Dix semaines pour transformer l’essai
Près d’une semaine après le scrutin du 5 juillet en Indonésie, on ne connaissait pas avec certitude l’identité du candidat qui affrontera le 20 septembre prochain, lors du second tour de la présidentielle, le général Susilo Bambang Yudhoyono, arrivé en tête. « SBY », comme on le surnomme, est crédité pour l’instant d’un tiers des suffrages. Non pas en raison de tripatouillages électoraux ou de contestations de résultats. Mais simplement parce que l’extrême diversité du plus grand pays musulman de la planète (220 millions d’habitants, à 90 % musulmans, répartis sur des milliers d’îles) impose un long délai, d’environ trois semaines, pour le dépouillement de la totalité des bulletins. Or, une fois connu le verdict des urnes pour près de la moitié des votants, on ne pouvait toujours pas être sûr de l’identité du candidat arrivé second : Megawati Soekarnoputri, la présidente sortante, leader du Parti démocrate, était encore talonnée, avec un peu plus du quart des suffrages, par le porte-drapeau du Golkar, le général Wiranto.
En revanche, l’on sait déjà que le premier vainqueur de ces élections est la démocratie. L’ancien président américain Jimmy Carter, venu comme observateur, a parlé à juste titre d’« une merveilleuse transition » qui a permis de passer d’« un système autocratique à une véritable démocratie ».
Qu’on en juge : dans un pays qui était encore il y a cinq ans une dictature, sous la férule du général Suharto, plus de 80 % des 153 millions d’électeurs inscrits ont voté lors de cette première présidentielle au suffrage universel direct. Et le choix était tellement ouvert qu’ils ont réparti leurs suffrages sur de nombreux candidats, ne permettant à aucun de l’emporter dès le premier tour ou d’être sûr de l’emporter au second. Mieux : l’ancien maître du pays, renversé en 1999, a pu voter en toute tranquillité dans son quartier de Djakarta. Il n’y a d’ailleurs eu aucun incident notable lors de la campagne, pourtant très animée. Une véritable leçon pour la plupart des pays musulmans…
Ce premier tour n’a pourtant pas dissipé toutes les inquiétudes que suscite l’avenir de l’Indonésie. Tout d’abord, parce que les résultats montrent que la tentation autoritaire existe toujours. Difficile de ne pas remarquer que le candidat arrivé en tête est un général, de surcroît un ancien ministre de la Sécurité, ancien chef de bataillon au Timor oriental quand l’armée de Djakarta faisait régner la terreur dans ce territoire à la veille de son indépendance. Et qu’il était responsable de la garnison de Djakarta en 1996, quand le siège du parti de Megawati Soekarnoputri fut mis à sac par les militaires sur ordre de Suharto.
Difficile aussi de ne pas noter que, même si le duel le plus probable opposera au second tour SBY à la fille de Soekarno, grande figure progressiste du Tiers-Monde et fondateur de l’Indonésie moderne, il restait encore une toute petite chance, une semaine après le vote, qu’il mette aux prises deux généraux. Le second, Wiranto, considéré par beaucoup comme un criminel de guerre puisqu’il était le chef de l’armée lors de l’« affaire » du Timor oriental, reste une figure emblématique de l’ère Suharto. Son parti, le Golkar, regroupe les partisans de l’ancien régime. Le résultat final, dans tous les cas, ne déplaira pas à l’armée, qui risque de garder un rôle d’arbitre.
Mais le plus grave est peut-être ailleurs. Si Megawati Soekarnoputri éprouve des difficultés à se faire réélire, c’est parce que la situation économique est des plus préoccupante : malgré un taux de croissance en forte augmentation, l’Indonésie reste trop dépendante des exportations de matières premières, en particulier du pétrole. Son état actuel ne lui permet pas d’endiguer le fléau du chômage. L’unité nationale demeure menacée par des mouvements séparatistes, notamment dans la péninsule d’Aceh. Enfin, la corruption continue de sévir et les services publics sont plus que déficients.
Rien d’étonnant à ce que SBY ait tout fait pour ne pas apparaître comme un homme nouveau capable de saisir les problèmes du pays à bras le corps. Il a déjà réussi, en quelques mois, à convaincre un tiers des Indonésiens. On saura dans dix semaines si cette première victoire en annonçait une seconde, définitive celle-là. Le résultat, quel que soit l’adversaire de SBY, et surtout s’il s’agit de Megawati, devrait être serré.
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