Premiers tours de piste

La campagne présidentielle de la fin de l’année n’est pas officiellement lancée. Mais la controverse bat déjà son plein sur la mise à jour des listes électorales et l’entrée tonitruante dans le débat de Jerry Rawlings, l’ex-chef de l’État.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

La campagne des Black Stars pour la qualification à la Coupe du monde 2006 en Allemagne est suivie de près par les Ghanéens. Mais ce n’est pas le seul sujet d’empoignades et de discussions dans les rues d’Accra ou de Kumasi. Car si la date des élections générales et présidentielle de la fin de l’année 2004 n’a pas encore été fixée, les débats politiques sont déjà vifs dans la perspective de cette échéance, qui est aussi l’occasion de dresser le bilan de la démocratisation du pays.
Les dirigeants des deux principaux partis, le Nouveau Parti patriotique (NPP, du président sortant John Kufuor) et le Congrès national démocratique (NDC, de l’ancien chef d’État Jerry Rawlings), croisent le fer par médias interposés. Et s’en donnent à coeur joie pour rappeler les erreurs du passé ou critiquer la politique de rigueur actuelle. Comme en 2000, au moins sept candidats à la magistrature suprême sont en lice pour l’élection de décembre, mais seuls les deux « John » se disputent réellement le fauteuil de président : John Kufuor, l’actuel locataire d’Osu Castle, et le professeur John Evans Atta Mills, champion du NDC. Le premier, bien implanté dans la riche région ashantie (Centre) et dans les grandes villes du Sud, peut compter sur 101 des 200 députés que compte l’Hémicycle, le second sur 93 d’entre eux et sur sa forte présence dans le nord du pays.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. Le recensement des électeurs et l’organisation du scrutin présentent de grandes difficultés. D’après la Commission électorale indépendante, les listes actuelles, établies en 1995 et qui ont servi pour les élections de 1996 et de 2000, ne dénombrent que 10 millions d’inscrits… Elles se fondent en effet sur un recensement de 1984, quand le Ghana comptait 12 millions d’habitants, contre plus de 20 millions aujourd’hui.
D’où la nécessité pour la Commission d’effectuer un nouveau recensement. En mars, elle a déjà consacré deux semaines à enregistrer la population, dans 21 000 centres disséminés à travers le pays. Pour éviter la fraude, les autorités veulent que chaque carte d’électeur porte la photo de son détenteur.
Coût total de la mise en place du logiciel et des 85 000 employés nécessaires à l’opération : pas moins de 10 millions de dollars (8,23 millions d’euros). Et les difficultés techniques ne sont pas négligeables puisque seuls 2 063 appareils photo numériques étaient disponibles en mars pour les 21 000 bureaux. Pour couper court à toute critique, le gouvernement a demandé à la Sierra Leone voisine, qui vient d’entamer un processus de recensement similaire, de lui prêter 500 appareils photo. En attendant, la commission électorale a dû reporter l’inscription d’une centaine de milliers d’électeurs.
Mais le retard est là, notamment dans les régions du Nord, et a d’ores et déjà suscité beaucoup de mécontentement de la part, naturellement, du NDC, qui semble sûr de sa bonne étoile. Au mois de mai, John Atta Mills soutenait dans les colonnes du Ghanaian Post, que « la défaite de son parti en 2000 était un acte divin en ce qu’il permet aujourd’hui aux Ghanéens de voir le vrai visage du NPP ». Il estime qu’après son retour au pouvoir en décembre prochain son parti reconstruira le pays sur la base d’une philosophie sociale nouvelle, pour le bonheur du peuple « qui souffre de plus en plus de dirigeants sans idées ». Presque deux semaines plus tard, au début de juin, l’ex-président Jerry Rawlings (voir encadré), alors en tournée dans son fief du Nord, accusait le pouvoir d’organiser la fraude et l’exhortait à prendre ses responsabilités, « afin que tous les électeurs de toutes les régions du pays soient enregistrés sur les listes électorales ». Une inquiétude et une agitation du NDC qui prouve que les dés ne sont pas jetés.
Il y a un an, rares étaient les Ghanéens à parier ne serait-ce qu’un cedi sur une réélection de Kufuor. Mais aujourd’hui, le bilan de son premier mandat, dont il souligne les éléments positifs, commence à jouer en sa faveur. Malgré cette politique économique drastique, le NPP a gagné six nouveaux sièges lors des législatives partielles de mars 2003. De fait, Kufuor peut se targuer d’avoir commencé à redresser l’économie du pays. L’inflation est passée de 40 % en 2001 à 10 % au début de 2004. La croissance, au ralenti depuis 1998, s’est ressaisie en 2002 pour atteindre 5,2 % à la fin de 2003. La politique d’assainissement des finances publiques a porté ses fruits, puisque le déficit public a été contenu à 3,4 % du PIB.
La pilule fut amère, qui a permis de tels résultats : gel des salaires des fonctionnaires, « chasse » aux fonctionnaires fictifs, qui a permis de rayer 30 000 noms… Un examen efficace du fonctionnement de l’État qui a l’heur de plaire aux bailleurs de fonds occidentaux. Le pays jouit d’une excellente cote de popularité. En décembre 2001, le Club de Paris a annulé 27 millions de dollars de dettes et a rééchelonné le reste ; le Ghana bénéficie de l’initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) depuis janvier 2002 ; les États-Unis et l’Europe semblent rivaliser pour accorder dons et prêts à un Kufuor qu’ils apprécient.
Dans une région troublée par des crises en tout genre, la bonhomie du « doux géant », tel qu’on le surnomme à Accra, ne trompe plus personne : l’homme a su faire preuve de fermeté, tant à l’intérieur du pays qu’auprès de ses voisins. Une qualité sur laquelle la communauté internationale peut compter. Car elle lui doit l’accord qui a permis de débarrasser le Liberia de Charles Taylor en octobre 2003 ainsi que la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale à Abidjan quelques mois plus tôt, en mars. En fait, depuis septembre 2002, date de l’éclatement de l’insurrection armée, Kufuor n’a jamais quitté des yeux le dossier ivoirien, qu’il surveille à deux titres. D’abord comme voisin important, ensuite comme président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Son prestige à l’extérieur du Ghana en est renforcé. En étant l’un des tout premiers à engager son pays dans le « Mécanisme d’évaluation par les pairs » du Nepad, en avril 2004, Kufuor s’est également attiré une image de dirigeant respectueux des droits de l’homme et est devenu un des interlocuteurs préférés de certains dirigeants occidentaux. Tony Blair a fait le déplacement d’Accra en février 2002, Dominique de Villepin en juin 2003, George W. Bush un mois plus tard et Gerhard Schröder en janvier 2004. Et lui-même a été convié en juin au sommet du G8 de Sea Island, aux États-Unis.

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