Poussée de fièvre au Nord

L’attaque, le 23 mai, de deux casernes de l’armée malienne à Kidal et d’une troisième à Ménaka a constitué un coup rude pour le régime. Voyage au cur de la région la plus frondeuse du pays.

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 8 minutes.

Le 11 mai 2006, un mois après y avoir séjourné à l’occasion des festivités du mouloud (anniversaire de la naissance du Prophète) en compagnie, entre autres, de ses homologues libyen et nigérien, Mouammar Kadhafi et Mamadou Tandja, le président Amadou Toumani Touré atterrit à Tombouctou. Il entame un périple qui doit le mener dans les huit régions qui composent le Mali. Point de départ de sa tournée : le septentrion, l’étape la plus délicate du voyage. Le nord du pays abrite, en effet, les populations les plus vulnérables, car les plus exposées aux crises alimentaires. Désertique, son sous-sol est aussi ingrat que ses vastes étendues sablonneuses.
Arabes, Berbères, Peuls ou Toucouleurs y vivent pourtant depuis des siècles, dans une cohabitation faite d’affrontements et de réconciliations, d’apaisements et de tensions. Volontiers frondeurs à l’égard du pouvoir central, privilégiant leur propre hiérarchie sociale, les Touaregs ont régulièrement dénoncé leur marginalisation et le peu d’intérêt du gouvernement pour le développement de leur région, qui n’a pas été sans conséquences sur son équilibre ethnique.
Au milieu des années 1980, une sécheresse persistante frappe le Sahel. La catastrophe humanitaire n’épargne ni les hommes ni le bétail, principale richesse économique de la zone. Cette situation sert de terreau à un irrédentisme touareg qui contamine les communautés arabes. La rébellion de l’Azawad provoque, en réaction, la création du Gandakoy, une sorte de milice d’autodéfense créée par les cultivateurs sédentaires contre les attaques répétées des insurgés. La crise du Nord se complexifie. À cette époque, la région militaire est dirigée par le colonel Amadou Toumani Touré, qui en est lui-même originaire – il est né à Mopti. ATT est sur les deux fronts : militaire et politique. « C’est mon statut de militaire, d’officier rechignant à envoyer ses hommes au champ de bataille, qui m’a incité à privilégier une solution négociée », se souvient-il aujourd’hui. Parrainé par l’Algérie, un pacte de paix et de stabilité est signé en 1992, à Tamanrasset. Quatre années plus tard, en mars 1996, la place de l’Indépendance de Tombouctou abrite une cérémonie au cours de laquelle l’arsenal des rebelles est brûlé au cours d’une cérémonie appelée « flamme de la paix ».
La région entre dans une période d’accalmie qui ne sera troublée qu’en décembre 2000, lorsqu’un ancien seigneur de guerre de l’Azawad, Ibrahim Ag Bahanga, déserte les rangs de l’armée, prend la tête d’une centaine d’hommes et s’installe dans le maquis de Kidal, reprochant aux autorités de ne pas avoir tenu leurs engagements en matière de développement de la région. Sa « trahison » est alors sous-estimée par le président Alpha Oumar Konaré. Pour mettre la pression sur le pouvoir central, le déserteur s’attaque à une position avancée de l’armée malienne et prend en otages une dizaine de soldats. Le chef de l’État dépêche un émissaire et choisit un facilitateur : Iyad Ag Ghali, grande figure du mouvement Azawad, reconverti dans les affaires. Les pourparlers sont supervisés par l’ambassadeur d’Algérie, qui se porte garant des deux parties. Les revendications d’Ag Bahanga sont très ciblées : il réclame le statut de commune pour son village natal In Tejdit et la création d’une agence spéciale pour le développement du Nord. En février 2001, la crise se dénoue avec la libération des otages et la satisfaction des revendications d’Ag Bahanga. La région retrouve la quiétude.
En juin 2002, ATT est investi à la tête du pays. En quatre ans, son bilan est éloquent, notamment en ce qui concerne la zone septentrionale. La mise en place de structures adéquates a permis au Nord d’être épargné par la famine en 2004, quand une invasion de criquets pèlerins a ruiné les récoltes, menaçant les troupeaux des nomades. Mieux : ATT a réussi, en mai 2005, à obtenir du Fonds international pour le développement agricole (Fida) une participation au Programme d’investissement pour le développement des régions Nord (PIDRN). Montant : 17 milliards de F CFA destinés à améliorer les conditions de vie et de travail dans dix-neuf communes, dont celles de Kidal, Tombouctou, Goundam et Diré. « Tout cela est insuffisant », estime cependant le lieutenant-colonel Hassan Fagaga, ancien chef spirituel de la rébellion, qui prend la décision de déserter l’armée. ATT le reçoit, énumère devant lui les énormes progrès qu’a connus le Nord et lui annonce que le PIDRN devrait, à terme, produire ses effets. Fagaga écoute en silence le chef de l’État et promet de rentrer dans le rang.
Le 11 mai 2006, le chef de l’État est à Tombouctou pour lancer officiellement le PIDRN. L’accueil que lui réservent les notables et la population contraste avec les velléités séditieuses du lieutenant-colonel Hassan Fagaga. Les premiers renouvellent leur confiance au gouvernement et aux autorités de Bamako. La seconde manifeste, elle, sa joie de retrouver le président qui a octroyé au Nord des investissements conséquents. Désormais, les grands centres urbains sont couverts par les deux opérateurs de téléphonie mobile présents au Mali. L’enclavement recule face à l’avancée du bitume et à l’ouverture de nouvelles pistes. Alors qu’il fallait hier quatre heures pour relier Tombouctou à Goundam, quarante-cinq minutes suffisent aujourd’hui. En quatre ans, plus de 80 000 hectares ont été mis en valeur. La moitié profite de l’irrigation. La plaine de Saouné a été réhabilitée et plus de 600 familles ont accédé à des parcelles irriguées grâce à un système de pompage des eaux du fleuve Niger. L’ouverture des axes routiers a produit des effets inattendus : la fixation de populations nomades et la création de nouveaux villages. À terme, le PIDRN devrait aboutir à la réalisation de 16 centres de santé, 134 points d’eau, 8 parcs de vaccination de bétail et 28 puits pastoraux. En outre, la région doit bénéficier d’une aide spéciale accordée par le « Frère Guide » Kadhafi. Elle atteint 50 millions de dollars, dont 7 millions pour la restauration du canal Sony Ali Ber, qui reliait jadis Tombouctou au fleuve Niger, situé à 9 kilomètres du centre-ville. Notables, chefs de villages et de tribus assurent le chef de l’État de leur soutien et de leur confiance, le priant d’être « indulgent avec Fagaga, qui ne représente que lui-même ». Les doléances tombent cependant : malgré un établissement flambant neuf, les lycéens de Goundam ont un sérieux problème de transport et le budget des cantines scolaires doit être revu à la hausse. Les jeunes n’ont toujours pas de terrain de sport, et les femmes réclament encore leur centre multifonctionnel. Lors des échanges avec la population, ATT prend soigneusement note et répond point par point. « Un programme de logements sociaux résorbera l’habitat précaire, promet-il. Les jeunes auront leur stade et les lycéens leur bus. » Il distribue tracteurs et logements ruraux, inaugure un château d’eau ainsi que la station de pompage de Saouné. Bref, le président est en terrain conquis. À Goundam, une séance de travail est prévue avec les notables de la ville historique. Entre deux interventions, un vieil homme demande la parole. Dans un français châtié, il interpelle ATT : « Nous apprécions tout ce que tu fais pour les populations du Nord. Mais la presse nous rapporte des informations qui nous inquiètent. Faut-il croire la rumeur ? » demande-t-il en faisant allusion aux menaces de sédition de Hassan Fagaga. La question ne trouble pas ATT qui avait prévu de l’évoquer lors d’une conférence de presse en marge de la célébration du quatrième anniversaire de son retour aux affaires. Il se soumet donc à l’exercice : « Je voudrais rassurer mon papa, dit-il à l’adresse du vieil homme, il n’est pas question que le Nord revive la situation qu’il a connue au début des années 1990. » Et raconte alors dans le menu détail sa rencontre avec Fagaga. Il explique la démesure de ses revendications, dont une large autonomie pour Kidal. « Il ne peut y avoir de statut particulier dans la République, affirme le président. Et si d’aventure cela devait un jour arriver, ce ne serait certainement pas suite à une action armée, mais après un débat national mené dans le cadre des institutions. Les perspectives pétrolières sont aujourd’hui très sérieuses. Je vous le dis franchement. S’il y a du pétrole dans le Nord-Mali, il appartiendra à tout le peuple malien et non pas exclusivement aux communautés qui vivent dans le Nord. »
Douze jours plus tard, le sang coule dans le pays. Fagaga a relancé les hostilités. Il a attaqué deux unités de l’armée, tuant au passage quatre soldats loyalistes, et pillé les magasins d’armement et les véhicules militaires avant de se retirer dans son maquis. Ce 23 mai, le président est en province. Mais l’annonce de l’attaque ne modifie en rien son planning. Il décide de poursuivre sa visite à Kayes, dans la deuxième région, tout en suivant l’évolution des événements. Des instructions sont données pour que l’ordre soit rétabli. La population de Kidal se terre chez elle. Mais, ailleurs dans le Nord, les chefs de communauté prient pour qu’il n’y ait pas d’affrontements. Les Amenokal – les chefs tamacheks – et les notables arabes ressentent une certaine inquiétude. « Aux premières heures de l’attaque, l’identité des assaillants n’a pas été établie, raconte Ousmane Ag Ousmane, un journaliste indépendant basé à Tombouctou. Si les activistes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui disposent d’une base dans la région de Kidal, avaient fait le coup, la situation aurait été pire. L’agression aurait provoqué une intervention de la centaine de soldats américains basés à Gao en soutien à l’armée malienne, dans le cadre de l’initiative Pan-Sahel [NDLR : un programme de formation pour les armées des pays sahélo-sahariens financé par le Pentagone]. Ce jour-là, les habitants de Kidal ont contacté leurs parents de Gao pour leur demander des détails sur le convoi militaire qui venait de quitter la ville, pour savoir s’ils avaient vu des GI’s avec les soldats maliens. » Pourquoi ces inquiétudes ? « Si l’affrontement reste strictement malien, on pourra toujours compter sur les traditions de médiation pour parvenir rapidement à un cessez-le-feu, explique Ag Ousmane. En revanche, la moindre intervention américaine inciterait l’ensemble de la communauté arabo-berbère à soutenir le camp des insurgés. » Évidemment, l’armée malienne n’a rencontré aucune difficulté pour réinvestir Kidal et rétablir l’autorité, mais les craintes d’une intervention américaine, au demeurant très hypothétique, montre la fragilité de la situation dans le Nord.
L’attaque de Kidal est grave dans la mesure où elle constitue la trahison du pacte de paix et de stabilité signé en 1992 à Tamanrasset. Mais elle n’entame en rien la crédibilité d’ATT. Historiquement, il est le président qui a consacré le plus de temps, d’argent et d’énergie au développement de cette région. C’est pourquoi la sédition de Fagaga et de ses alliés ne devrait pas bouleverser son agenda politique outre mesure…

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