Mon périple de Cotonou à Ouaga

Publié le 12 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

Cotonou, gare routière de l’ancien pont, 16 mai, 20 heures. J’attends le bus qui doit m’emmener à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, pour couvrir les assises de la Banque africaine de développement (BAD). Seize heures devraient suffire à nous faire parcourir le gros millier de kilomètres qui sépare les deux villes.
La gare de l’ancien pont est une vaste étendue à ciel ouvert, d’où partent de nombreux bus en direction de Ouaga, Lomé, Accra, Abidjan, Douala Les voyageurs sont regroupés dans la partie éclairée de la station. Ils regardent une télévision placée en hauteur et protégée par des barres de fer. Je me risque : « Le bus devrait bientôt partir, non ? Où se trouve le chauffeur ? » Pas de réponse. Résignée, je retourne au parking plongé dans la pénombre. Des bagages sont entreposés dans un coin. Je dépose les miens et reste non loin pour les surveiller. Quelques mendiants rôdent.
22 heures. Aucun signe du départ. La tension monte parmi les voyageurs. « Je suis arrivé de Lagos à 10 heures ce matin et on m’a affirmé que le bus partirait à l’heure. J’ai un rendez-vous très important à Ouagadougou », crie un homme aux traits épuisés. Deux femmes – vraisemblablement habituées du parcours – dorment à poings fermés sur une natte, indifférentes au chahut environnant.
23 heures. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, débraillé, se dirige vers nos bagages. Il en soulève un au hasard. « À qui appartient ce sac ? » Sans attendre la réponse, il enchaîne : « Vous devez payer 1 300 F CFA [2 euros]. » « Vous plaisantez, répond le propriétaire. Lorsque j’ai acheté mon billet à 17 000 F CFA (26 euros), on m’a affirmé que tous les frais étaient compris. » La foule se met à râler. Le contrôleur ne veut rien entendre et on se voit contraint de lui donner chacun 500 F CFA pour une valisette ou 1 000 F CFA pour un gros sac. C’est lui qui, en soupesant vaguement le bagage, détermine le tarif. La mascarade s’achève et tout finit par rentrer dans l’ordre. Les bagages sont recouverts d’une toile cirée et ficelés au-dessus du minibus.
Minuit. Le signal du départ n’a toujours pas retenti. Aucun chauffeur en vue. L’impatience monte d’un cran. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’un homme en pagne accourt en hurlant (comme si nous étions des retardataires) : « Tout le monde dans le bus ! » C’est la bousculade. « Non, proteste le chauffeur en bloquant la porte, je fais l’appel et vous montez selon l’ordre de votre numéro d’enregistrement. » Premiers appelés, premiers servis ! Au total, vingt-huit passagers venant du Bénin, du Burkina, du Mali, de Guinée, du Niger et du Nigeria grimpent à bord.
1 heure du matin. Le bus démarre. Nous avons cinq heures de retard sur l’horaire prévu. Mais aussitôt parti, le bus s’arrête pour faire le plein d’essence. Enfin, nous entamons vraiment le périple. Des coups de sifflet ou des appels de phares interrompent régulièrement mon sommeil. Contrôles de sécurité. À chaque fois, le même scénario se répète. L’apprenti du chauffeur fait la quête auprès des voyageurs. « Un petit cadeau pour les policiers » chante-t-il. Un compagnon de voyage, commerçant nigérien, m’explique : « Ces hommes sont très gourmands. C’est une règle établie, on ne peut rien y faire. On ne sait pas à qui se plaindre, ni qui en a décidé ainsi. Mais si vous protestez, les policiers vous verbalisent ou vous arrêtent. » Les villes passent, on avale les kilomètres.
10 heures du matin. Nous sommes à quelques centaines de mètres de Porga, ville frontalière entre le Bénin et le Burkina. Le bus s’arrête pour une escale de rafraîchissement. « Vous avez vingt minutes », annonce le chauffeur. L’apprenti récupère les documents de voyage. À chacun son « tarif » : 500 F CFA pour les cartes d’identité et 1 000 pour ceux qui n’ont pas de papiers. Au poste-frontière béninois, on descend à nouveau. « Attendez ici, ne bougez pas ! » ordonne le douanier. Il récupère tous nos papiers – et l’argent -, les contrôle et rend les documents. Il demande à ceux qui n’en possèdent pas de le suivre. Le temps passe, ils finissent par sortir et remonter dans le bus. J’imagine aisément comment s’est réglé le litige Une centaine de mètres plus loin, je vois flotter le drapeau du Burkina Faso. Nouvel arrêt obligatoire à la douane. Tout le monde redescend. Un agent nous salue avec le sourire. « Bonne arrivée. Comment s’est déroulé votre voyage ? » demande-t-il, avant de donner l’ordre de débarquer les bagages. Le chauffeur et son apprenti obtempèrent. On attend plus d’une heure. Il nous reste encore quatre heures de route jusqu’à Ouaga.
13 heures. Le douanier revient. « Ouvrez les bagages ! » ordonne-t-il, avant de marquer les sacs fouillés à la craie verte. Il vérifie l’intérieur du bus. Et se met à crier : « À qui appartient cet ordinateur ? » Je me manifeste. « Vous n’avez pas le droit de transporter un tel appareil sans justificatif. Qu’est-ce qui me prouve qu’une fois au Burkina vous n’allez pas le vendre ? » explique-t-il, l’air suspicieux. « C’est mon instrument de travail », lui dis-je. « Ça ne se passera pas comme ça, suivez-moi chez le chef. » Bien installé dans son fauteuil, ce dernier me demande ce qu’il peut faire pour moi. Je pense à l’argent, mais préfère décliner ma profession de journaliste. Il s’excuse avec empressement. « En Afrique, nous ne sommes pas encore assez évolués pour comprendre qu’avoir un ordinateur portable est aussi banal que posséder un agenda. » Quelques minutes plus tard, le bus repart vers Ouaga. À 17 heures, nous voilà à destination. Je suis éreintée, mais si contente d’être arrivée saine et sauve.

* Journaliste béninoise.

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