Eleni Gabre-Madhin : « Des Bourses conçues pour les petits négociants »
La meilleure solution pour mettre en relation producteurs et acheteurs et doper l’agribusiness ? Des marchés agricoles, affirme l’entrepreneuse éthiopienne Eleni Gabre-Madhin, qui s’apprête à en créer un au Ghana. Entre autres…
Au Africa CEO Forum, à Genève, la dynamique Eleni – comme tout le monde l’appelle – enchaîne les rendez-vous. Fondatrice de l’Ethiopia Commodity Exchange à Addis-Abeba, une Bourse de matières premières considérée comme une réussite, cette Éthiopienne a créé en 2013 la société Eleni, spécialisée dans la conception et la construction de tels marchés. Elle s’apprête à signer son premier contrat, pour la création d’une Place au Ghana qui devrait voir le jour courant 2015.
Propos recueillis à Genève par Frédéric Maury et Nicolas Teisserenc
Jeune Afrique : Vous venez d’annoncer la création de la Bourse agricole Ghana Commodity Exchange (GCX). Comment comptez-vous réaliser ce projet ?
Eleni Gabre-Madhin : Nous allons couvrir l’ensemble de la chaîne, du fermier au négociant. Nous assurons la conception de la Bourse, nous fournissons la technologie et le système d’information, nous recrutons l’encadrement et rassemblons les financements. Pour lever les 15 millions d’euros dont nous avons besoin dans le cas de GCX, nous avons formé un consortium associant des acteurs privés – trois institutions financières ghanéennes et deux internationales, IFC et 8 Miles – et le gouvernement ghanéen à hauteur de 10 %. Nous [la société Eleni] en sommes également actionnaire. Aucun des membres de ce consortium ne détient la majorité de contrôle, ce qui garantit la transparence du projet.
Qu’en est-il des infrastructures de stockage et de transport ?
L’écosystème, c’est-à-dire les entrepôts et la logistique, est en effet très important. Nous allons créer une société pour investir 40 à 50 millions de dollars [entre 30 et 37 millions d’euros] à cet effet. Dans un premier temps, nous sélectionnerons huit sites de stockage d’une capacité totale de 280 000 tonnes. Nous aurons recours à un système mécanisé pour traiter les matières premières brutes sur place : les nettoyer, les sécher, les fumer…
Avez-vous d’autres projets sur le continent ?
Nous avons lancé une étude au Cameroun, où le potentiel est énorme. Nous définissons une feuille de route pour revitaliser et privatiser la Bourse agricole d’Abuja, au Nigeria, lancée en 2006. Nous pensons être bien placés pour remporter ce marché. Nous avons aussi signé un protocole d’accord au Mozambique et nous sommes en discussions avec la Côte d’Ivoire. Enfin, un autre pays nous a fait part de sa volonté de créer une Bourse du carbone. J’ai aussi été invitée à venir parler avec le gouvernement marocain ; cela me semble très enthousiasmant.
Comment expliquer le succès de la Bourse agricole éthiopienne ?
La plupart des Bourses de matières premières sont faites pour des hommes d’affaires. À Addis-Abeba, nous avons construit une Place aux normes internationales, avec les mêmes règles et les mêmes exigences, mais conçue pour les petits négociants du secteur informel, qui représentent 95 % du marché. Comme nous nous apprêtons à le faire au Ghana, nous avons créé des entrepôts, des laboratoires de certification, des chambres de compensation, etc.
En Afrique, de nombreux produits agricoles sont subventionnés. Cela bloque-t-il le développement de telles Bourses ?
Si le prix d’une matière première est régulé, celle-ci ne peut faire l’objet d’échanges en Bourse, car le but d’une place financière est de déterminer le prix. De mon point de vue, la régulation crée une distorsion, même pour des systèmes qui fonctionnent bien, comme le Cocoa Board [organe de gestion de la filière cacao] au Ghana : il y a des périodes où celui-ci crée d’immenses déficits, qui doivent être remboursés par le Trésor public ghanéen. Mais de nombreux pays ne peuvent se permettre de financer la différence [entre les tarifs auxquels ils se sont engagés à acheter les produits aux producteurs et les prix du marché].
Dans beaucoup de pays africains, la chaîne d’approvisionnement est tellement peu fiable qu’on ne peut pas prendre le risque d’investir dans une usine.
Mais le système de prix garanti est un moyen de protéger les revenus des agriculteurs…
En Éthiopie, le fait que tout le monde vienne échanger à la Bourse a permis d’établir le véritable prix du café, et, au cours de ce processus, la part du prix qui revient aux agriculteurs est passée de 38 % à environ 70 %. C’est à peu près le chiffre que le Cocoa Board ghanéen affirme avoir atteint. Donc on peut arriver à ce résultat soit à travers un système très onéreux, interventionniste et insoutenable, soit grâce au marché. Je défends cette deuxième solution !
Cela peut-il aider la transformation locale ?
Oui ! Dans beaucoup de pays africains, la chaîne d’approvisionnement est tellement peu fiable qu’on ne peut pas prendre le risque d’investir dans une usine. C’est l’un des principaux freins. Des sociétés comme Olam et Export Trading Group dépensent des millions de dollars pour mettre en place des centres de collecte. Elles peuvent toucher des milliers de fermiers, mais pour vraiment faire décoller la transformation locale il en faudrait des millions : comment pourraient-elles y parvenir ? Il serait plus efficace que des millions de fermiers aient accès à un système qui collecte les récoltes et garantisse à la fois la quantité et la qualité.
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