Les secrets d’Addis

Réunis du 6 au 8 juillet dans la capitale éthiopienne, les chefs d’État et de gouvernement ont essayé de donner un nouveau souffle à l’organisation. Tout en se penchant sur les nombreuses crises qui secouent le continent.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

La troisième conférence au sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est tenue du 6 au 8 juillet à Addis-Abeba, n’aura attiré qu’une trentaine de chefs d’État et de gouvernement sur les 53 que compte l’organisation continentale. Cette moisson moyenne ne doit pas induire en erreur. En dépit de quelques couacs diplomatiques, des cafouillages et des impairs du protocole, avatars de la bureaucratie éthiopienne, malgré les embouteillages monstres dans la ville d’Addis-Abeba, on a assisté à un grand sommet. Par l’importance et la consistance de l’ordre du jour. Par le travail remarquable accompli, en moins d’un an, par le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, et les neuf autres membres de l’exécutif continental. Également par les prestations et l’assiduité pour le moins inhabituelle des dirigeants qui, en bien des occasions, ont su faire preuve de sérieux, d’imagination et d’humour. « Pour une fois, on a eu le sentiment d’avoir en face de soi une communauté et non pas un syndicat de chefs d’État, constate l’historien et homme politique sénégalais, Abdoulaye Bathily. La langue de bois a disparu, tout comme la solidarité de castes. Le syndicat a vécu. »
Signe de cette aube nouvelle : la place croissante prise par les sujets « non politiques » dans les débats. On a ainsi consacré presque une journée (sur trois) à des discussions fort intéressantes sur « le genre », euphémisme à la mode pour désigner les rapports et discriminations entre hommes et femmes. Avec passion et force témoignages livrés, parfois, en kiswahili, désormais langue de travail de l’Union africaine, au même titre que l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol et l’arabe. Des heures durant, on a parlé avec gravité et sérieux d’économie, des problèmes de société, du VIH-sida, de la crise humanitaire au Darfour, de la tension politique persistante en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo. Sans oublier les droits de l’homme, devenus, contrairement à une idée répandue, surtout hors du continent, un sujet de préoccupation pour de plus en plus d’États. On a discuté certes, mais, fait nouveau, on a également pris des décisions, lancé des initiatives, parfois de concert avec les Nations unies ou des organismes régionaux comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Les protagonistes de la crise ivoirienne devraient ainsi se rencontrer prochainement à Accra. Comme l’ont fait à Addis-Abeba les présidents Idriss Déby (Tchad) et Omar el-Béchir (Soudan), tous les deux impliqués dans la recherche d’une solution de paix au Darfour.
Pendant plusieurs jours, les ONG, les institutions onusiennes, les hommes d’affaires ont pu exposer leurs idées, faire des propositions en présence d’une élite dirigeante plus réceptive que par le passé. Me Akéré Muna, de Transparency International, est ainsi venu rappeler aux uns et aux autres la nécessité de signer et, surtout, de ratifier la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Adopté en juillet 2003 à Maputo, le texte n’a été signé que par trente États et ratifié seulement par trois (la Libye, les Comores et le Rwanda), alors qu’il faudrait quinze ratifications pour qu’il entre en vigueur. Hier, l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun aurait été simplement considéré comme un empêcheur de tourner en rond. Aujourd’hui, son absence aurait été regrettée. Ainsi va la « nouvelle » Afrique.
« Nos dirigeants sont moins empesés, plus modestes, constate, heureux, un avocat algérien. Ils sont plus accessibles, comme s’il leur fallait expier plusieurs décennies d’exercice solitaire du pouvoir. » « Bien qu’on n’en soit qu’à la troisième édition, il faut reconnaître que les Africains sont arrivés à maturité, analyse, pour sa part, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Youssouf Ouédraogo. Les variables internationales sont intégrées aux débats, nos chefs d’État discutent et s’interpellent sans que cela prête vraiment à conséquence. Ce dialogue interactif et multilatéral peut permettre de désamorcer bien des crises. » « Les clivages régionaux disparaissent, ajoute Bathily. La complicité entre un Obasanjo et un Mbeki crève les yeux. Ils sont même devenus, ainsi qu’on le dit chez nous, des cousins à plaisanterie. L’Afrique du Sud et le Nigeria seront, je crois, les deux locomotives du continent, à l’image de ce que sont la France et l’Allemagne au sein de l’Union européenne. » Signe de l’euphorie générale qui gagne depuis quelque temps l’ensemble du continent : les États membres de l’UA ont décidé de doubler la mise et d’organiser, tous les ans, deux sommets ordinaires (en janvier et en juillet). Belle preuve que l’Afrique est bien de retour ! Comme l’a indiqué Alpha Oumar Konaré dès l’ouverture du sommet.

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