[Tribune] États-Unis : Joe Biden imprime sa marque au Sahel

Dans une région confrontée à de graves enjeux sécuritaires et humanitaires, Joe Biden suscite déjà de l’espoir. L’administration Trump, elle, part sur un bilan plus que mitigé.

Le secrétaire à la défense Lloyd Austin et le président Joe Biden au Pentagone, à Arlington, en Virginie, le 10 février 2021. © Oliver Contreras/REA

Le secrétaire à la défense Lloyd Austin et le président Joe Biden au Pentagone, à Arlington, en Virginie, le 10 février 2021. © Oliver Contreras/REA

Ladji Ouattara © DR
  • Ladji Karamoko Ouattara

    Docteur en histoire des relations internationales, enseignant à l’Université d’Évry (France) et à l’Université Abdou-Moumouni (Niamey, Niger)

Publié le 20 février 2021 Lecture : 4 minutes.

En février 2007, l’administration de Bush créait le Commandement américain pour l’Afrique, destiné à coordonner ses opérations militaires de plus en plus importantes sur le continent. Échaudé par les attentats terroristes de septembre 2001, Washington avait décidé de soutenir la lutte contre les Shebab dans la Corne de l’Afrique, Boko Haram dans le bassin du lac Tchad et Al-Qaïda au Sahel.

Un projet mis en veilleuse par Donald Trump, au profit du programme Prosper Africa, élaboré pour contrer l’influence croissante de la Russie et de la Chine sur le continent.

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Pour John Bolton, alors conseiller à la sécurité nationale, la stratégie étasunienne a consisté prioritairement, à travers des mécanismes bilatéraux, à renforcer les relations commerciales ainsi qu’à lutter contre le terrorisme en même temps qu’à essayer de contrer les politiques d’investissement agressives de la Chine et de la Russie sur le continent, lesquelles avaient notamment créé des sommets spécialisés.

Compétition entre grandes puissances

Mais la concrétisation de cette stratégie s’est fait attendre, donnant l’impression d’être davantage axée sur une stratégie de repositionnement des États-Unis d’Amérique dans un contexte global de compétition entre grandes puissances en Afrique.

Un agenda perçu au Sahel comme déconnecté des priorités que sont la sécurité, la pauvreté, les migrations, les droits humains ou le climat.

Ainsi, la nomination de Peter Pham, en mars 2020, comme premier émissaire pour le Sahel, n’a pu apporter de changement significatif, aucune stratégie claire et ambitieuse n’ayant été déclinée pour soutenir les efforts internationaux dans la région.

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De l’administration Trump, les États du G5 Sahel retiennent surtout l’opposition des États-Unis à « un mandat renforcé » de l’ONU en faveur de cette force antiterroriste. Aux yeux de certains responsables sahéliens, la frilosité américaine n’a pas permis à cette force d’atteindre sa pleine capacité opérationnelle.

Les États-Unis disposent d’importantes bases de drones qui constituent des plateformes de surveillance

À cela s’ajoute la menace trumpiste d’un possible retrait des forces armées américaines du Sahel, en lien avec la stratégie étasunienne de rééquilibrage et de réduction des effectifs engagés dans les opérations extérieures. Cette stratégie a été perçue au Sahel comme une entorse aux efforts de contre-terrorisme. Sachant que les États-Unis disposent d’importantes bases de drones, qui constituent des plateformes de surveillance pour l’ensemble du Sahel depuis 2013.

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Sans oublier le dernier pied de nez de Trump, qui impose à quinze pays africains, dont le Burkina Faso, le Tchad ou la Mauritanie, le versement d’une caution avant tout voyage aux États-Unis.

Plus d’espoir avec Biden

Au regard de ce bilan mitigé de l’administration Trump, critiqué plus généralement pour son désintérêt et ses choix stratégiques en matière de politique étrangère, Joe Biden suscite déjà plus d’espoir au Sahel face aux enjeux sécuritaires et humanitaires. En témoignent les vœux de « coopération renforcée » et d’« espoir d’un renforcement de la coopération » exprimés dans les messages de félicitations respectifs des présidents burkinabè et nigérien, après l’élection du nouveau président américain.

Les chefs d’État de la région misent sur un changement d’approche sous la nouvelle administration, en se fondant à la fois sur l’annonce du retour des États-Unis au sein de diverses organisations internationales et sur les désignations à des postes stratégiques de personnalités très attachées au multilatéralisme.

Ainsi, les nominations d’Antony Blinken (ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale puis secrétaire d’État adjoint) à la tête de la diplomatie américaine ou de Linda Thomas-Greenfield, (l’ex-« Mme Afrique » d’Obama) aux Nations unies laissent entrevoir un regain d’intérêt pour le Sahel et même la possibilité de reconsidérer la question du G5 Sahel aux Nations unies.

La nomination, à la tête du Pentagone, du général à la retraite Lloyd Austin, très expérimenté en matière de lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient, démontre que ce sujet sera au cœur des préoccupations de la nouvelle administration.

L’ancien vice-président d’Obama est perçu au Sahel comme un défenseur du multilatéralisme

Étant donné l’impasse de la lutte antiterroriste au Sahel, qui attire de nombreux combattants venus du Moyen-Orient, ce choix s’avère très appréciable. Dans cette perspective, l’ancien vice-président d’Obama, aux antipodes de l’isolationnisme et de la « politique transactionnelle » prônés par son prédécesseur, est perçu au Sahel comme un défenseur du multilatéralisme et d’un retour de son pays au centre du jeu international pour en assumer le leadership, malgré l’enjeu que constitue l’Afrique pour d’autres grandes puissances.

Pour preuve, le changement de ton sur le dossier libyen, la nouvelle administration exigeant que tous les acteurs étrangers « [commencent] immédiatement le retrait de leurs forces » et « [respectent] la souveraineté libyenne ».

Par ailleurs, l’administration Biden, attentive aux préoccupations climatiques, pourrait être un partenaire technique dans la réalisation de la « grande muraille verte » dans le Sahel. Cet ambitieux programme de reboisement de 8 000 km, allant de Dakar à Djibouti, est destiné à lutter contre la désertification et à favoriser la transformation économique et écologique de l’une des régions les plus arides et pauvres du monde.

Partenaire stratégique

Face à ces enjeux, la stratégie de Joe Biden est très attendue. Ainsi, tout en tirant les enseignements des erreurs passées et en capitalisant sur ses acquis, l’administration actuelle, qui dispose de l’expertise de grands noms de la diplomatie, apparaît comme un partenaire stratégique capable d’accroître l’efficacité opérationnelle des efforts déployés au Sahel, confronté aux plus grands défis sécuritaires et humanitaires de son histoire.

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