Le rêve insensé de Raghd Hussein

La fille aînée de Saddam aurait l’intention de se porter candidate à la prochaine présidentielle. Reste à savoir si elle sera la bienvenue…

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 6 minutes.

A en croire des sources irakiennes à Amman, en Jordanie, Raghd, la fille aînée de Saddam Hussein, serait décidée à rentrer en Irak pour se porter candidate à l’élection présidentielle prévue en janvier 2005. Avant de se lancer dans cette aventure, il lui faut non seulement s’assurer le soutien de personnalités irakiennes représentatives des différentes communautés, mais aussi prendre contact avec les ambassadeurs des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et leurs homologues arabes accrédités à Amman, pour les informer des raisons de sa démarche.
Les journaux jordaniens qui ont publié cette information précisent que Raghd supporte de moins en moins la douleur de l’exil et n’a qu’une idée en tête : rentrer au pays. Du moins si les nouvelles autorités irakiennes l’y autorisent… Sa candidature, jugée grotesque par bon nombre de ses compatriotes, est au contraire encouragée par les baasistes et les sunnites, qui espèrent se ménager une place dans l’Irak de demain.
Des chefs de tribus sunnites installées dans les environs de Bagdad et dans la province d’al-Anbar auraient même contacté l’intéressée pour l’assurer de leur soutien et l’inciter à franchir le pas.
Raghd, 37 ans, vit avec sa soeur Rana et leurs neuf enfants dans deux villas indépendantes d’Abdoun, un quartier huppé à l’ouest d’Amman. Des gardes, mis à leur disposition par les autorités jordaniennes, assurent leur sécurité 24 heures sur 24.
L’aînée des filles de Saddam passe le plus clair de son temps à suivre l’actualité sur les chaînes de télévision et le réseau Internet. Elle téléphone régulièrement à sa mère, Sajida Khairallah, qui vit à Doha, au Qatar, et répond aux lettres de personnalités irakiennes qui lui parviennent par différents canaux. Elle communique par courriel avec ses amies restées fidèles, et reçoit régulièrement son avocat, Me Hatem Chahine, et le président du Collectif de défense de Saddam Hussein, Mohammad Rashdan, pour examiner les développements du procès de son père.
Raghd accorde aussi volontiers des interviews aux médias arabes – une manière de se rappeler au souvenir de ses compatriotes… – où elle s’exprime tant sur le sort de sa famille que sur la situation de l’Irak, n’hésitant pas à critiquer les forces d’occupation américaines mais en termes choisis, afin de respecter les recommandations des autorités jordaniennes. Avant de recevoir des journalistes, elle veille à ce qu’ils aient obtenu une autorisation préalable du gouvernement d’Amman. La chaîne d’information américaine CNN, qui a déposé une demande en ce sens, attend toujours d’être autorisée à lui rendre visite.
Dans ses interviews, Raghd défend l’ancien dictateur, qu’elle qualifie de « bon père ». Elle explique sa cruauté par les intrigues qui se tramaient autour de lui, mais aussi par les haines teintées d’égoïsme et de jalousie que se vouaient les membres du clan al-Majid. Le portrait qu’elle brosse de son géniteur est celui d’un homme qui se sentait très seul et redoutait la trahison de ses plus proches collaborateurs. Les époux de Raghd et de Rana, les frères Kamel, qui occupèrent des postes à responsabilité dans les années 1980-1990, furent assassinés en 1996 sur ordre du dictateur à leur retour de Jordanie, où ils s’étaient réfugiés quelques semaines auparavant. Raghd, sa soeur et leurs enfants les avaient suivis dans cette fuite qui fit couler beaucoup d’encre à l’époque. Elles furent donc loin d’approuver ce meurtre décidé par leur père avec la complicité de leurs frères Oudaï et Qoussaï, eux-mêmes débusqués et tués par les Américains au cours de l’été 2003, dans une villa des environs de Mossoul, au nord du pays.
La veille de la chute de Bagdad, Raghd avait écouté la radio toute la nuit. Elle priait, tandis que le régime de son père s’écroulait comme un château de cartes. « Je répétais à ma soeur que tout était terminé. […] Un jour, peu après midi, mon père nous a envoyé des voitures de ses forces de protection spéciales avec un message nous enjoignant de partir », a-t-elle confié à la chaîne Al-Arabiya. « J’ai vu de mes propres yeux les soldats irakiens battre en retraite et fuir en regardant derrière eux alors que les missiles et les roquettes s’abattaient près de nous, à une distance de 50 à 100 mètres. » Pourquoi Bagdad est-il tombé aussi facilement ? « Ce fut un grand choc. C’est clair, nous avons été trahis principalement par des personnes en qui nous avions entière confiance. »
Après la chute de Bagdad, Raghd et sa soeur Rana rejoignent leur mère et leur soeur cadette Hala, la préférée de Saddam, dans une maison située à la périphérie de la capitale, sous la protection de tribus fidèles à l’ancien régime. « Nous avons perdu pratiquement tout contact avec mon père et mes frères parce que tout s’effondrait d’un coup. […] Nous étions un groupe de femmes et devions décider seules de la conduite à adopter. Ma mère nous a réunies et nous a dit : « Mes filles, dispersez-vous. Chacune doit trouver un refuge en attendant de voir ce que Dieu nous réserve, poursuit Raghd. Les pilonnages faisaient trembler la maison. Nous sommes parties à bord de petites voitures. J’avais une arme à feu sur moi. Je la gardais sous mes pieds. Je ne suis pas une professionnelle, mais je sais comment me servir d’une arme. Nous allions à la rencontre d’un destin inconnu. » Les deux soeurs et leurs enfants arrivent le 30 juillet à Amman, où le roi Abdallah leur accorde l’asile.
Raghd a-t-elle vraiment les moyens de son ambition politique ? Que pensent les Irakiens de cette veuve éplorée qui rêve de marcher sur les pas des Benazir Bhutto, Megawati Soekarno Putri et autres Sonia Gandhi ? Sera-t-elle un jour autorisée à regagner son pays ? Rien n’est moins sûr. Mais, paradoxalement, tout reste possible tant la situation en Irak est changeante.
Ainsi, le nouveau Premier ministre Iyad Allaoui se montre fermement opposé à la « débaasification » et a déjà fait part de sa volonté de faire appel aux anciens officiers de l’armée et des Moukhabarat (services de renseignements) pour combattre la guérilla. Certains analystes américains n’excluent pas la possibilité d’un retour des baasistes sur la scène politique à la faveur d’élections libres. Ils ajoutent que les États-Unis ne sont pas opposés à ces derniers en tant que tels, mais à l’ancien régime de Saddam, dont de nombreux baasistes furent aussi des victimes, à commencer par l’actuel Premier ministre.
En outre, l’influence croissante des chiites irakiens préoccupe les pays de la coalition, mais aussi Israël, qui ne se sent pas à l’abri de nouvelles attaques du Hezbollah et redoute qu’un régime dominé par les chiites, en Irak, ne renforce les positions de leurs coreligionnaires libanais, sur sa frontière nord. L’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis, où vivent d’importantes minorités chiites, appréhendent de leur côté un renforcement du rôle régional de l’Iran.
Raghd s’apprête justement à se rendre en Arabie saoudite pour accomplir la omra (petit pèlerinage). Sa tournée prévoit deux autres escales : au Qatar et aux Émirats arabes unis. Elle ne s’y rendra pas seulement pour demander un soutien financier que les émirs ne lui refuseraient sans doute pas – d’autant que les quelques dizaines de milliers de dollars qu’elle et sa soeur avaient apportés dans leurs bagages ont fondu comme neige au soleil -, mais aussi pour évoquer avec ses hôtes l’avenir de l’Irak et les consulter sur ses projets.
Raghd, qui n’est pas peu soucieuse de préserver les intérêts de son clan, est sûre de bénéficier de la protection de nombreux chefs de tribus sunnites en Irak, et même au-delà. La tribu des Chammar, dont est issu le nouveau président irakien, Ghazi al-Yaour, possède par exemple de nombreuses ramifications en Arabie saoudite, en Jordanie et en Syrie.
Découragés par le chaos qui règne actuellement en Irak, ces chefs voient en Raghd une solution de continuité. Son retour, estiment-ils, pourrait contribuer à apaiser les inquiétudes des combattants sunnites. Mais de là à imaginer que les Bédouins de la province d’al-Anbar, dont on connaît la culture machiste, acceptent facilement le leadership d’une femme, il y a un pas que beaucoup d’analystes irakiens se gardent bien de franchir.

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