Le samouraï noir Yasuke fait encore fantasmer

Thierry Gloris et Emiliano Zarcone tentent de ressusciter Yasuke, un esclave élevé au rang de samouraï dans le Japon du XVIe siècle, dont l’histoire reste mal documentée.

« Kurusan, le samouraï noir », tome 1 : « Yasuke », de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone, est paru aux éditions Delcourt (56 pages, 14,95 euros). © Editions Delcourt

« Kurusan, le samouraï noir », tome 1 : « Yasuke », de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone, est paru aux éditions Delcourt (56 pages, 14,95 euros). © Editions Delcourt

leo_pajon

Publié le 23 février 2021 Lecture : 3 minutes.

C’est un étrange objet qui vient de paraître aux éditions Delcourt. En couverture, un personnage démesuré, la peau oscillant entre marron et mauve, sourcils froncés, ôte un casque de samouraï effrayant. Au dos, on retrouve le même, le torse presque nu, bâti comme un bodybuilder. On s’attend à un étrange mélange de Ken le survivant, de WWE (catch professionnel), et d’histoire féodale japonaise…

Incroyable destin

L’intérieur est presque plus surprenant. En BD, le Français Thierry Gloris (scénario) et l’Italien Emiliano Zarcone (dessin), tentent de donner un peu de consistance à l’incroyable mais véridique destin de Yasuke, serviteur noir d’un jésuite italien, arraché à son village, au Mozambique, et qui débarque au Japon en 1579.

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Il y a un peu moins de trois ans, le parcours improbable du guerrier noir avait inspiré l’auteur et journaliste franco-ivoirien Serge Bilé, qui en avait tiré un ouvrage de vulgarisation historique : Yasuke (paru chez Owen Publishing). Une exposition, « Yasuke, l’esclave samouraï », avait été organisée en 2018 également, à Yaoundé, et présentait des toiles de Raimi Sewado.

Netflix a prévu de lancer une série d’animation japonaise autour du personnage

L’engouement autour du guerrier noir est tel que cette année, Netflix a prévu de lancer une série d’animation japonaise autour du personnage.

Un projet à la fois exaltant et frustrant

Extrait de « Kurusan, le samourai noir » © Editions Delcourt

Extrait de « Kurusan, le samourai noir » © Editions Delcourt

Le projet BD est à la fois exaltant et frustrant. Thierry Gloris et Emiliano Zarcone ont déjà travaillé ensemble, notamment sur la série Champs d’honneur (également parue chez Delcourt), qui raconte, dans chaque volume, une bataille historique. On n’est donc pas étonné de retrouver dans leur dernière publication de nombreuses scènes guerrières, fourmillant de détails. Le Japon féodal, son architecture, ses coutumes complexes, ses uniformes, sont ressuscités avec beaucoup de réalisme et de dynamisme. Et l’on sent que chaque case a fait l’objet d’une longue documentation.

L’apprenti samouraï, finalement peu présent, passe en arrière-plan

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Mais l’exercice a ses limites. Les intrigues complexes qui se jouent entre puissants sont connues et bien retranscrites dans la BD qui se focalise sur Oda Nobunaga, ambitieux chef de guerre et premier unificateur du Japon. La trajectoire de Yasuke, elle, reste floue. Les auteurs se voient donc obligés de broder des scènes de fiction sur un récit historique… Et l’apprenti samouraï, finalement peu présent, passe en arrière-plan des luttes de pouvoir entre seigneurs nippons.

Bizarrement, la BD met aussi de côté certains des rares éléments connus à propos de Kurusan (littéralement, « monsieur Noir »). On sait que la venue sur l’archipel de cet homme à la peau d’ébène, une curiosité pour les Japonais de l’époque, créa des scènes d’émeute, la populace brisant les portes d’une auberge où il s’était réfugié pour pouvoir le regarder. On lui fit même prendre un bain et on le frotta vigoureusement pour s’assurer que sa peau était bien noire, et qu’il ne s’agissait pas d’un Blanc maquillé.

Les Japonais jettent un regard vierge, exempt de préjugés raciaux, sur ce « géant »

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Reste que, comme dans l’ouvrage de Serge Bilé, on s’aperçoit que les Japonais, et notamment le gouverneur militaire Oda Nobunaga, jettent un regard vierge, exempt de préjugés raciaux, sur ce « géant » (de 1,88 m, soit près de 30 centimètres de plus que le Japonais moyen de l’époque). Oda Nobunaga le garde d’ailleurs à ses côtés pour assurer sa protection.

Un héros réel

« Kurusan, le samouraï noir », tome 1 : « Yasuke », de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone. © Editions Delcourt

« Kurusan, le samouraï noir », tome 1 : « Yasuke », de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone. © Editions Delcourt

C’est peut-être ce qui séduit aujourd’hui, à l’heure où les fictions, depuis Black Panther, s’évertuent de plus en plus à écrire des histoires autour de Noirs puissants… mais imaginaires. Yasuke est suffisamment réel pour donner de la véracité historique au propos, et sa biographie comporte assez de zones d’ombre pour y associer des épisodes romanesques. Le tome 2, à paraître, devrait venir étayer un peu plus la légende, et se focaliser, on l’espère, sur ce personnage hors normes.

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