Olusegun Obasanjo

Nouveau président en exercice de l’Union africaine, le chef de l’État nigérian sera unsuper-ministre des Affaires étrangères pour l’ensemble du continent. Une aubaine pour Alpha Oumar Konaré, le patron de l’exécutif de l’UA.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 6 minutes.

Ils ne pouvaient pas trouver meilleur représentant : en ouverture de session le 6 juillet, les chefs d’État et de gouvernement ont élu Olusegun Obasanjo président en exercice de l’Union africaine (UA). Plus qu’un honneur, c’est une aubaine pour le président nigérian : cet infatigable voyageur, panafricain dans l’âme, devient ainsi super-ministre des Affaires étrangères pour l’ensemble du continent. Comme il l’a maintes fois prouvé, au grand dam de son opinion publique, Obasanjo est davantage attiré par les relations extérieures et la diplomatie que par les problèmes internes de son pays. Il va donc pouvoir donner toute la mesure de son talent au cours de l’année à venir.
Ce choix est le fruit de la concertation des dirigeants des États membres. Ceux-ci essaient, grosso modo, de pratiquer l’alternance entre les sous-régions, et il se trouve que c’était le tour de l’Afrique occidentale. Mais surtout il fallait, en cette période capitale pour la nouvelle stratégie de l’UA, un homme disponible, doté de moyens financiers, amateur de déplacements et désireux de parvenir à des résultats concrets. Cette désignation enchante donc Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’UA. Un homme de la trempe d’Obasanjo est tout indiqué pour faire passer sa « feuille de route » pour l’Afrique. Tous deux gros travailleurs, adeptes du franc-parler lorsqu’il s’agit de s’adresser à leurs pairs, ils ont une grande estime l’un pour l’autre et, surtout, une identité de points de vue sur bon nombre de sujets.
Obasanjo est né le 5 mars 1937 à Abeokuta, dans l’État d’Ogun, dans l’ouest du Nigeria. Chrétien yoruba, il a fait ses études d’officier du génie militaire en Angleterre, avec un passage à l’école d’ingénieurs de l’armée indienne à Poona, dans le sud de l’Inde. Incorporé dans l’armée nigériane en 1958, Matthew Olusegun Obasanjo la quitte en 1979 et s’établit comme « fermier » à Ota, dans sa région natale. En réalité, il entame une carrière internationale comme consultant dans différents think-tanks, tant en Afrique qu’aux États-Unis. En 1995, il est arrêté et condamné à vingt-cinq ans de prison pour tentative de coup d’État contre le général Sani Abacha, un ancien compagnon d’armes, alors au pouvoir. Il sera libéré à la mort de ce dernier, en 1998.
La vie a fait d’Obasanjo un homme courageux, déterminé, autoritaire parfois jusqu’à la brusquerie. Tout à fait le personnage qu’il faut aujourd’hui à l’UA pour secouer les débats, éviter l’enlisement dans des arguties inutiles, bref, avancer. Il suffit de le voir traverser au pas de charge les couloirs de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), qui accueille le sommet, suivi par une batterie de collaborateurs déférents et vaguement inquiets, pour comprendre qu’il n’est pas là pour perdre son temps. « C’est un militaire, ne l’oubliez pas, commente l’une de ses compatriotes. En 1976, il a pris le pouvoir aux côtés de Murtala Mohammed. Quand celui-ci a été assassiné, il l’a remplacé, mais même s’il s’est illustré en cédant sa place à un civil et que, civil lui-même, il a été élu en 1999 et en 2003, il est et restera général. C’est son style : il commande, on lui obéit. » Un comportement qui peut lui valoir quelques inimitiés, aussi tempère-t-il ses impatiences par un solide sens de l’humour qui parvient – parfois – à désarmer les mécontents.
Sa tâche est colossale, il en est conscient. C’est la raison pour laquelle il a exposé, en préambule à son programme, lors de la première séance plénière le 6 juillet, la nécessité de renforcer les capacités de la Commission en hommes et en moyens financiers. Cette intention a réjoui, une fois encore, Alpha Oumar Konaré, qui se débat avec une administration souvent léthargique héritée de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en sous-effectif par rapport aux ambitions qu’il a lui-même fixées pour l’Union africaine.
Cela posé, Obasanjo a des priorités : paix, bonne gouvernance, réduction de la dette et intégration économique. C’est, à peu de chose près, son propre programme pour le Nigeria. L’homme est habile, car ses succès continentaux ne manqueront pas d’avoir des conséquences sur le plan intérieur. Il pourra s’en prévaloir auprès de ses administrés à l’heure du bilan.
Mais pour le moment, ce sont d’abord ses talents de diplomate qui vont être sollicités. On le sait engagé dans différents processus de paix, en Côte d’Ivoire via la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ou au Liberia où son prédécesseur à la tête du Nigeria, Abdulsalami Abubakar, fait office de médiateur. Il va donc élargir son champ d’action aux autres opérations sur lesquelles travaille l’Union africaine, notamment au Soudan avec la question du Darfour, en République démocratique du Congo, en Centrafrique, aux Comores et en Éthiopie-Érythrée. Soucieux d’inscrire l’Afrique dans la recherche commune d’un nouvel ordre mondial fondé sur la paix, la sécurité et la lutte contre le terrorisme international, comme le prônent ses amis américains, Obasanjo reste un partisan de l’Afrique unie dans ses limites naturelles. Le projet de « Grand Moyen-Orient » développé par l’équipe du président Bush lors du sommet du G8 à Sea Island, au large de la Géorgie, en juin 2004, ne recueille pas son assentiment. Il l’a dit, il continuera a entretenir de bonnes relations avec les alliés de toujours, notamment la Ligue arabe, mais fera tout pour éviter une quelconque fracture d’intérêts entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. « Depuis la création de l’OUA, en 1963, l’Afrique a toujours avancé unie du Nord au Sud, commente Mohamed Al Madani Al Azhari, secrétaire général de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). Il est naturel qu’Obasanjo, compte tenu de son parcours politique, « épouse » cet idéal. »
Pour ce panafricaniste, qui a travaillé dans les années 1980 pour l’organisation de lutte contre la corruption Transparency International, l’Afrique ne peut vivre en paix que grâce à la bonne gouvernance. L’UA a exprimé sa volonté d’exercer avec tact un début de droit d’ingérence dans les affaires intérieures des États. Obasanjo va mettre cette stratégie en pratique en rendant visite à ses pairs pour les convaincre d’adhérer au Mécanisme d’autoévaluation politique, économique et sociale mis au point au sommet de Durban en 2002. Bien qu’il soit de notoriété publique que le Nigeria souffre lui-même de nombreux maux – dont la corruption -, il a été parmi les premiers pays à se soumettre à cette consultation. Son président compte bien se servir de cela pour se poser en modèle et convaincre les États réticents.
Enfin, s’il est une question sur laquelle les intérêts personnels du Nigeria rejoignent ceux de l’UA, c’est bien celle de la réduction de la dette. Au cours de son premier mandat présidentiel, Obasanjo avait plaidé sans fin pour que l’on allège son pays du poids des emprunts contractés par feu le dictateur Sani Abacha et les généraux qui l’avaient précédé. Il va donc enfourcher à nouveau son vieux cheval de bataille. Il a d’ores et déjà annoncé sa volonté de privilégier le dialogue Europe-Afrique. Les capitales européennes vont sans tarder recevoir sa visite : trouver enfin une solution à l’endettement excessif du continent serait sans conteste une importante victoire pour le président en exercice. Le calendrier international lui est favorable, notamment parce que cette question sera inscrite en tête de l’ordre du jour du sommet du G8 de 2005.
Olusegun Obasanjo a-t-il suffisamment de charisme, d’énergie et de détermination pour impulser un nouvel élan à l’Union africaine ? Oui. Il pourrait même être « l’homme de la situation ». À l’étroit dans ses propres frontières, attiré par les institutions internationales, il a caressé en 1991 l’idée de se présenter au poste de secrétaire général des Nations unies. Par conséquent, un passage – même bref – couronné de succès comme président en exercice de l’Union africaine serait un atout important pour se forger un nouveau destin. Olusegun Obasanjo n’oublie pas que son second et dernier mandat à la tête de son pays s’achève en 2007 et qu’il n’aura alors « que » 70 ans.

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