Alexakis, conteur magique

Dans une ultime lettre à sa mère disparue, l’écrivain franco-grec raconte les petites choses de la vie et les grands événements du monde.

Publié le 12 septembre 2005 Lecture : 2 minutes.

Après Les Mots étrangers (Stock, 2002), dans lequel il racontait comment il s’était mis en tête d’apprendre le sango, langue véhiculaire de la Centrafrique, l’écrivain franco-grec Vassilis Alexakis cherchait un thème pour son prochain roman. Il était allongé sur un canapé dans sa maison de Tinos, une île des Cyclades, le visage tourné vers la bibliothèque : « La vue des livres m’a donné l’idée d’éliminer de mon esprit les sujets qui ont été déjà brillamment traités. Je me suis rendu compte qu’Hugo me dispensait d’évoquer les égouts parisiens, Zola la classe ouvrière, Zweig et Dostoïevski la faune des casinos, Dickens les orphelins […], Defoe les îles désertes. » En fin de compte, le romancier se résignera à mettre en scène le personnage qu’il connaît le mieux : lui-même.
En cet été 2004, l’auteur de La Langue maternelle (Stock, 1995), ouvrage qui lui valut le prix Médicis, est plongé dans ses méditations littéraires lorsqu’il met la main sur deux sacs de lettres qu’il avait envoyées à sa mère dans les années 1960. Il vivait à Lille, dans le nord de la France, où il poursuivait des études de journalisme. La lecture de ce courrier sera le point de départ de Je t’oublierai tous les jours, construit lui-même sous forme de lettre à celle qui le mit au monde et lui donna le goût de la littérature.
Aux souvenirs d’enfance en Grèce, au récit des pénibles années de familiarisation avec la société française viennent se mêler les longues conversations avec cette mère chérie qui, née dans une grande famille grecque de Constantinople – qu’elle refusait d’appeler Istanbul -, vouait un véritable culte à la langue hellénique. Mais Alexakis raconte aussi ce qui est advenu autour de lui ou à travers le monde depuis la mort de sa mère en 1993. Une myriade d’événements, anecdotes amusantes ou disparitions tragiques, en passant par les jeux Olympiques d’Athènes, le génocide du Rwanda ou les attentats du 11 septembre. Au fil des pages l’auteur retrace ainsi son itinéraire personnel, n’épargnant rien des vicissitudes de sa vie professionnelle et sentimentale, et explicite par la même occasion la genèse de chacun de ses ouvrages, depuis son premier roman, Le Sandwich, paru en 1974 chez Julliard.
Tout cela n’aurait pas forcément grand intérêt si n’intervenait une fois encore le talent de conteur d’Alexakis. Celui-ci appartient à cette catégorie d’écrivains capables de tenir en haleine le lecteur en lui parlant d’une banale fête familiale, en associant dans un même paragraphe des allusions à la cuisine de son pays natal, des réminiscences de voyages en Amérique du Sud, des considérations sur les langues ukrainienne et albanaise. Le tout empreint d’une sobriété et d’un humour délicat qui forcent la sympathie. Les jurés du Goncourt et du Renaudot ne s’y sont pas trompés : ils ont retenu Je t’oublierai tous les jours dans leurs premières sélections pour les prix qu’ils attribueront le 3 novembre prochain.

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