[Tribune] Qu’attendons-nous pour exploiter l’énorme potentiel de l’industrie pharmaceutique en Afrique ?
Renforcer l’offre en produits de qualité et parier sur des chaînes de valeurs régionales n’a rien d’une utopie.
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Larabi Jaïdi
Economiste, professeur à l’Université Mohammed VI Polytechnique, Senior Fellow du Policy Center for the New South
Publié le 17 février 2021 Lecture : 4 minutes.
La pandémie de Covid-19 l’a rappelé : la production de médicaments sur place s’impose comme un axe de sécurité nationale et continentale. D’où le diagnostic précis, destiné à inspirer des politiques publiques, posé dans le dernier Rapport annuel sur l’économie de l’Afrique du think tank marocain Policy Center for the New South.
En 2020, l’interdiction ou la limitation par 71 pays de certaines fournitures médicales essentielles a menacé l’approvisionnement de l’Afrique, qui dépend trop massivement de ses importations (95 %). Au-delà de la pandémie, si rien n’est fait, la hausse de la demande africaine en médicaments risque de ne profiter qu’aux multinationales, faute de stratégies sérieuses pour développer cette industrie vitale.
Accroître l’investissement
Quel est l’état des lieux ? Pour l’instant, l’Afrique ne compte pas plus de… 375 fabricants dans 37 pays, contre 5 000 en Chine. La majorité de ces producteurs sont de petites unités reconditionnant des produits destinés aux marchés locaux.
Quelques industries pharmaceutiques africaines produisent à la fois des molécules sous licences et leurs propres génériques. Mais peu investissent dans la recherche, faute de moyens – ou de vision stratégique. L’Afrique du Sud et l’Égypte, les deux premiers producteurs, satisfont d’abord leurs marchés intérieurs et n’exportent que marginalement. Le Maroc, troisième producteur, compte ainsi 40 fabricants, dont 10 % de la production sont exportés. Résultat : malgré son milliard d’habitants, l’Afrique ne représente que 0,7 % d’un marché mondial pharmaceutique de 1 106 milliards de dollars en 2019.
Un marché très prometteur
Tout n’est pas perdu pour autant. Renforcer l’offre en produits de qualité et parier sur des chaînes de valeurs régionales n’a rien d’une utopie. Au contraire, puisque la valeur de l’industrie pharmaceutique africaine a déjà été multipliée par cinq entre 2000 et 2018, année où elle pesait 53,2 milliards de dollars.
Les dépenses de santé en Afrique pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2030.
Le marché reste fragmenté, certes, mais connaît une croissance de 10 % par an depuis 2010, supérieure à la moyenne mondiale (8 %). Selon le bureau d’études McKinsey, les dépenses de santé en Afrique pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2030.
Ce potentiel incite de plus en plus les big pharma et les fabricants asiatiques de génériques à investir aux côtés des producteurs locaux. Quelques unités de grande dimension, comme le groupe sud-africain Aspen ou le marocain Cooper Pharma, pourraient très bien représenter des points de départ pour des chaînes de valeurs régionales. Les pays leaders, s’ils le voulaient, pourraient mener des efforts de restructuration pour rendre les capacités de production plus importantes et faire des économies d’échelle.
Une panoplie de mesures à portée de main
Reste à savoir dans quel camp se trouve la balle. Union africaine, communautés économiques régionales, États, secteur privé ? Depuis 2005, l’Union africaine se préoccupe de l’essor des industries pharmaceutiques. Des priorités ont été définies et une feuille de route dressée en 2012 par le Nepad, qui tarde à produire des résultats. La Zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf) porte l’espoir d’un élargissement du commerce intra-africain grâce au démantèlement tarifaire. La simplification des procédures, avec des autorisations de mise sur le marché (AMM) uniques par sous-régions, est tout à fait envisageable.
L’intervention coordonnée des États paraît aussi nécessaire, pour que les médicaments soient partout abordables – et non deux fois plus chers que les coûts de production, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, en raison des marges prélevées par les intermédiaires que sont les transporteurs, grossistes et détaillants. Les puissances publiques peuvent agir, en prenant à leur charge tout ou partie du prix des médicaments, ou en se préoccupant des droits de douane, taxes, conditions d’importation et demandes d’octroi de licences. Des investissements pour soutenir les laboratoires africains et élargir les gammes thérapeutiques sont à portée de main. De même, des mesures d’incitation paraissent jouables au niveau des contrats de marché public, avec un pourcentage de commandes auprès des producteurs locaux.
Fournir et innover
Pour l’instant, les chaînes d’approvisionnement sont bâties sur un modèle de « push » : le distributeur réajuste son stock ou lance une commande auprès d’un grossiste lorsque la demande du consommateur (patients ou centres de soins) lui parvient. Cette situation provoque des ruptures de stock régulières, et offre un boulevard aux contrefaçons.
La pharmacopée traditionnelle se présente sous son vrai jour : une mine d’or !
Autre grande faiblesse du marché, qui n’a là non plus rien d’inéluctable : entre 1975 et 2014, seulement 1,3 % des 1 556 nouvelles entités chimiques enregistrées dans le monde étaient destinées au traitement des maladies tropicales et de la tuberculose, même si ces maladies représentent 12 % de la charge de morbidité mondiale. Or, plus de 80 % des matières premières naturelles de l’Afrique n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation scientifique standard. Et plus de la moitié des nouveaux médicaments introduits dans le monde dans les trois dernières décennies étaient des dérivés de sources naturelles.
Quand on sait que le peuple Khoisan en Afrique du Sud a obtenu du groupe Pfizer des royalties pour sa connaissance d’un cactus coupe-faim utilisé dans un traitement contre l’obésité, l’équation se clarifie et la pharmacopée traditionnelle se présente sous son vrai jour : une mine d’or ! Autant dire que l’Afrique a les cartes en main.
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