Au crépuscule de la colonisation

Dans les années 1950, l’Afrique française s’achemine vers l’indépendance. Débarqué au Mali en 1952 comme administrateur, Roland Colin, futur directeur de cabinet du Sénégalais Mamadou Dia, restitue le climat de l’époque.

Publié le 12 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Roland Colin a tout juste 23 ans lorsqu’il débarque en 1952 comme administrateur colonial au Soudan français (futur Mali), dans la petite ville de Sikasso. Il est accompagné de son épouse Renée. Fait remarquable, ils parlent tous deux des langues locales, le bambara et le dioula. Leur soif de découverte et leur humanisme les amèneront à se passionner pour la compréhension des sociétés traditionnelles. Aujourd’hui, à l’âge de 75 ans, l’ancien administrateur, devenu par la suite directeur de cabinet de Mamadou Dia, président du Conseil sénégalais, puis professeur à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, a choisi de relater cette expérience singulière dans un livre, Kènèdougou, au crépuscule de l’Afrique coloniale. Voyage initiatique au coeur de l’Afrique paysanne des années 1950 et portrait sans concession de la société coloniale, ce roman historique, empreint d’humour et de tendresse, se lit d’un trait. L’auteur en donne ici quelques clés de lecture.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous évoquez votre expérience comme une « traversée du miroir ». Que voulez-vous dire ?
Roland Colin : J’ai eu la chance d’avoir eu plusieurs maîtres d’initiation. Le premier d’entre eux a été Léopold Sédar Senghor, qui a été mon directeur de mémoire à l’École nationale de la France d’outre-mer (Enfom). J’ai eu aussi un professeur de géographie,
Jacques Richard-Mollard, dont les enseignements m’ont accompagné toute ma vie. Il nous a appris qu’accepter que tous les hommes soient égaux ne signifiait pas qu’ils devaient être « semblables » et que cela supposait donc de s’atteler au « passage de la différence ». Pour moi, cela voulait dire qu’il me fallait faire le chemin inverse de celui demandé aux fonctionnaires africains contraints de quitter leur univers pour pénétrer dans celui des Blancs. Je me suis donc consacré à l’apprentissage des cultures
et des langues. J’ai passé un diplôme de bambara et de dioula à l’Institut national des langues orientales (Inalco), et, à 23 ans, me suis retrouvé à Bamako avec ma femme, qui avait suivi la même formation linguistique. La « traversée du miroir » a ensuite été une expérience quotidienne que je vivais en partie grâce à mon travail en circulant de village en village pour procéder à des recensements de population ou en tant que président du tribunal coutumier local, une fonction qui revenait de droit au « petit commandant » que j’étais. Cela m’a permis de plonger au cur des sociétés villageoises
et d’étudier en profondeur les rapports sociaux qui les régissaient. Je prolongeais ces découvertes par d’interminables discussions avec des amis maliens et des gens des villages.
J.A.I. : George Balandier, dans la préface, écrit : « Il [Roland Colin] se révèle plus ethnologue qu’administrateur. » Qu’en pensez-vous ?
R.C. : Je récuse ce qualificatif en partie. Car je n’étais pas l’ethnologue qui débarque dans le paysage avec uniquement une mission de savoir. J’étais aussi un acteur investi d’une fonction sociale. Ensuite, j’avais pris comme principe de me livrer autant que je
demandais aux autres de se raconter, ce qui donnait lieu à des échanges très riches. Enfin, je n’ai pas entrepris l’écriture de ce livre comme un simple exercice de mémoire. J’ai laissé remonter en surface le langage, les pensées et les sensations éprouvées. C’est pourquoi je revendique aussi la dimension littéraire de ce travail.
J.A.I. : Votre femme est très présente tout au long du livre.
R.C. : Nous partagions la même passion et la même soif de découverte. Renée m’a accompagné dans toutes mes tournées en brousse. Cela a été pour moi un enrichissement exceptionnel. Lors de nos périples, elle s’immergeait dans le monde des femmes, auquel je
n’avais pas accès. Nous pouvions ensuite partager nos sensations et nos découvertes. Elle était aussi passionnée de photographie et je possède donc un corpus de 800 photos qui
pourraient être prochainement exposées au Musée national de Bamako. Elles intéressent beaucoup les Maliens, car cela fait partie de leur patrimoine culturel.
J.A.I. : Comment avez-vous concilié votre rôle d’administrateur, vos convictions
progressistes et vos aspirations d’ethnographe ?
R.C. : C’était parfois assez compliqué. C’est pour cela que je parle d’une « aventure ambiguë », une sorte de double scénario. Une anecdote est très révélatrice. Je me passionnais pour la sculpture africaine. Une nuit, un sculpteur que j’avais rencontré sur un marché s’est présenté chez moi pour m’offrir deux statuettes magnifiques. Je lui ai demandé pourquoi il était venu me les apporter en pleine nuit. Il m’a répondu que les
sculptures étaient taillées dans un bois tombant sous l’interdit des agents des eaux et
forêt. Le fait qu’il se présente chez moi, le « petit commandant », avec ces statuettes
« illicites » voulait dire beaucoup de choses.
J.A.I. : Vous dressez un portrait sans concession de la société coloniale, ce « petit monde autosuffisant, cancanier et méprisant des Blancs englués dans une condition
coloniale aveugle aux réalités de l’Histoire »
R.C. : Je persiste et signe ! Les rapports entre les Blancs et les nouveaux politiciens
noirs, après la loi-cadre de 1956, étaient très ambivalents. La règle de la République voulait qu’on les respecte, mais on ne les fréquentait pas, même s’ils étaient au centre de bien des conversations de Blancs et s’ils étaient de toutes les réceptions officielles
J.A.I. : Ne vous a-t-on jamais reproché votre comportement ou vos fréquentations ?
R.C. : À la fin de mes trois années passées à Sikasso, on m’a muté à Dakar. Cela a été une
autre aventure passionnante. J’ai retrouvé des amis du Quartier latin et Léopold Sédar Senghor. Puis Mamadou Dia, le président du Conseil sénégalais, m’a accueilli dans son équipe, en tant que directeur de cabinet. J’ai pris l’Afrique par l’autre bout, mais tout ce que j’avais appris à Sikasso m’a soutenu et accompagné. Je raconte tout cela dans mon
prochain livre.

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