrôle la Sengamines et mis la société en faillite. Sous la pression conjointe d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale congolaise, de la Banque mondiale et du FMI, le contrat octroyant en 2000 le gisement à la Sengamines serait sur le point d’être attribué à un nouvel opérateur. Candidat donné pour favori, la Miba serait candidate, en association avec l’incontournable Emaxon, à la reprise de la compagnie. Et de ses sept concessions de 712 km2 situées à 40 km de Mbuji-Mayi (Kasaï oriental), titres miniers dont elle avait été dépossédée lors de la création de la Sengamines.
Triste fin pour une société qui prévoyait de fournir 10 % de la production mondiale de diamants, mais dont les dirigeants n’ont jamais fourni le moindre business plan, souligne Jean-Pierre Bemba.
Quant aux investisseurs étrangers, deux ans après la fin de la guerre civile, leur retour se fait toujours attendre. Depuis 2002, la réforme du code minier permet à la Miba de former des joint-ventures avec des partenaires privés pour relancer la prospection sur les 78 000 km2 de sa concession. Des discussions sont actuellement en cours avec les groupes De Beers et BHP Billiton, ainsi qu’avec DGI en association avec le russe Alrosa. Mais jusqu’ici, seule la société canadienne Southern Era a obtenu 41 licences d’exploration et devrait démarrer la production d’ici à la fin de l’année, en dépit de nombreux problèmes logistiques.

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