L’étendue de la catastrophe

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Loin de fléchir, l’épidémie de sida poursuit sa colonisation de la planète. Le dernier rapport publié par l’Onusida, le 6 juillet, présente des chiffres encore plus alarmants que ceux de la précédente publication, en juillet 2002. Depuis, 9 millions de personnes ont été contaminées par le VIH et 5 millions en sont mortes. Pour la seule année 2003, on recense 5 millions de nouvelles infections : c’est le chiffre annuel le plus élevé depuis le début de l’épidémie. Il porte à 38 millions le nombre de personnes atteintes dans le monde.
Au-delà des chiffres, la répartition géographique de l’épidémie inquiète particulièrement les responsables du bureau conjoint des Nations unies. L’Afrique subsaharienne reste la région la plus touchée, avec 25 millions de séropositifs. Elle compte 70 % des séropositifs de la planète alors qu’elle n’abrite que 10 % de la population mondiale.
En 2002, le nombre des séropositifs était sensiblement le même, mais cette stabilité n’est qu’apparente. Elle ne fait pas apparaître le nombre croissant des décès (2,2 millions en 2003), qui « sortent » des statistiques et qui, en n’étant plus comptabilisés, masquent la forte hausse des nouvelles contaminations sur le continent (3 millions en 2003).
La catastrophe sanitaire prend donc de l’ampleur et anéantit peu à peu les espoirs de la jeunesse. Catherine Hankins, directrice adjointe du département Mobilisation sociale et information de l’Onusida, rappelle que « 60 % des Subsahariens âgés de 15 ans n’atteindront pas 60 ans ». La situation sera certainement pire encore en Afrique australe, où les sept pays de la région affichent des prévalences supérieures à 15 %,
avec de tristes records pour le Botswana et le Swaziland, qui comptent tous deux 38 % d’adultes contaminés dans leur population, soit le plus fort taux en valeur relative au monde. Mais en valeur absolue, c’est l’Afrique du Sud, avec 5,3 millions de personnes infectées, qui paie le plus lourd tribut à la maladie.
Toutefois, l’Asie, où vit 60 % de la population mondiale, pourrait bientôt devenir la région la plus contaminée. En 2002, une personne nouvellement infectée sur cinq était asiatique ; aujourd’hui, cette proportion est de une sur quatre. Avec 5,1 millions de séropositifs, l’Inde est confrontée à une situation explosive, tout comme la Chine. Mais,
comme le rappelle Christian Voumard, représentant de l’Unicef à Pékin, « il est encore temps d’agir puisque l’épidémie n’est pas passée à la population générale ». De fait, en Chine contrairement à la situation qui prévaut au sud du Sahara et en Inde, où la transmission est essentiellement sexuelle , les contaminations sont majoritairement dues à des échanges de seringues non stériles entre usagers de drogues et à la vente, par les plus pauvres, de sang et de plasma prélevés dans de mauvaises conditions sanitaires. La transmission par voie sexuelle représente encore moins de 10 % du total.

Toutefois, si on ne réagit pas à temps, Christian Voumard estime que, « en 2010, on comptera 10 millions de séropositifs ». Mais peut-être parviendra-t-on à éviter cette flambée… Le gouvernement chinois, qui a longtemps nié l’existence de la maladie, la considère désormais comme « une grande menace ». Après la psychose collective provoquée par la propagation du syndrome respiratoire aigu sévère (sras) en 2003, les autorités ont pris conscience des conséquences négatives d’une épidémie, sur l’économie notamment. Elles
ont annoncé toute une série de mesures qui sont aujourd’hui mises en uvre. Le principe de gratuité s’applique dorénavant pour le dépistage, le suivi biologique, les traitements destinés aux plus pauvres et la prévention de la transmission materno-ftale. Les orphelins du sida seront intégralement pris en charge par les autorités. Enfin, la production locale de médicaments a débuté.

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Cette volonté politique forte est indispensable pour limiter l’explosion de l’épidémie en Asie. Son absence, en Afrique, fait partie des raisons qui ont « condamné » le continent. Car il faut bien admettre qu’aujourd’hui les regards se détournent du sud du Sahara, les enjeux politiques et économiques étant beaucoup plus importants dans les pays asiatiques, plus productifs, plus riches et plus peuplés.
Certes, la mobilisation s’organise en Afrique. Mais trop lentement, et avec un engagement trop timide des autorités. Pourtant, comme le souligne Michel Kazatchkine, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS, France), en deux ans « le nombre de
personnes sous antirétroviraux (ARV) a été multiplié par dix ». Mais on partait de très bas. Aujourd’hui, 4,3 millions de Subsahariens doivent accéder à des soins de toute urgence, faute de quoi ils décéderont dans les deux ans. Dans les pays en développement, moins de 10 % des personnes qui ont besoin d’ARV peuvent se les procurer, même si leurs
prix ont nettement chuté, passant de 12 000 dollars par patient et par an en 2000 à 300 dollars pour certaines combinaisons de génériques aujourd’hui.
Parallèlement, comme le rappelle Michel Kazatchkine, « les fonds disponibles n’ont jamais été aussi importants ». Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, la Banque mondiale, le programme initié par le président américain George
W. Bush ou les fondations privées sont autant de structures engagées dans le financement
de la lutte contre le sida. Certes, elles ne rassemblent au total que 5milliards par an alors qu’au moins 12 milliards seraient nécessaires, et même 20 milliards en 2007. Mais le
véritable enjeu, aujourd’hui, consiste à utiliser ces ressources à bon escient et à assurer leur pérennisation.

D’autant que de nouveaux foyers infectieux tout aussi explosifs s’annoncent dans un avenir proche. Ainsi l’Europe de l’Est en général et la Russie en particulier, « où l’on
consomme de l’héroïne comme du cannabis en Europe de l’Ouest », explique Kazatchkine. Et comme la méthadone, qui permet de se sevrer de cette drogue, est illégale dans ces pays et que les seringues stériles y sont rarement disponibles Les pays à hauts revenus ne
sont pas épargnés par la recrudescence de l’épidémie : dans l’esprit des adolescents, le sida est désormais considéré comme une maladie chronique, que l’on soigne et avec laquelle on peut vivre, à l’instar du diabète. La pandémie a encore de beaux jours devant elle.

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