Khadija, la diva d’Essaouira

Fin juin, pour la septième année consécutive, l’ancienne Mogador a célébré la musique des Gnaouas. Parmi les artistes en vue, une des rares femmes à s’être imposée dans ce genre qui plonge ses racines dans l’Afrique subsaharienne.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Longue crinière tressée, corpulence de mama, l’oeil pétillant de malice, Khadija Ouarzazia a tout de la diva : le charisme, le coffre, la coquetterie. Il est impossible de ne pas la remarquer, et pas seulement parce qu’elle est la première femme à se frayer une place dans le genre très masculin qu’est la musique gnaoua.
Au festival d’Essaouira, manifestation dédiée à ces rythmes qui plongent leurs racines dans l’Afrique subsaharienne et dont la septième édition s’est déroulée du 24 au 27 juin 2004, Khadija est montée sur scène pour la cinquième année consécutive. Mais sans guembri entre les mains, cet instrument à cordes restant l’apanage du maâlem (le « maître »), et les groupes gnaouas étant, à une ou deux exceptions près, exclusivement masculins.
Pourquoi les femmes, pourtant présentes lors des pratiques rituelles, sont-elles quasi absentes de la scène ? La question fait d’abord sourire Abdeslam Alikane, maâlem et codirecteur artistique du festival d’Essaouira : « Vous savez comment sont nos femmes… Par pudeur, elles n’osent pas monter sur scène, se retrouver au milieu des hommes et affronter le public. »
Ne pourrait-on pas imaginer une femme maâlem ? « Pourquoi pas ! Mais c’est physiquement éprouvant. Il faut une sacrée carrure. C’est un métier difficile pour une femme. Et puis il faut aussi prendre en compte la mentalité locale et l’absence d’espaces publics où les musiciennes gnaouas pourraient être formées. Entre hommes, on se débrouille pour jouer n’importe où. Ce qu’on ne peut pas faire si on est accompagné de femmes », poursuit Abdeslam Alikane, comme pour s’excuser de la très faible présence féminine au festival.
Malgré toutes ces difficultés, Khadija Ouarzazia, née en 1969 dans une famille gnaoua, a réussi à s’imposer. Sa toute première scène ? « Je ne me souviens pas exactement. C’était il y a peut-être sept ans à Marseille ! J’avais accompagné le maâlem Moustafa Bakbou et son frère Ahmed. On a aussi donné un concert à Paris. Mais le premier qui m’a initiée et à qui je dois tout est le maâlem Abdelkébir Merchane. C’est lui qui m’a invitée au festival d’Essaouira il y a cinq ans. Après, je l’ai accompagné un peu partout en France, en Russie, en Suisse, en Allemagne, au Portugal, au Sénégal », se souvient cette native de Marrakech.
Comment se sont-ils rencontrés ? « C’était un ami de mon père, ils travaillaient ensemble. Je le connais depuis que je suis toute petite. Quand on organisait des lilas [les nuits de fête et de transe] chez mes parents, le maâlem Merchane m’entendait chanter. Et puis les choses se sont faites comme ça… Il est le premier à avoir demandé à une femme de monter sur scène et je suis devenue la première gnaoua à jouer des qraqeb [crotales], du tbal [tambour], à chanter et à danser en public. Sur scène, je m’habille comme les autres musiciens, je porte la quechaba (une longue robe masculine). Les autres membres de la troupe me considèrent comme l’une des leurs. Ils savent que je sais faire tout ce qu’ils font. Il n’y a pas de différence entre les hommes musiciens et moi », s’enorgueillit Khadija, resplendissante d’assurance.
Comment, dans son entourage, perçoit-on sa carrière artistique ? « Personne ne m’a contrarié dans ma vocation, pas même mon ex-mari. Ma famille et mes proches viennent toujours me soutenir quand je me produits à Essaouira, et mon fils, 12 ans, est très fier de moi », poursuit-elle. Est-ce qu’elle voudrait accéder au titre de maâlem ? « J’aimerais beaucoup apprendre à jouer du guembri. Je m’y suis un peu essayée, mais je ne trouve pas le temps de m’y former sérieusement parce que je suis obligée de gagner ma vie en acceptant d’autres propositions que celle des maâlems gnaouas. »

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