Un cauchemar américain

Alexandrie… New York, de Youssef Chahine (sorti à Paris le 7 juillet)

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

« Grâce à Dieu, je garde une certaine jeunesse. C’est probablement grâce à mes films. » À voir le dernier de ses longs-métrages, on ne peut que donner raison au plus célèbre des réalisateurs égyptiens, qui, à l’orée de ses 80 ans, est peut-être bien aussi le plus jeune. Avec Alexandrie… New York, Chahine fait preuve en effet d’une fougue, d’une capacité à émouvoir, d’une envie de séduire, d’une saine colère que doivent lui envier tous les autres réalisateurs de son pays.
Ce qui a mis ainsi le cinéaste alexandrin dans tous ses états ? Un dépit amoureux. Celui qu’il éprouve pour les États-Unis, qu’il a connus à l’âge de 19 ans, quand il a quitté son pays natal pour aller étudier dans une école de cinéma à Pasadena, en Californie. Écoutons-le : « Jamais je n’aurais cru qu’en soixante ans l’Amérique aurait pu se transformer à ce point, passer d’un pays exemplaire où tout le monde parlait de « Constitution », de « démocratie », de « droits de l’homme », à un pays brutal, impérialiste, avec une majorité d’obèses et de non-fumeurs. Comparez l’élégance de Gene Kelly et de Fred Astaire avec la bestialité de Stallone, Bruce Willis et Schwarzenegger. » Et, pour couronner le tout, voilà que cette Amérique qu’il aimait tant a pu élire Bush, « un fanatique, un crétin congénital ».
Sur l’écran, faites confiance à Chahine le conteur, le passionné de comédies musicales : sa mauvaise humeur ne lui a pas inspiré un film documentaire sur la disparition de « son » rêve américain, mais une fiction semi-autobiographique pleine de rebondissements, un de ces mélodrames kitsch, pleins de légèreté, d’humour et d’amour, dont il a le secret. Avec des dialogues savoureux, tous dits en arabe, y compris par les personnages américains, ce qui offre au spectateur, en inversant les conventions habituelles, un bel effet décalé.
Entre deux scènes de danse et quelques airs entraînants, on verra donc, au travers d’innombrables flash-back, un Égyptien de 19 ans, Yehia, double de Chahine dans les années 1940, apprendre le métier d’acteur au bord du Pacifique et tomber fou amoureux d’une belle Américaine, Ginger, qui fréquente le même institut d’art dramatique. Cinquante ans après, de retour aux États-Unis afin de recevoir un hommage pour sa brillante carrière de cinéaste, l’ancien étudiant retrouve sa passion de jeunesse. Ginger lui apprend alors que d’une nouvelle et rapide rencontre avec lui dans les années 1970 est né un garçon. Celui-ci, devenu danseur étoile, loin de se féliciter de découvrir ce géniteur inattendu, se révèle un ignoble yankee prétentieux qui rejette son père… parce qu’il est arabe. Yehia, d’abord fou de joie d’apprendre la nouvelle qui lui avait été cachée, se retrouve ainsi face à une autre Amérique que celle qu’il a connue, un pays qui peut être triste, raciste et superficiel. Et tout finira dans les pleurs… et les rires.
Pour stigmatiser ce rejet de l’autre qu’il a combattu toute sa vie, Chahine fait appel dans son film à des tirades d’Hamlet que déclame le jeune Yehia. Et que prépare-t-il pour bientôt, lui qui a décidé de ne jamais cesser de tourner tant qu’il aura la force de se tenir derrière une caméra ? Une libre adaptation du Hamlet de Shakespeare, qui se déroulera, bien sûr, à Alexandrie ! Mais comme il a à peine commencé à écrire le scénario, il ne donnera pas le premier tour de manivelle avant au moins dix-huit mois. Les jeunes ont tout le temps devant eux…

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