Ben Laden, icône et repoussoir

Si les idées du chef d’el-Qaïda séduisent, sa violence inquiète les sujets du roi Fahd. Qui se révèlent massivement favorables à des réformes.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Près de la moitié des Saoudiens (48,7 %) apprécient la rhétorique d’Oussama Ben Laden, mais seuls 4,7 % d’entre eux souhaiteraient le voir à la tête de leur pays, selon un sondage réalisé dans le royaume wahhabite. Comment expliquer des résultats aussi contradictoires – du moins en apparence ?
« Lorsqu’on entend Ben Laden s’attaquer à l’Occident, dénoncer la corruption et l’incompétence des gouvernements arabes et la souffrance des Palestiniens, on est comme transportés dans un rêve », explique un habitant d’une province du Sud, où se recrutent généralement les adeptes du chef d’el-Qaïda. L’homme s’empresse cependant d’ajouter : « Lorsqu’on voit des innocents assassinés au nom de cette même idéologie, le rêve se transforme cauchemar. » Traduisez : les propos de Ben Laden trouvent, certes, un écho favorable auprès des Saoudiens, mais les attentats perpétrés par les groupes proches de l’organisation terroriste les effraient. Au point qu’ils se sentent eux-mêmes menacés.
Commentaire de Nawaf Obaid, directeur du projet « Évaluation de la sécurité nationale saoudienne », qui a piloté ce sondage réalisé entre juillet et novembre 2003 dans les treize provinces du royaume auprès d’un échantillon de 15 452 personnes (dont 62 % d’hommes et 38 % de femmes) : « Le discours de Ben Laden touche une corde sensible, en particulier lorsqu’il rappelle la préférence systématique des Américains à l’égard d’Israël, perçue comme une agression de l’Occident contre le monde islamique. Mais une grande majorité de Saoudiens ne croit pas que des actions violentes sont pour autant justifiées. »
La maladresse de la politique américaine en Irak et les reportages tendancieux d’Al-Jazira – souvent surnommée « la chaîne de Ben Laden » – n’ont pourtant fait que grossir les rangs des sympathisants du milliardaire saoudien. Le sondage démontre néanmoins que le soutien de ses compatriotes s’évanouit dès que son discours rédempteur est suivi d’actes violents.
Les résultats de ce sondage indépendant – une première en Arabie saoudite – portaient sur la perspective d’une éventuelle réforme politique, la place de l’establishment religieux et l’émancipation des femmes. Ils nous donnent une vision assez nuancée, en tout cas moins simpliste que celle diffusée par certains médias occidentaux, de la réalité sociale et politique du royaume wahhabite. Il en ressort, entre autres, que 85 % des Saoudiens estiment que des réformes seraient bénéfiques, même si seulement 11,8 % se font une opinion favorable des réformes libérales de type occidental préconisées par l’élite du pays. L’écart entre ces deux chiffres indique tout d’abord que les partisans des réformes libérales sont largement méconnus et que leur influence sur la population reste très faible. Il révèle ensuite que ces mesures devraient être mises en oeuvre progressivement, en tenant compte des attentes de la population et de ses capacités à assimiler les changements.
Autre indication de la volonté de changement des Saoudiens : plus de 90 % se disent favorables à l’octroi de droits civils aux femmes, et 63 % estiment que celles-ci devraient être autorisées à conduire des voitures. Là aussi, l’écart entre ces deux chiffres devrait inciter les autorités à initier des réformes graduelles de manière à ne pas bouleverser les équilibres sociaux.
Pris en tenaille entre leur allié américain, qui leur recommande d’adopter des réformes, et les affidés d’el-Qaïda, qui leur reprochent leur amitié avec Washington, les responsables saoudiens sont encore à la recherche d’une riposte efficace qui mette fin à l’activisme islamiste sans heurter les autorités religieuses, très influentes dans le pays, et sans restreindre les libertés individuelles. Exercice difficile s’il en est pour un pays en proie à des difficultés économiques sans précédent : chute du PIB (il est passé de 16 500 dollars en 1981 à moins de 6 000 dollars aujourd’hui), explosion démographique, chômage touchant un jeune sur trois et aggravation de la pauvreté.

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