Un homme de compromis

Technocrate ou vieux routier de la politique ? Un an après son arrivée à la primature, Edem Kodjo entend rester l’un et l’autre pour réconcilier les Togolais.

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

Il a eu des hauts et des bas, mais son goût pour le pouvoir est intact. Jeune ministre togolais de l’Économie et des Finances avant de détenir le portefeuille des Affaires étrangères dans les années 1970, secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) entre 1978 et 1983 et éphémère Premier ministre sous la férule du général Eyadéma de 1994 à 1996, l’ambitieux Edem Kodjo (68 ans) a bien l’intention de rester un homme du présent. Avec un parcours qui puisse se conjuguer au futur. « Je n’ai qu’une seule chose à faire, travailler pour mon pays », déclare celui qui est revenu aux affaires, le 8 juin 2005, comme chef du gouvernement. Appelé par le président Faure Gnassingbé – élu à la tête du pays le 24 avril 2005 pour succéder à son père -, le leader de l’opposition dite modérée n’a pas hésité. Le chef du parti de la Convergence patriotique panafricaine (CPP) affirme n’avoir posé et obtenu qu’une seule condition : « Que notre programme soit pris en compte pour moderniser et réformer le pays. »
Le Togo joue donc la partition de la cohabitation. « Ce sont des relations de confiance », s’empresse de préciser Kodjo, qui se souvient amèrement de son premier passage à la primature. Orages, réconciliations, brouilles, « ça ne coulait pas de source entre le général et moi. On peut même parler de défiance », reconnaît-il, lucide et sincère. Avant d’afficher une certaine susceptibilité lorsqu’on lui rappelle qu’il avait fini par rendre les armes, sous la pression des barons du parti présidentiel, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). « C’est moi qui ai démissionné, s’emporte-t-il. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire. » L’aveu d’échec lui est étranger. Fier, voire orgueilleux, il préfère souligner, à juste titre, les très bonnes performances économiques enregistrées par le Togo qui redécollait sous la houlette de ce gestionnaire rigoureux qui fut gouverneur au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque africaine de développement (BAD) avant de se lancer en politique. Les livres d’histoire trancheront, mais l’homme, au caractère trempé, reste fidèle à sa feuille de route.
Conscient des blocages après quarante années de pouvoir autoritaire, démocrate convaincu et partisan du multipartisme, l’ancien professeur en économie du développement à la Sorbonne se veut pragmatique. Son poids électoral réel étant ce qu’il est, il n’est pas interdit de voir aussi une bonne dose d’habileté. Le natif de Sokodé, à 350 kilomètres au nord de Lomé, n’a obtenu que 1 % des voix lors de la présidentielle de 2003. Même en tenant compte des irrégularités du scrutin, sa seule stratégie gagnante est celle des alliances.
Le jeune héritier, Faure Gnassingbé, qui s’est saisi du bâton de maréchal, et le fidèle serviteur de l’État se sont connus en 2004 lors des négociations avec l’Union européenne en vue de la levée des sanctions internationales. Le courant est passé, et l’estime a, semble-t-il, été réciproque. Après le décès du maître de Lomé 2, le 5 février 2005, le fils est propulsé au pouvoir. Kodjo dénonce la méthode mais plaide pour l’apaisement et le dialogue. En retrait durant toute la campagne présidentielle, il assiste à la chronique d’une victoire annoncée. Ses prises de position sont rares, prudentes, et s’apparentent pour beaucoup à un soutien implicite au candidat Gnassingbé. L’opposition radicale emmenée par Bob Akitani de l’Union des forces du changement (UFC) fulmine. La rue gronde. Au soir du 24 avril 2005, alors que les coups de feu résonnent dans la capitale, les rumeurs le donnent déjà Premier ministre. Calculs politiciens ou réalisme froid ? Naïveté déconcertante ou volonté farouche de sortir son pays de l’ornière ? Le personnage et son parcours apportent quelques éléments de réponse.
Titulaire d’une maîtrise de droit et diplômé à Paris de la prestigieuse École nationale de l’administration (ENA, promotion Blaise-Pascal, 1962), ce juriste de formation n’a jamais été adepte des discours enflammés. Technocrate, il rechigne aux grandes envolées teintées de populisme. Guère à l’aise sur les estrades, il préfère la réalité des dossiers aux rapports de force. Plusieurs de ses proches ont connu la prison durant les années 1990 pour un gain politique, somme toute bien maigre. « Avoir sa maison détruite, devoir se cacher, je sais ce que cela veut dire, avoue-t-il. Il faut savoir évoluer pour être efficace tout en restant fidèle à ses valeurs. » L’heure est donc à la réconciliation. Cela a échoué avec le père, tentons avec le fils, apparemment plus souple. Misons sur la sincérité d’un pouvoir nouvelle formule qui affiche sa volonté de faire bouger les lignes. Au programme, ouverture démocratique et relance économique.
« Lors de ma déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, j’ai mis au défi quiconque de glisser une feuille de cigarette entre le président et moi. Ça n’a pas changé », affirme Kodjo. N’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, aux opposants pur jus qui dénoncent une traîtrise et aux tenants de la méthode forte, nostalgiques des grandes heures du régime Eyadéma. « Beaucoup de choses ont été faites pour apaiser la situation et lutter contre l’esprit de revanche. C’était loin d’être évident. Quant aux critiques de l’opposition radicale, elles me laissent indifférent. Ils n’ont jamais cru que le train allait démarrer, or il est parti sans eux », se félicite-t-il avant d’énumérer, non sans plaisir, « les succès et les signes positifs qu’il faut savoir analyser ».
Le 13 janvier dernier, pour la première fois, une messe a été célébrée en l’honneur du président togolais Sylvanus Olympio, assassiné en 1963. La fête de l’Indépendance, le 27 avril, a fait cette année un retour remarqué dans le calendrier officiel. Au programme, défilé militaire et présence au pays, pendant quatre jours, de Gilchrist Olympio, le leader historique de l’UFC. Autre avancée significative : le lancement, le 21 avril dernier, du Dialogue intertogolais. Autour de la table, l’ensemble de la classe politique. Au menu : le cadre électoral, la Constitution et la réforme de l’armée, notamment. Ces pourparlers doivent déboucher sur une sortie de crise et des élections législatives anticipées en 2007. À la clé : une reprise de la coopération avec Bruxelles, suspendue depuis 1993 pour cause « de déficit démocratique ».
Kodjo serait-il en train de réussir ? En tout cas, il ne ménage pas ses efforts, commence ses journées de bonne heure et les finit tard dans la nuit. L’agenda serré doit aussi apporter un démenti à ceux qui voient en lui un alibi instrumentalisé par le clan Eyadéma. « À 5 heures du matin, je fais le point de la situation avec un responsable de la sécurité. » Les compétences régaliennes sont partagées. « Je reçois à mon domicile diverses personnalités, y compris des ministres. » Le gouvernement a un fonctionnement autonome sans être parasité par la présidence. « Les audiences se succèdent ensuite à la primature, mes collaborateurs rédigent des notes, je préside les conseils interministériels, et, à 17 heures, je suis dans le bureau du chef de l’État. Tous les jours. On discute pendant une heure, et nous ne passons pas notre temps à nous raconter des petites histoires. » Les dossiers de fond sont traités en binôme, l’entente est cordiale, et la collaboration étroite. La démonstration se veut convaincante tandis que la presse évoque la possibilité d’un remaniement ministériel.
« Si les choses ne pouvaient pas changer, je partirais le jour même », promet Kodjo. Avant d’ajouter, « rien ne m’empêche de reprendre l’écriture ». Éreinté en 1983 par l’impitoyable et féroce campagne menée contre « le secrétaire général fossoyeur » qui avait prononcé l’admission de la République arabe sahraouie démocratique au sein de l’OUA, l’homme va se refaire une santé à l’université de la Sorbonne. Il rédige un livre remarqué, Et demain l’Afrique, avant de regagner son pays pour participer à la Conférence nationale en 1991. Épuisé par son échec à la présidentielle de 2003, il se replie et écrit un roman à clés, Au commencement était le glaive, dont l’action se déroule dans l’Afrique des Grands Lacs. Edem Kodjo a de la ressource.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires