Le Katanga fait sécession
Il n’aura pas fallu huit jours pour que le jeune État congolais vacille. La tragédie commence dans la liesse le 30 juin 1960, jour où l’ex-colonie belge accède à l’indépendance. Mais déjà, dans les discours officiels, pointe l’hostilité entre les nationalistes congolais et le nouveau chef de l’État, Joseph Kasavubu.
La rivalité qui oppose Kasavubu à son Premier ministre Patrice Émery Lumumba n’est toutefois que l’une des menaces qui pèsent sur le nouveau Congo. Et la crise institutionnelle entre les deux hommes n’éclatera publiquement que le 5 septembre suivant, date à laquelle ils se destitueront l’un l’autre. Entretemps, le pays va connaître une série de soubresauts sanglants. Le 5 juillet, au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités, la Force publique se mutine. Les troupes congolaises chargées de la sécurité s’opposent violemment à leurs officiers belges, qu’elles accusent de perpétuer certains comportements racistes. On frôle l’insurrection. Ces violences sont suivies six jours plus tard de la proclamation de l’indépendance du Katanga, le 11 juillet.
Alors que Lumumba tente d’apaiser la crise qui mine la Force publique et de convaincre les Européens de ne pas quitter le pays, Moïse Tshombé va profiter des hésitations du nouveau régime. Le chef du gouvernement de la province méridionale du Katanga entreprend de faire sécession. Aussitôt, le gouvernement réclame l’aide des Nations unies pour rétablir l’ordre sur l’ensemble du territoire. Mais les Casques bleus déployés sur le terrain s’en tiennent au respect d’une stricte neutralité. Si bien que l’ONU est accusée par Léopoldville de bienveillance envers les indépendantistes katangais.
En proclamant sa propre République, le leader de la Confédération des associations du Katanga (Conakat) veut priver le pouvoir central des richesses minières que recèle la région. Il propose à la Belgique la formation d’une communauté économique entre les deux pays, dont les intérêts miniers convergent sensiblement. Le sous-sol de la province contient notamment du cuivre, du cobalt, de l’uranium. Et l’ex-puissance coloniale est bien placée pour saisir toute la portée de l’enjeu katangais. Les bénéfices tirés de ces exploitations sont gigantesques : l’Union minière du Katanga, dont les concessions s’étendent sur 34 000 km2 – un territoire plus grand que la Belgique et le Luxembourg réunis – a, en cinquante ans d’exploitation, multiplié par 800 son capital initial, qui atteint 80 milliards de francs belges à l’indépendance.
Si Bruxelles n’a jamais été jusqu’à reconnaître l’indépendance de cette riche province, il ne va rien faire pour concilier les points de vue entre Léopoldville et Élisabethville (actuelle Lubumbashi, chef-lieu du Katanga). Dès le début de la sécession, Tshombé bénéficie de l’appui de l’ancienne métropole dans les domaines économiques et militaires. Il parvient même à convaincre ses interlocuteurs belges de la nécessité d’instaurer un régime fédéral au Congo. Et, le 9 août, il se fait élire chef de l’État du Katanga.
Au-delà de la crise politique qu’elle suscite, la sécession va se doubler d’une lutte très personnelle entre Tshombé et Lumumba. Fidèle à l’idéologie émancipatrice prêchée par les grandes figures continentales comme Kwame Nkrumah, le Premier ministre congolais, pour qui l’aboutissement logique du fédéralisme était le séparatisme, entendait s’appuyer sur sa majorité parlementaire pour imposer un pouvoir central fort. À l’inverse, Tshombé voulait profiter de la puissance économique de son fief pour assurer son autonomie et affaiblir Léopoldville.
Le 17 janvier 1961, Lumumba, détenu à Thysville depuis le 3 décembre 1960, est transféré au Katanga à la demande d’Harold d’Aspremont Lynden, le ministre belge en charge des Affaires africaines. Il y est assassiné par les sbires de Tshombé quelques heures après son arrivée. Parmi les « conseillers » belges qui encadrent la police locale, deux officiers dirigeront l’exécution, et deux autres feront disparaître le corps en le dissolvant dans de l’acide sulfurique. Moïse Tshombé est débarrassé de son principal adversaire. Mais en ouvrant la voie aux velléités sécessionnistes, il ne se doutait pas que, quarante ans après l’aventure katangaise, l’ex-Zaïre serait toujours miné par les tensions scissipares.
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