[Tribune] L’islam de France, cette république des mâles
Islamogauchisme, laïcité, séparatisme… Alors que l’islam revient sans cesse au centre des débats en France, les femmes musulmanes sont peu représentées dans les principales institutions islamiques et leur voix peu entendue.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l’islam de France est quasi masculin. Il « parle mâle », pour paraphraser une ancienne vedette orientale clamant que « la terre parle arabe ». Plus encore, l’islam de France fait tout tout seul : organiser, élire, prêcher ou investir dans le halal. Seule lui manque la vocation à légiférer, et encore, certains de ses représentants le font en cachette de la République.
Nous, les filles, nous regardons le train passer comme s’il s’agissait de « l’affaire de la voisine ». Alors que, à observer les institutions de notre religion et ses figures officielles locales, il y a de quoi crier à la ségrégation. Comptez donc le nombre d’éléments féminins dans les organes décisionnaires de l’islam de France – tels que le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’Organisation de l’islam de France (OIF) –, et dans les associations. Lorsque les musulmanes sont présentes, c’est en arrière-plan, préposées à des tâches secondaires ou servant d’alibi.
Pas de parité
Les responsables sont souvent en barbe, djellaba ou costume. Ils sont imams, aumôniers, recteurs, etc. Il y en a même qui ont pris le titre d’« intellectuels ». Pour preuve, les signataires de la tribune « “Boycotter la France, c’est ignorer la réalité de ses idéaux” : l’appel d’intellectuels musulmans à “la concorde et l’union” » publiée par Le Monde le 31 octobre, parmi lesquels figure une seule femme, une certaine Eva Janadin – que je ne connais pas, et je m’en excuse. Le texte est passé comme une lettre à la poste auprès de la direction du quotidien français, qui l’a publiée sans se poser de question sur la très faible représentativité des femmes.
En France, aucun projet n’est confié aux musulmanes. Je n’ai pas vu de solidarité à l’adresse des femmes imames
Le problème, c’est que la République semble s’en accommoder. Elle prend acte de la suprématie du masculin sur le féminin, inhérente à la Tradition, et avalise la thèse de la prééminence des hommes sur les femmes. Comme s’il était normal de laisser faire ou d’enfreindre les principes de parité et d’égalité dès qu’il s’agit d’islam et de musulmans. Les gouvernements français successifs ne s’adressent qu’aux hommes, les installent en haut de la pyramide, les font plancher sur les dossiers, défiler sur les écrans, maîtres attitrés du secteur.
Il suffit de se référer à des événements tels que les attentats de 2015 liés aux caricatures de Mahomet, l’assassinat de Samuel Paty ou la loi sur le séparatisme. L’on recueille l’avis des religieux, les imams surtout. À qui on demande naïvement : « Que pensez-vous des attentats ? » et qui répondent sereinement : « Cela n’a rien à voir avec l’islam » ou bien « les terroristes ne sont pas de vrais musulmans ». Franchement, est-ce que l’on s’attendrait à d’autres réponses que celles-là de la part de gens qui sont dans leur rôle ?
Écoutez les musulmanes
Peu d’élus demandent conseils aux musulmanes, comme si elles devaient obéir à l’injonction de conserver le même statut que leurs aïeules silencieuses et observatrices, pour ne pas dire soumises. Aucun projet remarquable ne leur est confié. Je n’ai pas vu de figures responsables exiger la parité dans les instances représentatives de notre religion, dénoncer les conditions dans lesquelles les croyantes sont reléguées au sous-sol des mosquées ni exiger que les prêches cessent d’être l’apanage des hommes. Je n’ai pas vu de solidarité à l’adresse des femmes imames ni d’aide leur permettant de trouver des lieux de prière.
De là naissent des contradictions typiquement françaises qui consistent à demander aux musulmanes d’être des facteurs d’intégration et des porte-drapeaux de la République mais sans se donner la peine de les écouter la moitié du temps. On souhaite qu’elles soient le symbole d’un islam réconcilié avec la laïcité mais on les ignore dès qu’il s’agit de confronter celle-ci à l’épreuve de la religion.
Alors de grâce, réveillez-vous, les républicains ! On ne vous demande pas de pousser les filles à édicter les fatwas ou à diriger la Grande Mosquée de Paris. Mais au moins demandez-leur leur avis. Afin que les choses changent. Et que, par leur intermédiaire, se réalise cet espoir resté vain : passer d’un « islam en France » à un « islam de France ». Voire à un « islam français ».
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