Quinze millions pour battre Bush

Le milliardaire George Soros veut faire chuter le président. Pour le bien de l’humanité comme pour sa propre gloire. Il est prêt à mettre le prix.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Chaque année, sa fondation caritative, l’Open Society Institute, créée en 1993, consacre quelque 450 millions de dollars à des actions philanthropiques. Non sans arrière-pensées politiques… George Soros a ainsi aidé les étudiants noirs du Cap sous l’apartheid ; fait construire un système de filtrage de l’eau dans Sarajevo assiégé par les troupes de Milosevic ; envoyé des centaines de photocopieuses Xerox en Hongrie à l’époque où le gouvernement communiste contrôlait toutes les reproductions ; et soutenu les organisations de lutte contre les crimes d’honneur, en Turquie par exemple.
Aujourd’hui, le milliardaire – 28e fortune des États-Unis en 2003, selon le magazine Forbes – s’est lancé un nouveau défi : faire battre George W. Bush lors de la présidentielle du 2 novembre. Pour cela, il se dit prêt à investir 15,5 millions de dollars. Pour le gourou des marchés financiers, pas de doute : c’est le prix à payer pour atteindre « l’objectif principal qu'[il] s’est fixé cette année ».
Pourquoi un tel acharnement ? « Quand j’entends Bush dire : « Vous êtes soit avec nous, soit contre nous », ça me rappelle les Allemands », confie ce juif d’origine hongroise qui a fui les nazis avec sa famille pour se réfugier à Londres avant de partir, en 1956, à la conquête du Nouveau Monde. « Ce sont les forces qui sont derrière lui qui me paraissent sinistres », explique-t-il.
À 74 ans, George Soros serait toujours guidé par une conscience politique aiguë quand ses amis milliardaires, à l’instar d’un Donald Trump, ne songent qu’à s’enrichir encore, collectionnant avions privés et yachts de luxe. Soros, lui, s’est trouvé un rôle à la mesure de son ego : démesuré. Ne s’est-il pas défini lui-même, dans une interview, comme « la conscience du monde » ?
Reste que le philanthrope a les moyens de ses ambitions. Jusqu’à présent, il s’était toujours gardé de jouer les trublions dans son pays d’adoption, réservant ses actions au reste du monde. Un silence qui lui valait le respect de ses compatriotes. Mais qui ne lui semble plus de mise aujourd’hui tant il juge inacceptable la politique de George W. Bush en Irak.
Les détracteurs du président sont nombreux, mais avec Soros, le locataire de la Maison Blanche a peut-être du souci à se faire. L’homme d’affaires a l’habitude de gagner les paris qu’il lance. C’est d’ailleurs de là que lui vient sa fortune. En 1992, il a été le seul à spéculer sur la dévaluation de la livre sterling et sur la sortie de la monnaie britannique du système monétaire européen. Un flair qui lui a rapporté 1 milliard de dollars.
Entre la promotion de la démocratie à l’étranger et le soutien au Parti démocrate américain, la différence est de taille. Dans le second cas, Soros se heurte à un obstacle légal. Depuis 2002, le financement des partis politiques américains est strictement réglementé. Le versement de fonds opaques (soft money) émanant des syndicats, des grandes firmes ou de riches donateurs n’est plus autorisé (voir encadré p. 33). Soros est parvenu à trouver une faille dans le système, convaincu que « pouvoir et argent restent et resteront inextricablement liés ». À raison, puisqu’il existe des comités « 527 », du nom de la loi de finance qui les régule, autorisés à injecter de l’argent dans les caisses des partis.
Fort d’avoir trouvé cette parade, Soros a convié, au cours de l’été 2003, les dirigeants des principales « 527 », d’obédience « libérale », à séjourner quelques jours dans sa demeure de Long Island. Les résultats de ces rencontres informelles ne se sont pas faits attendre : la société America Coming Together (ACT) a reçu près de 10 millions de dollars pour mobiliser les électeurs, à coups de tracts, de mailings et de rassemblements. MoveOn.org Voter Fund, qui produit des spots publicitaires anti-Bush et les diffuse sur Internet, a empoché 2,6 millions de dollars, tandis que le Center for American Progress, un groupe de réflexion fondé par John Podesta, un proche de Bill Clinton, a bénéficié d’une enveloppe de 3 millions. Tous ces groupements sont opposés à George W. Bush sans toutefois avoir de lien formel avec le Parti démocrate.
La hargne de Soros à l’égard du président n’est pas sans susciter quelques grincements de dents du côté de ses collaborateurs, dont certains se sont désolidarisés de l’action de leur patron. Reste que 15,5 millions de dollars en regard du milliard de dollars que pourrait coûter, selon le Los Angeles Times, la campagne électorale ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan financier de la politique américaine.

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